ANALYSE  RÉFÉRENTIELLE
ET  ARCHÉOLOGIQUE


                              Auteurs Méthode Textes
  Plan Nouveautés Index Liens Aide





Ennio Floris



La  création  d'Adam



Genèse 2: 7




Le sens du récit yahviste




2– Du récit mythique à l’histoire



Magnum Dictionarium, de P. Danet, 1691





Sommaire
Le contexte

Exégèse
Et une vapeur s'éleva
Yahvé-Élohim forma
Il souffla sur les narines


Le genre littéraire

Genèse du récit

Le récit yahviste
De la conscience de soi au
  récit
Du récit mythique à l'histoire  

Le texte élohiste

Les deux Adam


yant considéré l’Adam surgi de la conscience que les Juifs ont d’eux-mêmes et la personnification de leur projet d’existence, suivons maintenant le pro­cessus inverse, en allant de l’Adam mythique à l’Adam vécu par le peuple, à l’Adam de l’histoire. Prenons pour point de départ Abraham, le père his­to­rique du peuple juif, et prolongeons le chemine­ment par la naissance d’Isaac, l’ancêtre des aînés historiques, puis celle des fils d’Isaac comme peu­ple, et la transformation de celui-ci en nation.

   La Genèse présente Abraham comme un berger en route du Golfe Persique à l’Égypte, à travers la terre de Canaan qui, au cours de son errance, sus­cite en son cœur le désir d’une terre qui soit la sien­ne. Il peut figurer l’Adam du mythe qui, chassé du paradis, vient sur la terre en quête d’un lieu où vivre sa vie d’homme. Mais la terre semble fuir Abraham, qui reste partout étranger, ne trouvant d’autre lieu que celui que lui offre Dieu. Et Dieu le bénit, lui promettant une terre pour lui-même mais aussi pour toute sa descendance, qui deviendra un peuple, une nation aussi nombreuse que les étoiles du ciel, le sable de la mer et la poussière de la terre ( Gn 13: 16 ).

   Métaphore surprenante ! Adam, le père d’Abra­ham et donc de sa génération, est issu par Dieu de la poussière de la terre. Grâce à cette bénédiction divine, la poussière légère qui s’envole sous le vent donne sens à sa vie. La génération d’Abraham s’envole dans le temps, poussière qui devient une nuée de gens, de peuples et de nations !


Je rechercherai ces analogies dans les trois événe­ments que furent la naissance d’Isaac – l’aîné des enfants d’Abraham – puis celle du peuple, enfin la résurrection du peuple du tombeau et sa déporta­tion à Babylone, qu’eurent en vision les prophètes.


Quand Isaac naquit, Abraham avait cent ans et Sara, sa femme, quatre-vingt-dix. On estima donc miraculeuse cette naissance, étant donné l’infécon­dité due à l’âge respectif des partenaires. Selon les textes, elle fut annoncée à Abraham par différentes visions de Dieu, ce qui suscita le rire chez lui. À la nouvelle que Sara aurait un fils, Abraham « tomba sur sa face et il rit et il dit en son cœur : " naîtra-t-il un fils à un homme de cent ans ? Et Sara, quatre-vingt-dix ans ? » ( Gn 17: 17 ). À la venue parmi les chênes à Mamré de trois hommes, accueillis comme des anges, Sara qui se trouvait à l’entrée de la tente, rit en entendant l’un d’eux : « et voila Sara, ta femme, aura un fils » ( Gn 18: 10 ). Elle rit encore à la naissance de son fils : « Dieu m’a fait un sujet de rire ; quiconque l’ap­prendra rira de moi » ( Gn 21: 6 ). Ce rire veut signifier l’étonnement que suscitait en eux le pro­dige de cette naissance.

   En effet, Dieu dit à Abraham d’appeler cet en­fant du nom d’Isaac ( Gn 17:19 ), qui est la troi­sième personne du verbe « sahaq », qui signifie « rire ». Isaac est donc le signe vivant de l’inter­vention divine dans sa naissance.


Si on compare le récit de la naissance d’Isaac et celui de la création d’Adam, celui-ci ne fait pas allusion au rire.

