Jésus le charpentier

En-deçà de la folie et de la christologie

   Cette première recherche (1) nous a fait aboutir à deux interprétations du séjour de Jésus dans le désert, dont l’une l’inscrit dans le cadre de la pos­session démoniaque, et l’autre dans celui de l’accomplissement messianique. Ces deux versions correspondent aux niveaux de documentation et d’interprétation des évangiles et relèvent, l’une de l’anti-évangile des juifs, l’autre de la conception christologique de l’Église et des écrivains.
   Il va de soi que ces deux versions, en raison précisément de la nature de leur opposition, ne peuvent pas être assumées comme documents d’histoire. L’intention des auteurs des anti-évangiles et celle des évangélistes n’étaient pas, à proprement parler, historique mais polémique, puisqu’elle visait moins à décrire les faits qu’à les présenter comme honteux et criminels, ou prodigieux et messianiques. Le déroulement réel des faits ne pouvait ainsi demeurer qu’en-deçà de leurs récits.

   Il convient donc de mener une nouvelle recherche pour tenter de découvrir la nature réelle de l’évé­nement, en-deçà des présomptions de folie ou de messianisme propres aux deux interprétations. Celles-ci, cependant, ne restent pas étrangères à la nouvelle démarche mais sont au contraire utiles dans la détermination du champ référentiel, car dans la dialectique judiciaire et polémique l’accusation et la défense, tout en étant arbitraires, se fondent sur des témoignages qui, quoiqu’équivoques, sont toujours situés dans le contexte réel du fait. Elles demeurent donc valables pour indiquer les axes et les limites de ce contexte.

   Selon la source d’information Jésus, en allant au désert, avait provoqué une rupture dans les relations avec sa famille, au point que celle-ci le crut pris par la folie et inspiré par Satan. Cette information nous oblige à rechercher les causes de ce départ dans le cadre d’une crise à la fois spirituelle et sociale, qui se situait à la limite de la maladie et de la contesta­tion. Même si Jésus n’était pas fou, sa séparation d’avec les siens et les motivations qu’il dut en donner devaient au moins présenter des indices de folie et de possession démoniaque. La crise a donc été grave, touchant à sa personnalité et à sa responsabilité d’homme.
   L’interprétation théologique nous parle au contraire d’une théophanie qui aurait couronné ce séjour, puisque Dieu se serait révélé à lui comme père. En mettant entre parenthèses la thématique d’une théophanie et la structure formelle qui l’exprime, le récit nous dirige vers un aboutissement spirituel de cette crise, qui se dénoue dans une expérience religieuse et originale de la divinité. Dans la mesure où l’aboutissement de tout processus est lié aux causes qui l’ont provoqué, force est de croire, au moins comme hypothèse, que cette crise s’enracinait au plus profond de son être dans sa relation au père. Cela confirme et précise à la fois la raison de la rupture avec sa famille.

   Après avoir lu les évangiles dans l’optique de cette recherche, je suis parvenu à la certitude que Jésus était un bâtard. Les passages le montrant sont très nombreux – beaucoup plus que je n’aurais pu le soupçonner de prime abord – mais évidemment l’information reste refoulée dans le silence du texte, comme la sinopie derrière la surface picturale d’une fresque. Elle n’en est pas moins évidente, puis­qu’elle est subjacente aussi bien aux récits de la naissance qu’à ceux de la mort de Jésus, d’autant plus certaine qu’elle est rejetée, et donc indirecte­ment reconnue, non seulement par Marc mais aussi par les autres évangélistes, Jean compris.

   Je m’en tiendrai ici à un seul texte, puisqu’il s’inscrit dans la ligne des informations émergeant de l’évangile de Marc qui ont fait l’objet de censure de la part des autres écrivains Comme pour les autres textes, j’en donnerai avant tout un tableau synoptique.

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(1) Voir l’analyse référentielle du séjour de Jésus au désert.