ANALYSE  RÉFÉRENTIELLE
ET  ARCHÉOLOGIQUE


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Ennio Floris


Jésus le charpentier





Le défi des pharisiens et la crise galiléenne


Sommaire

Du fils naturel au fils de Dieu

La Métanoïa

Le défi et la crise
Introduction
Jésus en Galilée
Jésus dans le désert

La bonne nouvelle




. . . . . . . . - o 0 o - . . . . . . . .

   Je me propose dans cette partie de connaître l’impact du défi des pharisiens dans la vie et la prédication de Jésus.

   Le prodige de la multiplication des pains (1) suffirait à lui seul pour montrer, par antithèse, sa portée réelle et son retentissement, puisqu’il n’a d’autre fonction que de le substituer. Les effets du défi dans la réalité des faits ne pouvaient être que l’opposé de ceux que le prodige donne à voir au niveau du récit.
   Le miracle se passe à la fin de la période galilé­enne, puisque tout de suite après Jésus abandonne cette région pour se rendre dans les pays païens limitrophes. Il s’agit donc d’un événement final qui, dans l’intention des écrivains, est destiné à manifes­ter le messianisme de Jésus. Celui-ci aurait donc achevé sa mission en Galilée par une manifestation théophanique, qui marque du sceau divin aussi bien sa prédication que sa puissance de thaumaturge. Et si on se rapporte à la première annonce qu’il adresse aux pêcheurs de Capharnaüm, on peut affirmer que sa prédication eut un succès incontesté et fulgurant.
   Or la découverte qu’au lieu de ce prodige il n’y eut en réalité qu’un défi et le refus d’un signe, montre que la prédication de Jésus en Galilée eut une fin qui fut aussi décevante qu’elle apparaît pres­tigieuse et exaltante dans l’événement du miracle. Bref, elle avait abouti à un échec.

   Des exégètes tels que Goguel, dont l’intuition est infaillible et la démarche toujours honnête, ont compris que l’éloignement de Jésus de la Galilée avait l’apparence d’une fuite plus que d’un voyage d’évangélisation, et qu’il était motivé par le dé­clenchement d’une crise qui affectait l’ensemble de la mission de Jésus.
   Mais quand ils se sont apprêtés à rechercher les causes de cette crise et son impact sur la personne et l’œuvre de Jésus, ils ont dû constater qu’elle échappait à toute détermination. Cela est inévitable à mon avis, puisque leur méthode critique, valable pour les problèmes concernant l’historicité des textes et de leur signification, ne peut que marquer le pas face au niveau référentiel. La crise leur échappe parce qu’elle se situe dans le niveau des faits qui demeure en-deçà de leur analyse.
   Quant à ma méthode, la découverte de ce niveau est à la fois son but et son mérite. Elle a permis avant tout d’exhumer de l’infrastructure du texte le profil de Jésus, qui se détermine par opposition au portrait judiciaire dressé par l’accusation juive et à l’image christique qu’en a donné l’Église. Qui plus est, elle a su replacer dans son véritable contexte le défi des pharisiens et le refus du signe, voyant en eux l’événement historique qui clôt l’activité de Jésus en Galilée en l’éclairant et en lui donnant un sens par-delà les récits.

   Il ne nous reste qu’à suivre le chemin, pour ainsi dire souterrain, derrière la brèche ouverte au niveau référentiel du texte, et à observer l’incidence de ce fait sur le déclenchement de la crise galiléenne.
   D’une façon directe, je chercherai à répondre aux interrogations suivantes : quel fut le déroulement de la prédication de Jésus en Galilée, et comment a-t-il pu aboutir à ce défi ? Peut-on jeter sur celui-ci un regard plus complet que celui que nous avons pu obtenir par l’analyse des textes ? Nous est-il possible de confirmer la fuite de Jésus et d’en connaître l’errance, aussi bien dans ses déplace­ments géographiques que dans les états d’âme qui l’ont suivie ? La montée de Jésus à Jérusalem peut-elle être considérée comme une relève du défi lancé par les pharisiens ? Dans ce cas, les faits qui ont mené Jésus à la mort sur la croix ne revêtent-ils pas le caractère d’un échec, qui aurait conduit la crise à une fin tragique ?

   C’est avec une profonde émotion que j’entre­prends cette nouvelle démarche. Il s’agit pour moi de voir le visage, la personne et le caractère de Jésus, qui sont restés cachés pendant deux mil­lénaires. On avait regardé les textes qui parlaient de lui comme un monument élevé en commémoration de sa résurrection et de sa personnalité christique, et on ne s’était pas aperçu qu’ils étaient aussi des sépulcres de mémoire qui gardaient son corps presque intact.
   Ce tombeau n’est pas vide. Il constitue au contraire une fenêtre ouverte, de laquelle il nous est donné de « voir » le Jésus de l’histoire. J’emploie le verbe dont les évangiles usent pour signifier le fondement du témoignage des apôtres, qui auraient transmis ce qu’ils avaient « vu ». Mais, pour eux, il s’agissait d’un « voir » par des signes ou par une expérience, qui ne prend le sens de « voir » qu’à la lumière d’une foi révélatrice.
   Ici, par contre, il s’agit d’un « voir » sensible, qui devient fondement de connaissance par la critique des faits. Jésus « vu », c’est-à-dire perçu à travers la grille de l’histoire, c’est une découverte d’une importance dont nous ne pouvons sans doute pas mesurer encore l’envergure. Car s’il est vrai que les expériences de Jésus comme Christ, telles que chez Paul, François d’Assise ou Luther, ont été éblouis­santes et porteuses de civilisation, il n’en est pas moins vrai que cette découverte de l’homme Jésus s’annonce pleine d’imprévus et de conséquences bouleversantes pour l’histoire, d’autant plus que, venant de la zone de l’interdit, elle est provocatrice et scandaleuse.
   Pour quelqu’un comme moi, chez qui l’ordre des faits prime sur celui des idées, cette approche historique ne peut pas ne pas être accompagnée de crainte et d’émotion profonde. C’est le surgissement du réveil à la fin d’un rêve, du temps sur l’étendue spatiale, d’une genèse terrestre sous un ciel im­muable et éternel où toute chose est accomplie. C’est un mort qui sort du tombeau de l’oubli.

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(1) Voir l’analyse détaillée de la multiplication des pains dans La crise galiléenne (Ennio Floris, 1984).   Retour au texte




c 1976




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tk310000 : 26/06/2020