ANALYSE  RÉFÉRENTIELLE
ET  ARCHÉOLOGIQUE


Auteurs Méthode Textes
Plan Nouveautés Index Liens Aide





Ennio Floris


Jésus le charpentier





Le défi des pharisiens et la crise galiléenne :
Jésus dans le désert


Sommaire

Du fils naturel au fils de Dieu

La Métanoïa

Le défi et la crise
Introduction
Jésus en Galilée
Jésus dans le désert
- Du baptême au désert
- Analyse référentielle
- En-deçà de la folie
  . Introduction
  . Tableau synoptique
  . À Nazareth
  . L’homme du rejet
- Dénouement de la crise

La bonne nouvelle




. . . . . . . . - o 0 o - . . . . . . . .

En-deçà de la folie et de la christologie :
Jésus, l’homme du rejet




   Nous parvenons ici à l’événement le plus impor­tant de la vie de Jésus, puisqu’il était déterminant de son moi. Jésus fut l’homme du rejet. Chassé dès le sein de sa mère, lorsque celle-ci était en fuite, il l’a aussi été par sa famille et par ses compatriotes, par les synagogues et les villes qui lui fermaient leurs portes, par les pharisiens et ses propres disciples, par Dieu son père. Sa crise donc, qui le mène au désert, trouve ses origines dans les conséquences psychi­ques, sociales et spirituelles de sa condition d’hom­me bâtard. Elle ne se laisse pas comprendre dans la conscience du fils d’Abraham mais dans le complexe d’Ismaël.

   Né d’un accouchement clandestin et loin de sa patrie, il put vivre parce que sa mère parvint à le garder et à le protéger grâce à sa prestation de travail à l’étranger. Il vint à Nazareth lorsque, devenu déjà garçon, le fait honteux de sa naissance ne pouvait plus être dangereux pour lui ni pour sa mère. Il trouva demeure et protection dans la famille de son oncle. Mais l’insertion dans cette famille adoptive, si elle était sans risques, ne fut pas sans peine, car s’il partageait la vie de la famille il devait payer son rachat par son travail.
   Condition libre, frère parmi les frères, mais dans une situation de servitude qui l’assimilait par bien des côtés à un esclave. Les paroles de Paul aux Philippiens selon lesquels le fils de Dieu aurait pris une « forme » (morphé) d’esclave ne se rapportent pas à la situation d’existence humaine, mais à sa condition sociale d’homme asservi par le travail et par le conditionnement créé par son origine.
   Cette condition entraînait des conséquences fâcheuses aux niveaux juridique et social. Étant fils sans père, Jésus n’aurait pas pu se marier, même avec une femme libre, sans engendrer de jure des enfants illégitimes : selon le droit juif, un bâtard engendrait des bâtards, comme un esclave des esclaves. À cela s’ajoutait la place qu’il occupait dans la société selon l’estimation commune, car si sa naissance illégitime ne lui ôtait pas le droit d’être une personne responsable face à la loi, elle consti­tuait cependant un obstacle à ce qu’il fut considéré majeur dans tous les effets.
   La conscience de son moi en était profondément affectée, puisqu’il ne pouvait pas, contrairement aux autres, trouver sa propre identité dans la ligne généalogique qui le reliait à Dieu. Celle-ci étant brisée, il était projeté dans le vide historique, son événement à lui était la rupture avec l’histoire, les ancêtres du peuple n’étaient pas ses pères, il était sans support généalogique.
   N’ayant pas de père, il n’avait pas non plus de frères ni de sœurs. Il était au milieu des siens sans leur appartenir, et sans qu’ils puissent le reconnaître comme un des leurs.
   Il ne pouvait se mettre en communication avec les autres que par une médiation juridique. Il était un étranger, même sa ville ne pouvait pas être sa patrie, puisqu’il n’y était pas né et qu’il était venu du dehors par l’inconnu qui l’avait généré.

   Quant à sa mère, elle ne pouvait lui apparaître que comme l’origine de cette situation de péché. Femme qui n’avait pas pu se réjouir, comme les autres femmes, de l’avoir mis au monde, et qui demeurait figée dans les douleurs de l’enfantement. Peut-être même fut-il contraint de ne pas la regarder.

   La religion non plus ne pouvait pas le mener à l’apaisement de ce conflit intérieur. En tant que fils illégitime n’était-il pas né dans le péché ? Ne demeurait-il pas en marge de l’héritage promis, condamné comme un chien à manger les miettes qui tombent de la table du fils ? Il pouvait même se demander si Dieu était vraiment son Dieu, puisqu’il ne l’était que pour ceux qui étaient issus de la lignée d’Abraham. La recherche du père le situait donc aussi dans une quête de Dieu aussi troublante qu’angoissée.

   Cette situation faisait de Jésus un introverti, plus porté au silence qu’à la parole. Après le dénouement de la crise, il fut sans doute un bon orateur, aiguisé dans la dialectique de la parole. Mais nous remarquerons qu’il aimait se soustraire aux foules pour rester seul dans des lieux secrets, préférant prier que parler. Il entra de nouveau dans le mutisme à partir de la grande crise galiléenne, et surtout lors du procès où il renonça à se défendre. Aurait-il pu parler, alors que le monde l’avait rejeté ?
   Ainsi répondit-il à ce rejet par la rupture avec le monde. Son impératif (1), qui poussa ses adeptes à quitter la famille et les charges civiles, le travail et l’argent, le profit et les honneurs, se laisse expliquer psychologiquement comme une sublimation de sa propre rupture avec le monde qu’il opposait au rejet qu’il subissait de la part de celui-ci. La société l’ayant rejeté, il chercha à lui ôter les hommes, jusqu’à la vider. Mais au moment de cette crise, il ne pouvait répondre au rejet par le monde qu’en fuyant dans le désert.

   Le départ de Jésus dans le désert fut donc une fuite. Psychologiquement, il se laisse comprendre par l’impossibilité de toute communication avec les autres, et par l’impuissance de Jésus de réagir d’une autre façon à son rejet par la société. Certes, l’appel de Jean y fut pour quelque chose, mais ce fut plutôt une indication qu’une cause déterminante. Si Jésus se rendit chez Jean, ce fut après son expérience de solitude.
   D’ailleurs qu’il fut porté par des motivations propres est prouvé par le fait qu’il rompit avec sa famille, au point de ne pas y retourner lorsqu’il rentra de Galilée. Or le message de Jean ne com­portait pas de rupture dans les relations familiales et sociales ; au contraire, il poussait à la repentance en vue de moraliser ces relations.
   Pour Jésus, ce ne fut donc pas un pèlerinage, mais vraiment un passage par le désert, par le néant, avec une coupure radicale du monde. Ce qu’il obligea à faire – quitter la famille, les frères et les sœurs, le travail et le profit, la vie et le souci du quotidien – il le fit par ce départ. Il quitta la communion avec les hommes en vue précisément d’une vie toute autre, mais pour l’heure sa vie ne pouvait s’offrir que comme un retour à la situation sauvage des origines.
   Il faut être juste avec ses parents : ils avaient tout motif de croire à un accès de folie.

______________

(1) Voir.   Retour au texte




c 1976




Retour à l'accueil Que pensaient les nazaréens de Jésus ? Haut de page Le dénouement de la crise      écrire au webmestre

tk333300 : 04/07/2020