ANALYSE  RÉFÉRENTIELLE
ET  ARCHÉOLOGIQUE


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Ennio Floris


Les récits de la naissance de Jésus





Lecture du récit de Matthieu :

Marie trouvée enceinte


Sommaire

GENÈSE ET MÉTHODE D’APPROCHE DES RÉCITS

LECTURE DU RÉCIT DE MATTHIEU
La généalogie de Jésus
Marie trouvée enceinte
- Introduction
- Le pivot du récit
- Le rôle de Joseph
- Analyse psychanalytique
- Complexité du texte
Les mages
La fuite en Égypte

LECTURE DU RÉCIT DE LUC

CONCLUSION



. . . . . . . . - o 0 o - . . . . . . . .

La complexité du rôle joué par Joseph



   En raison de ce contexte, le rôle joué par Joseph devient complexe. En tout premier lieu, il doit personnifier le drame subi par l’époux de Marie, qui l’avait trouvée enceinte. Mais puisque ce drame est aussi celui que vit l’Église par la nouvelle provenant des milieux juifs, il personnifie aussi l’Église face au problème posé par cette découverte.

   Approchons-nous du texte pour mieux connaître le double jeu de ce personnage.
   Joseph est qualifié d’homme « juste ». Cela prouve que l’Église a cherché à comprendre la grossesse de Marie à la lumière du code mosaïque, et qu’elle a émis un jugement favorable à son égard. Il est légitime de penser qu’elle a assimilé sa mésaventure au cas, envisagé par la loi, d’un viol subi par une jeune-fille dans la campagne. En effet, la loi considère que la jeune-fille est innocente, puisqu’on peut présumer qu’elle a crié sans que personne ait pu venir à son secours. Déclarée non coupable elle évite la peine de mort prévue pour ce crime, mais elle subit les conséquences sociales de sa malchance puisque, répudiée par son mari, elle est vouée à devenir mère d’un bâtard.
   Or, si nous nous rapportons à Joseph, son comportement est étrange. Convaincu de l’innocence de son épouse, il est aussi d’avis qu’il doit la « renvoyer ». Il décide cependant de le faire « secrètement » (lathra). Que signifie cet adverbe ? Si on le comprend par opposition à « public », on doit dire qu’il préfère l’abandonner que de la traduire devant le tribunal.
   Mais aurait-il pu la renvoyer ? S’il est vrai qu’il était lié par un contrat de mariage, ne devait-il pas rendre raison aux parents de la jeune-fille ? Ne devait-il pas lui-même éviter l’accusation d’avoir abandonné une femme après l’avoir mise enceinte ?
   D’autre part, l’abandon n’aurait apporté aucun profit à la jeune femme, mais au contraire aurait constitué une preuve qu’elle était coupable. Joseph alors était-il un homme juste ou un lâche ? Pour être « juste », il fallait au contraire traduire la jeune femme en jugement, afin qu’elle soit au moins déclarée publiquement non coupable ! Il valait mieux la rendre malheureuse que maudite.

   L’apparition dans le texte de cet adverbe s’explique si on pense qu’il n’est pas un mot postulé par la cohérence du discours, mais une donnée objective d’information venant de la polémique juive, autrement dit qu’il faisait partie de l’information scandaleuse concernant la naissance de Jésus. En effet, lorsqu’il se rapportait à des aventures sexuelles, le mot « lathra » était employé aussi bien pour l’union adultérine (latraios koitos) que pour la répudiation non légalisée (apolusai lathra), c’est-à-dire l’abandon.
   On peut supposer qu’au niveau de l’information on parlait des deux événements « clandestins » (lathra) : l’union de Marie avec un inconnu (koitos) et son abandon par son mari (apolusia). Ne pouvant nier l’objectivité de cette information, l’auteur du récit cherche à en dissoudre la provocation par une action sublimatoire jouée par Joseph. Tout d’abord celui-ci prend à son compte l’union adultérine – le lathraios koitos – mais dans une situation de doute refoulé. Ainsi le koitos perd toute référence à la réalité d’un fait, devenant fantasme dans le secret de la conscience douteuse du personnage. C’est à l’issue de ce premier refoulement que Joseph assume aussi, par une décision responsable, l’autre renseignement concernant la lathraia apolusis. À ce deuxième niveau, son rôle devient plus proprement dialectique et polémique, montrant que l’Église avait bien saisi le sens de l’information et en avait mesuré toute la portée. En effet, si l’époux de Marie avait décidé de la renvoyer, l’information cernant son abandon avait un fond de vérité, puisqu’il avait « existé », tout du moins comme projet non exécuté à cause de l’apparition de l’ange.
   Qui a rêvé, de l’époux de Marie ou de l’Église ? Autrement dit, Joseph a-t-il rêvé en tant que personnification de l’époux de Marie ou de l’Église ? Je reste étonné devant l’honnêteté de l’écrivain. Il aurait pu donner à son récit une autre tournure, il aurait par exemple pu omettre l’expression « en songe » pour rendre sa polémique plus efficace et plus convaincante. En effet, on reconnaissait bien qu’il y avait une différence entre l’apparition de l’ange de Dieu en songe et son apparition en état veille : en songe, elle ne jouait qu’un rôle prophétique, par la médiation de la parole, tandis qu’en veille elle était un événement au niveau des faits. Pourquoi donc l’auteur de l’évangile n’a-t-il fait apparaître l’ange qu’en songe ? Ne s’est-il pas aperçu que des ombres douteuses enveloppaient encore la figure de Marie ?
   Mais l’évangéliste n’a pas été l’unique auteur du récit. De même qu’il avait reçu du contexte conflictuel le renseignement concernant Marie, de même il recevait de la tradition un récit déjà esquissé dans ses traits fondamentaux par la conscience imaginative de l’Église : le songe a précédé le personnage de Joseph, qui a été postulé pour le supporter. Placée en face des nouvelles concernant la naissance de Jésus, l’Église n’avait d’autre possibilité que de rêver, sublimant l’information par un processus de création mythique. Les accusations portées contre Marie à cause de sa grossesse ont rappelé à l’Église celles que la courtisane égyptienne avait lancées contre Joseph lorsqu’il avait refusé ses avances (Gn 39:7-20). La figure de Marie fut ainsi libérée de toute souillure par Joseph, qui devint image prophétique de son innocence, aussi celui-ci fut-il détaché du contexte référentiel de la Bible, pour devenir un nouveau personnage que l’Église plaça aux côtés de Marie : époux fidèle, gardien de son intégrité et de son honneur.

   Mais en prenant nos distances vis-à-vis du texte, nous nous trouverons en dehors du rêve libérateur de l’Église, aptes à pouvoir l’interpréter. Marie et Joseph ne sont que les personnages mythiques d’un processus de sublimation qui a refoulé la Marie de l’histoire au niveau de l’infrastructure du texte. À mesure que nous parvenons à déstructurer le personnage, la véritable Marie émerge : une jeune-fille victime d’une expérience d’amour et rejetée par son époux. Que Marie ait été abandonnée est prouvé par le rêve de Joseph, puisqu’au niveau du rêve se passe ce qui n’a pas pu exister à l’état de veille : Marie est acceptée comme épouse au niveau du songe car dans les faits elle n’était qu’une fiancée répudiée.



1982




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tj21220 : 28/11/2018