ANALYSE  RÉFÉRENTIELLE
ET  ARCHÉOLOGIQUE


Auteurs Méthode Textes
Plan Nouveautés Index Liens Aide





Ennio Floris


Art et poésie des natures mortes de Morandi





Remarques sur l’esthétique de l’art de Morandi


Sommaire

Présentation

Dans le sillage de Cézanne

L’esthétique de l’art de Morandi
- Introduction
- L’esthétique d’Aristote
- L’art de Cézanne
- L’esthétique platonicienne
- L’aristotélisme de
  Morandi
- Au-delà de l’esthétique
  aristotélicienne


Dans l’ascétisme de François d’Assise




. . . . . . . . - o 0 o - . . . . . . . .

Au-delà de l’esthétique aristotélicienne


   Le problème est plus complexe pour l’art de la seconde période, art qui aboutit à la transfiguration des objets.

   Celle-ci, en effet, pourrait être comprise à la lumière de la philosophie platonicienne comme de l’esthétique d’Aristote. On peut la concevoir comme une sublimation qui implique la métamorphose de l’objet, c’est-à-dire son passage d’une essence à l’autre.
   Dans le cas de ces natures mortes, l’objet serait sublimé dans leur essence idéale, vision platoni­cienne. Mais on pourrait aussi l’expliquer par les principes de la philosophie d’Aristote. En effet, selon le philosophe de Stagire, la forme se trouvant dans la matière n’est pas un produit de celle-ci, car elle va de la puissance à l’acte par un concours de causes efficientes qui remontent à Dieu comme acte pur. Dans le cas de ces natures mortes, leur sublimation exprime la perfection que toute chose a en tant « qu’être en acte ».

   Ces deux théories ne sont pas contradictoires et peuvent coexister, exprimant la conciliation, désirée au Moyen-Âge et recherchée dans la Renaissance par Pic de la Mirandole, entre les deux philosophes. Il semble toutefois difficile de penser qu’un peintre ait pu donner une interprétation aussi subtile de leur philosophie.
   Par ailleurs, la transfiguration n’est pas l’effet de la conciliation entre Platon et Aristote, mais d’une sublimation de la peinture qui possède deux dimensions : l’une dans la possibilité d’être qu’elle est appelée à exprimer, l’autre au mode dont cette possibilité d’être s’individualise et prend corps. Or la transfiguration affecte le mode d’être de l’objet peint, et non sa fonction significative. Par elle, on se trouve donc à un autre niveau esthétique, qui ne concerne pas l’essence mais l’existence de l’objet peint. Il s’agit donc d’une esthétique existentielle.

   Si on suit le peintre à ce niveau de son œuvre, on remarquera que, s’il a peint l’objet en regardant son modèle, il demeure insatisfait. Il dépouille l’objet, l’affine, le purifie, afin qu’il devienne un « étant » parfait dans l’être que lui offrent les rapports des valeurs plastiques. Son action affecte l’objet dans son existence : il ne s’agit pas de donner la dernière main à l’œuvre, mais de l’accomplir dans son être. L’objet doit être, dans sa représentation, parfait, beau, unique, car il est le seul sur la terre à pouvoir exprimer cette possibilité d’être qui le constitue.
   Ce souci est esthétique, mais le peintre s’y consacre avec une telle intériorité et un tel sérieux qu’il semble avoir dans l’esprit un autre modèle, celui de la création. Artiste, il produit ses œuvres à l’image de celles que Dieu a créées. En lui, l’art est aussi une ascèse.

   Cette affirmation peut sembler gratuite, mais j’en ai eu la conviction en observant plus attentivement la nature morte de 1942,


Nature morte 1918



   qui fait la transition entre la peinture figurative et la peinture transfigurative. La lumière qui investit les objets ne se borne pas à les éclairer, elle déclenche un mouvement intérieur qui les trans­forme et devient elle-même couleur et volumes. On perçoit alors des bouteilles vivantes en mutation, qui remontent à la source de la lumière comme des orantes vers Dieu. Cette scène évoque en moi l’image des âmes qui, dans le poème de Dante, quittent la terre pour rejoindre le Purgatoire, à l’heure où meurt le désir qui attendrit le cœur.

   Les natures mortes qui ont suivi sont au contraire dans le calme et dans la paix, extatiques, leurs objets ayant été enfin transfigurés par la lumière.
   Ce tableau confirme que le peintre a été influencé par un autre esprit qui a saisi sa propre inspiration artistique, mais qui a été l’auteur de cette inspira­tion ?



avril 1997




Retour à l'accueil L'aristotélisme de Morandi Haut de page Morandi et François d'Assise      écrire au webmestre

t282500 : 30/04/2020