Sommaire
Du fils naturel au fils de Dieu
La Métanoïa
Le défi et la crise
Introduction
Jésus en Galilée
Jésus dans le désert
- Du baptême au désert
- Analyse référentielle
- En-deçà de la folie
- Dénouement de la crise
La bonne nouvelle
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Du baptême au désert
L’activité missionnaire de Jésus avant la montée à Jérusalem est comprise entre deux séjours dans le désert. Ce fait est très significatif, et il prend d’autant plus de relief que Jésus semble hanté par le désert, puisqu’il a l’habitude de s’y réfugier, comme poussé par un instinct de retour à son lieu d’origine.
Le premier séjour se serait passé, selon les synoptiques, après que Jésus ait reçu le baptême par Jean, et fut proclamé fils de Dieu par l’Esprit. Mais, dans la mesure où le lieu de ce baptême comme celui de la prédication de Jean étaient déjà dans le désert, on peut affirmer que Jésus s’y serait rendu en deux étapes, s’arrêtant d’abord au bord du Jourdain puis pénétrant dans le désert pour y rester dans la solitude.
Il est important pour notre recherche de savoir si ce séjour de Jésus dans le désert est historique ou seulement théologique. En effet, Jésus ayant commencé son activité missionnaire en venant du désert, il apparaît que c’est ce même désert qui peut nous offrir la clef de sa vocation prophétique.
Selon le premier récit, au moment où Jésus sortit de l’eau les cieux s’ouvrirent et l’Esprit de Dieu apparut sous forme de colombe, en même temps qu’une voix se fit entendre qui le proclamait fils bien-aimé de Dieu.
Cette narration s’articule de façon évidente sur la base des modèles des récits théophaniques aussi bien bibliques que mythologiques, et il serait vain d’en rechercher le référent en-deçà de sa propre signification. Le texte ne se rapporterait pas à la personne de Jésus, mais à celle du Christ de la théologie de l’Église.
Mais si nous ôtons du récit tout ce qui relève du modèle théophanique ou qui revêt un caractère christologique, la fait que Jésus ait été baptisé par Jean n’est pas nié pour autant. Il se pourrait que les écrivains ou la tradition dont ils se servent aient effectivement exploité une information biographique, tout en la sublimant dans le cadre des modèles théologiques.
La référence de la « tentation » est plus complexe. Rappelons que Jésus se serait rendu dans le désert, non seulement après avoir reçu le baptême, mais « conduit » par le même Esprit qui était descendu sur lui et l’avait proclamé fils de Dieu.
Si l’on se rapporte au prototype biblique, cette succession apparaît cohérente : Jésus ne ferait que suivre l’itinéraire du peuple après sa sortie d’Égypte et qu’en accomplir la thématique messianique : de même que le peuple s’achemina dans le désert en tant que fils de Dieu par sa génération d’Abraham, de même Jésus est conduit dans le désert après avoir été reconnu fils de Dieu par l’Esprit. Par les épisodes du baptême et de la tentation, Jésus ne fait qu’accomplir ces événements qui, dans les Écritures, n’étaient que des figures messianiques.
Dès lors on devrait conclure que ce récit, comme le précédent, a une valeur moins historique que théologique. On peut même affirmer qu’il apparaît beaucoup plus littéraire que l’autre, dans la mesure où tout relève du modèle scripturaire, le départ au désert compris.
Cette conformité avec le prototype biblique n’est cependant pas parfaitement cohérente. Des dissonances apparaissent en effet dans le récit.
Dans le prototype, le peuple peut bien être objet de tentation, puisqu’il n’est fils de Dieu que selon la chair. Jésus, au contraire, est fils de Dieu selon l’Esprit. Il s’ensuit qu’il ne peut pas être tenté sans que cette tentation affecte aussi l’Esprit dont il est revêtu.
On s’étonne que les écrivains n’aient pas évité la discordance entre un Jésus « conduit » par l’Esprit dans le désert et « transporté » par le diable. Si le tentateur a sur lui assez de pouvoir pour le saisir, ne convient-il pas de penser que l’Esprit l’a abandonné, dans le but de permettre l’épreuve ? N’aurait-il pas alors fallu commencer par son entrée dans le désert en qualité de fils de Dieu selon la chair par sa descendance de David, et couronner l’épreuve par la descente de l’Esprit, qui l’aurait consacré fils de Dieu selon l’Esprit ?
Les écrivains auraient pu éviter ces dissonances sémantiques tout en restant fidèles au modèle biblique. Il est alors légitime de soupçonner qu’ils ont été contraints d’intervertir l’ordre de succession des épisodes car le départ de Jésus dans le désert ne relevait pas seulement du modèle biblique, mais était aussi une information biographique qui était en contradiction avec le messianisme de Jésus. L’information venant de l’anti-évangile il fallait, pour l’intégrer au cadre de l’évangile, la soumettre à la censure et la situer sous l’éclairage de l’événement christophanique du baptême.
Dans cette hypothèse, le départ de Jésus dans le désert serait le premier fait de la biographie de Jésus et celui aussi qui, une fois dévoilé, nous permettrait de connaître l’origine de sa vocation prophétique. Mais avant tout, il faut procéder à l’analyse référentielle des textes, sur la base de l’opposition entre le niveau de l’information et celui de l’interprétation dans le texte de Marc, et sur la censure exercée dans les récits parallèles.
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