Sommaire
Présentation
Dans le sillage de Cézanne
L’esthétique de l’art de Morandi
- Introduction
- L’esthétique d’Aristote
- L’art de Cézanne
- L’esthétique platonicienne
- L’aristotélisme de Morandi
- Au-delà de l’esthétique aristotélicienne
Dans l’ascétisme de François d’Assise
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Parce qu’il a voulu être « baptisé » dans la peinture de Cézanne, on doit supposer que Morandi a cherché à s’inscrire dès le commencement dans une esthétique aristotélicienne.
Je ne connais pas assez ses œuvres de jeunesse pour être à même de saisir toute l’étendue de son aristotélisme. Cependant, il a dû rester ouvert à d’autres influences, puisqu’au seuil de sa maturité il est clair qu’il s’engageait dans une peinture métaphysique inspirée par une esthétique plus platonicienne qu’aristotélicienne.
Revenons à la nature morte de 1918 qui représente cette peinture de façon éclatante ;

En la confrontant aux œuvres de de Chirico, j’ai affirmé (1) qu’elle s’inscrit dans une peinture métaphysique de façon plus pertinente que la sienne. En effet, elle représente les objets – la pipe, le mannequin et la bouteille – dans une individualité concrète qui exprime leur essence. Il ne s’agit pas de cette pipe-ci ou de cette bouteille-là, mais d’une pipe et d’une bouteille peintes pour représenter la pipe et la bouteille dans leur spécificité. Leur figure est d’ordre métaphysique, et non physique.
Cela suffit pour affirmer que cette peinture s’inspire de la philosophie de Platon et non de celle d’Aristote. Pour cela, il n’était pas nécessaire à Morandi d’avoir fait des études approfondies : tout le monde savait que, pour Platon, les espèces des choses existent en soi dans leur universalité, et que les individus ne font que participer à celle-ci dans la nature. Dans sa peinture, Morandi exprime les objets selon leur existence en soi, dans leur espèce. Elle n’est donc pas une peinture abstraite, puisque les formes sont liées à un corps, même si ce dernier n’a d’autre fonction que d’être support de la forme.
Le platonisme du tableau apparaît de façon plus évidente encore si on s’interroge sur sa signification. On découvre, en effet, deux niveaux de signification : celui des objets et celui des ombres que ceux-ci projettent sur la paroi éclairée. Pour peu qu’on se place dans l’espace étroit entre les objets et leurs ombres, et qu’on suppose qu’on ne peut voir que celles-ci, il est possible d’imaginer l’homme qui, selon le mythe de Platon, se trouve enfermé dans une grotte obscure, éclairée seulement par un trou. La lumière du soleil y pénètre, mais elle ne projette que l’ombre des choses : mythe de l’état de connaissance humaine sur la terre. Notre hypothèse nous fera également appréhender les objets du tableau en scrutant leur ombre.
Peut-être Morandi n’a-t-il pas vraiment pensé au mythe de Platon. Mais, puisque le tableau se laisse analyser à travers ce mythe, il nous est permis d’affirmer qu’il s’en est laissé inspirer.
Si, abandonnant notre hypothèse, nous contemplons les objets, nous sommes amenés à constater qu’ils sont effectivement l’image des « idées en soi » que Platon a situées dans l’absolu de l’être : immobiles et parfaites, pures et transparentes, dégagées du poids de la matière, sans tache. Leur individualité devient l’expression de leur essence, qui ne réside qu’en eux.
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(1) Voir. 
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