ANALYSE  RÉFÉRENTIELLE
ET  ARCHÉOLOGIQUE


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Ennio Floris



La  création  d’Adam



Genèse 2: 7




Regard sur la genèse
du récit,
de la Grèce au judaïsme




Magnum Dictionarium latinum et gallicum, de P. Danet, MDCXCI





Sommaire
Le contexte

Exégèse
Et une vapeur s'éleva
Yahvé-Élohim forma
Il souffla sur les narines


Le genre littéraire

Genèse du récit

Le récit yahviste
De la conscience de soi au
  récit
Du récit mythique à l'histoire  


Le texte élohiste

Les deux Adam


vant d’entreprendre l’étude du sens du récit, il faut envisager sa genèse ainsi que le déroulement de son histoire puisque, comme mythe, il est à la fois la sublimation de la conscience qu’un peuple a de lui-même, et le modèle par lequel il vit son histoire.

   Ce texte est un récit de la Bible ; mais est-il né dans le judaïsme ou bien a-t-il été emprunté à un autre peuple ? Dans ce cas, on doit y retrouver le contexte de plusieurs cultures, ainsi que le point de rencontre de différents aspects aussi bien de l’hom­me que de Dieu. Il ne s’agit pas de poursuivre ici une recherche à partir d’une documentation histo­rique, mais de l’analyse du récit.

   Que Dieu ait créé l’homme à partir de la glaise nous amène à situer le récit au temps de la dé­couverte de la poterie. L’homme sortait d’une con­dition d’existence vouée à la chasse et à la quête de nourriture dans les forêts, pour s’adonner à une vie plus résidentielle, occupée à la culture du sol et à l’artisanat. La poterie lui donnait la possibilité de conserver dans des vases ce qu’il trouvait dans la nature ou ce qu’il produisait, comme l’eau, le vin, les fruits, ainsi que la viande ou les produits de la pêche. Il prenait conscience qu’il n’était pas seule­ment un « consommateur », mais aussi un « pro­ducteur ». Aussi, capable de pourvoir à son lende­main, son existence se trouvait-elle ouverte sur le futur.


Mais où ce mythe a-t-il pu naître ? Nous le trou­vons, certes, dans l’un des textes de la tradition yahviste de la Bible, mais provient-il du judaïsme ? Beaucoup d’indices vont dans un autre sens.

   C’est le propre du judaïsme d’attribuer à Dieu la création par la parole : « Il dit, et la chose est faite ». Or, dans ce récit, l’homme n’est pas créé immédiatement par la parole, mais par un « faire » qui choque parce qu’il met en échec la parole, qui prétendait créer par elle-même. Il convient d’ajou­ter que la création de l’homme par l’art, fut-il la poterie, ne semble pas s’accorder à la sensibilité religieuse des Juifs, pour lesquels il était honteux de représenter Dieu par des formes artistiques, comme de l’appeler par son nom propre. Dans le texte, Dieu n’est pas nommé en tant que potier, mais il agit comme tel, en sorte que le récit ne peut pas ne pas en susciter l’image chez le lecteur.

   Des apories apparaissent, qui supposent d’autres versions que le texte entend censurer. Par contre, l’art du potier attribué à Dieu semble conforme à l’esprit grec, qui a toujours confié à l’art, de la poésie au théâtre, de la peinture à la sculpture, la tâche de représenter la divinité aussi bien dans la vie publique que dans les cultes.
   L’histoire nous vient ici en aide, qui nous informe qu’en Grèce on racontait que Prométhée avait créé les hommes en façonnant de l’argile. Euripide composa sur ce sujet une tragédie, qui a été perdue. Cette tradition pose des problèmes, car elle se heurte à d’autres mythes du même Promé­thée, connu surtout pour avoir volé le feu aux dieux au bénéfice des hommes. Effectivement, le « Pro­méthée voleur du feu » et le « Prométhée enchaî­né », ou « délivré » a prévalu sur le « Prométhée créateur des hommes ».

   Mais on ne peut pas parler de véritable contra­diction entre les différents mythes du même per­sonnage, parce qu’il joue des rôles différents selon les problèmes qu’il est appelé à résoudre : un Pro­méthée peut s’accorder à un autre. Il est en effet possible d’imaginer que Prométhée ait volé le feu, moins pour améliorer la vie des hommes que pour créer une humanité nouvelle. Qu’on se rappelle que Zeus avait envoyé le déluge sur la terre pour anéantir les hommes violents de la race de fer.

   Un autre mythe attribue la création d’hommes nouveaux après le déluge à Deucalion, le fils de Prométhée et à Mirrha, sa femme, qui les créèrent en semant des pierres derrière eux. Ces pierres étaient les os des hommes tués par le déluge, re­tournés à leur état originel.

