ANALYSE RÉFÉRENTIELLE
ET ARCHÉOLOGIQUE
Ennio Floris
Jésus le charpentier
Le défi des pharisiens et la crise galiléenne :
Jésus dans le désert
Sommaire
Du fils naturel
au fils de Dieu
La
Métanoïa
Le défi et la crise
Introduction
Jésus
en Galilée
Jésus dans le désert
-
Du baptême
au désert
-
Analyse référentielle
.
Les textes
.
Analyse
des énoncés
.
Le traitement de
l’information
-
par Marc
-
par Matthieu
-
par Luc
-
En-deçà
de la folie
-
Dénouement
de la crise
La bonne
nouvelle
. . . . . . . . - o
0
o - . . . . . . . .
Analyse référentielle du fait :
traitement de l’information par
Luc
Mc 1:
12-13
Aussitôt
l’esprit
le jeta (chassa) dans
le désert
et
il était dans
le désert quarante jours
tenté par
Satan.
Et
il était avec les bêtes
et les
anges
le servaient.
Mt 4:
1-11
Alors
Jésus fut amené par
l’Esprit dans
le désert
pour être tenté par
le diable.
Après avoir jeuné quarante jours et quarante nuits
il eut faim.
Suivent les tentations.
Et voici,
les anges vinrent auprès de
lui et
le servaient.
Lc 4:
1-11
Jésus, rempli du
Saint Esprit, revint du
Jourdain
et
il se rendit en esprit dans
le désert
tenté par
le diable
pendant quarante jours.
Il ne mangea rien durant ces jours-là, et après qu’ils furent écoulés
il eut faim.
Suivent les tentations.
La correction apportée par
Matthieu
au texte de
Marc
ne pouvait pas satisfaire
Luc
, dont l’approche des signes messianique était parabolique. Le
Jésus-Christ de
Luc n’était pas seulement l’accomplissement du
Christ des Écritures, mais aussi l’existence dans la chair du
Christ selon
l’Esprit.
En dépit de ses retouches,
Matthieu
laissait subsister le soupçon que, au moment de la tentation,
l’Esprit de
Dieu avait quitté
Jésus, or cela était inconcevable dans le cadre de la christologie de
Luc
.
C’est pourquoi
Luc
a tenu à affirmer, dès le commencement de son récit, qu’en allant au
désert
Jésus fut «
rempli du
Saint Esprit
». En outre,
il passa le verbe du passif au médio actif :
Jésus n’était pas conduit, mais
il se rendit de lui-même au
désert ;
l’Esprit n’avait pas agi sur lui comme une force étrangère, quoiqu’intérieure, mais comme étant devenu
Jésus lui-même.
En conséquence, l’affirmation concernant le service des
anges est abolie :
Jésus étant le
Christ selon
l’Esprit,
il n’avait pas besoin d’être servi par des
anges,
il se suffisait à lui-même.
Cette censure montre à l’évidence que l’information qui est à la base du texte était d’origine anti-chrétienne, et qu’elle constituait une accusation contre la personne de
Jésus. Mais venait-elle de l’opposition polémique, ou possédait-elle une valeur biographique ?
Dans
Mc 3:
21
, nous lisons que «
les membres de la famille de
Jésus, ayant été renseignés à son égard, vinrent pour se saisir de
lui car ils disaient :
il est hors de sens
», autre nouvelle typiquement marcienne que
Matthieu
et
Luc
se sont empressés d’omettre à cause de son caractère scandaleux. Le fait que «
sa mère et
ses frères
» soient venus s’emparer de
lui nous oriente dans le sens à donner au verbe «
être hors de lui-même
» (
exeste
) : on ne peut légitimement s’emparer d’un homme pour l’enfermer que s’il est aliéné.
Cette conviction au sujet de
Jésus de la part de son entourage familial semble remonter loin. Nous en trouvons l’indice dans le fait que
Jésus, en revenant du
désert, ne rentre pas chez lui à
Nazareth mais s’arrête à
Capharnaüm. On ne peut pas penser
qu’il ait négligé de se rendre chez
sa mère et
ses frères parce qu’il était trop pris par sa nouvelle mission, puisque
Matthieu
,
Luc
et
Jean
désavouent
Marc
en affirmant qu’au contraire
Jésus se serait rendu tout d’abord à
Nazareth.
Cette censure fait supposer que la donnée d’information était compromettante, et qu’il fallait la nier. En effet, en ne se rendant pas dans sa famille,
Jésus laissait entrevoir une rupture qui avait été consommée lors de son départ dans
le désert. Dès lors, il faut aussi croire que
sa mère et
ses frères
le crurent aliéné à ce moment-là.
S’ils sont venus pour
le saisir, c’est que
Jésus avait quitté la maison à leur insu, par une fuite qui confirmait son aliénation.
Le texte de
Marc
nous permet d’aller encore plus loin dans cette recherche, car il fait arriver à
Capharnaüm, venant de
Jérusalem, des
scribes (
Mc 3:
22
), dont la fonction était policière, au moment de la venue des membres de la famille de
Jésus. Cette coïncidence n’est pas fortuite, puisque
les frères de
Jésus sont associés aux
scribes dans l’accusation contre
Jésus. En effet, le texte ne dit pas que les membres de la famille cherchaient à
le saisir parce qu’ils
le croyaient fou, mais parce qu’ils «
disaient :
il est aliéné
». Ils parlent donc, et leur parole accusatrice s’associe à celle des
scribes, dans un même but de condamnation et de capture.
Qui plus est, leur accusation sert d’appui à celle des policiers, car ils disent
qu’il est aliéné alors que
les scribes précisent le caractère de cette aliénation, la déterminant comme possession par les
démons. L’hypothèse d’une connivence entre
les scribes et les
frères de
Jésus apparaît donc probable. D’ailleurs
les frères auraient-ils pu espérer mener à bien leur projet sans craindre les autorités légitimes,
s’ils ne s’étaient pas assurés de leur appui ?
Quoi qu’il en soit, cette deuxième recherche semble aboutir aux mêmes faits que la première
(1)
. Le
Jésus dément et possédé par
Beelzébub semble être celui-là même qui, dans le récit de la tentation, est possédé par
l’esprit mauvais, loin de la communion avec les hommes et condamné à vivre avec les bêtes sauvages.
Les deux informations disent la même chose, se complétant dans leur sens. Ainsi, dans l’un et l’autre texte, l’information résulte de deux couches dont l’une est d’origine familiale et l’autre juridique. C’est l’indice d’une surdétermination de sens et de l’inscription du renseignement dans le cadre d’une accusation dûment formulée. Dans la première, la fuite de
Jésus dans le
désert est déterminée comme un cas de rejet de
Jésus par
Dieu au moyen de la folie, dans la seconde comme une possession démoniaque par révolte de
Jésus contre
Dieu. Dans l’une
Jésus est en communion avec les bêtes sauvages, dans l’autre avec les
diables.
______________
(1)
Voir
la recherche sur la version de
Marc.
c 1976
tk332330 : 30/06/2020