   Dans notre mythe, Prométhée crée ces hommes nouveaux que Zeus s’était proposé de créer après la destruction de la race de fer. Il le fait en modelant de l’argile, car seule la glaise couvrait la terre après le déluge, mais aussi pour que la nature des hom­mes nouveaux ne connaisse plus la violence et la dureté du cœur. Hommes nouveaux, qui venaient au monde non par la force de la nature et par la volonté d’un Dieu tout puissant et totalitaire, mais par l’art, voué à la compréhension et à la liberté. Prométhée les a faits moins à l’image de Zeus qu'à la sienne, pour le bienfait des hommes.

   Retrouvant ce mythe chez les Juifs et probable­ment chez les BBabyloniens, d’où les Juifs l’ont emprunté, il y a tout lieu de croire que sa mise en veilleuse chez les Grecs a favorisé son expansion à l’étranger. En laissant ici en suspens toute re­cherche à cet égard, je dirai que son entrée dans la culture juive n’a pas été sans problèmes. Nous le trouvons au deuxième chapitre de la Genèse, où Dieu, le créateur, est appelé par son nom, Yahvé, joint à Élohim, alors qu’au chapitre premier le Dieu créateur est Élohim. Sans doute, comme je l’ai déjà dit, la narration veut-elle parvenir dans ce deuxième chapitre à une synthèse de la tradition élohiste et de la tradition yahviste du judaïsme.


Cependant l’absence de ce mythe au premier cha­pitre pose problème, car l’élohisme, par sa vision générale du monde et de Dieu, apparaît plus favorable à ce mythe que le yahvisme, davantage déterminé par le judaïsme. Mais d’autres raisons laissent penser que le courant yahviste n’a pas été le premier à s’approprier ce mythe et que les rédacteurs l’ont emprunté au courant élohiste.

   Au cours de l’exégèse nous avons relevé deux apories dans le texte, la première affirmant que Dieu a tiré l’homme de la « poussière » et non, comme on aurait dû trouver, « de l’argile » ; la seconde affirmant que Dieu souffle son haleine « dans les narines » de la statue façonnée avec de la poussière et non dans sa bouche. Ces apories supposent que les rédacteurs ont eu sous les yeux une autre rédaction du même mythe et qu’ils ont voulu censurer le récit pour l’accorder à la vision théologique de leur courant. Or, à la lecture du récit élohiste du premier chapitre de la Genèse, il est évident que l’articulation de son sens renvoie à la création du premier homme, qui se trouve dans la narration yahviste.


En effet, le récit présente la création d’Adam, l’homme que Dieu fait « à son image et à sa ressemblance », mâle et femelle, en deux individus sexuellement différenciés, qui deviennent aussi objet de sa bénédiction. Mais rien dans le texte n’exprime le mode concret de cette création ni de la personnalisation des deux individus.

   Il y a donc motif à croire qu’un texte à ce sujet faisait suite au premier, constituant ainsi un deuxiè­me chapitre.

   Or l’actuel deuxième chapitre de la Genèse, pro­pre au courant yahviste, est en continuation du pre­mier chapitre sur la création du monde propre à la tradition élohiste, auquel il fait allusion, mais il ignore celle de l’homme, que Dieu fait mâle et fe­melle, à son image et à sa ressemblance. Il ne porte que sur les créations successives de deux individus sexuellement différenciés, Adam et la femme, « ischa ».

   Il est plausible de supposer qu’ils ont emprunté ce récit au deuxième chapitre élohiste présumé, mais en le retouchant profondément pour faire de l’Adam l’homme universel créé par Dieu, l’ancêtre du peuple juif et aussi du judaïsme.

   En effet, tout en se référant à la narration élo­histe, il rompt avec elle, parce qu’il suppose une autre narration de la création du monde. Adam n’est pas créé comme dans la narration élohiste, à l’issue de la création des cieux et de la terre ainsi que des plantes et des animaux, mais au moment où la terre était encore un désert aride et infécond, et son sol recouvert de poussière. Ainsi Adam, l’homme qui, dans le premier chapitre élohiste est le couronnement de la création, naît dans le désert de la même façon que le peuple juif. Nous le verrons plus en détail par la suite.


Nous avons suivi le mythe de la création de l’homme dans son parcours de la Grèce au monde juif. Mais, à ce point, la recherche se complique parce que le mythe a été intégré dans les deux courants du judaïsme, l’élohiste et le yahviste, après avoir été remanié pour y être adapté.


Ainsi, pour retrouver le sens que les Juifs ont don­né au mythe prométhéen, il faut procéder à une double analyse : tout d’abord sur le texte yahviste, ensuite sur le récit élohiste, une fois qu’il aura été reconstitué après la déstructuration du texte yah­viste.




Le 18 avril 2000




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