   Mais si le texte ne le mentionne pas, comment le lecteur n’y songerait-il pas ? En effet, ne peut-on rire du récit de la création comme Abraham et Sara le firent à la naissance d’Isaac, parce qu’il est impossible à une statue d’argile de devenir un homme ? Ce serait susciter le même étonnement. Dans les deux cas, la naissance d’un homme a été possible grâce à l’intervention miraculeuse de Dieu. Différents dans leur forme, les deux événements sont analogues dans leur signification, car il s’agit non d’une génération mais d’une création. Dans les deux naissances, la présence de Dieu est dévoilée : Adam est un homme issu de la poussière, Isaac, d’une chair stérile et amoindrie.


Ce miracle se renouvelle lors de la naissance des enfants d’Isaac comme peuple, naissance qui, dans les livres de la Torah, devient une épopée, dont le Cantique de Moïse célèbre le triomphe. Le peuple, déjà en formation dans les douze enfants de Jacob, vivait en Égypte par la grâce du Pharaon mais, exploité pour son travail, il était esclave du peuple égyptien ! La souffrance de cet esclavage éveilla en lui le souvenir des promesses que Dieu avait faites à Abraham et poussa les hommes à la révolte : Moïse en fut l’artisan et le héros. Les tribus par­vinrent à fuir avec leurs biens, elles traversèrent la mer Rouge et campèrent dans le désert pendant quarante ans.

   Quelles analogies trouver entre le récit de la naissance du peuple juif et celui de la création d’Adam ? Les enfants de celui que Dieu fit de la « poussière » du sol naissent comme peuple de la poussière du sable du « désert », pour devenir nombreux comme la « poussière » de la terre.

   « Poussière », mot magique qui s’offre à la conscience de soi d’un peuple comme l’expression de sa création, de sa croissance, mais aussi, comme nous verrons, de sa mort.


Le peuple juif naquit sur une terre aussi désertique que celle où Dieu avait créé Adam, son ancêtre. Désert dans lequel, comme sur la terre de la création « aucune herbe des champs ne germait... car Dieu n’avait pas fait pleuvoir ». Or sur le sable de ce désert, Dieu devait constituer en peuple les enfants de cet Adam formé dans la terre désertique des origines. Pour abreuver ces enfants, il dut faire jaillir l’eau du rocher ; pour les rassasier, diriger l’envol des cailles vers le désert, faire pleuvoir du ciel de la manne, et encore faire goutter du miel sur les rochers. De plus, il les instruisit de sa parole par la bouche de Moïse, et les couvrit de son esprit. « Dans une solitude aux effroyables hurlements, il a entouré, il a pris soin, il a gardé comme la prunelle de ses yeux, pareil à l’aigle qui éveille sa couvée, voltige sur ses petits, déploie ses ailes, les porte sur ses plumes » ( Dt 32: 11 ). Ainsi s’exprime Moïse dans son Cantique. Dieu « voltige » au-dessus du sable de ce désert, comme au commencement son « esprit » « voltigeait » sur la face de l’abîme. Il souffle sur ses enfants pour qu’ils croissent et constituent un peuple, comme il avait soufflé sur leur père Adam pour qu’il de­vienne un homme.

   Impact du mythe de la naissance dans la con­science de soi du peuple juif ou interprétation de leur expérience de vie par le sens que lui donne le récit de la création ?


Moïse, dans son Cantique, ne se borne pas à cé­lé­brer les exploits de Dieu chez les enfants d’Adam. Il avait réuni le peuple parce qu’il savait qu’une fois entré dans la terre promise, il abandonnerait son Dieu.

   Si son Cantique célèbre les bienfaits de Dieu pour ses enfants, il prophétise aussi sa colère au jour où ils l’abandonneront : « Il l’a fait monter sur les hauteurs du pays, dit-il encore au peuple réuni... et il l’a fait sucer le miel du rocher, l’huile qui sort du rocher, la crème des vaches et le lait des brebis... et Israël est devenu gras et replet et il a abandonné Dieu, son créateur » ( Dt 32: 13-15 ). Dès lors, il ne peut que lui annoncer la colère de Dieu, comme un feu qui dévorera les terres et leurs produits, embrasera les montagnes au point que le peuple sera desséché par la faim et qu’il périra par l’épée : « Le feu de ma colère s’est allumé et il brûlera jusqu’au fond du séjour des morts » ( Dt 32:22 ).


Ces paroles de Moïse nous entraînent loin dans l’histoire, du récit de Josué à ceux des Rois, ren­contrant les juges et les règnes de David et de Salo­mon, enfin la chute des royaumes de Samarie et de Jérusalem et la déportation du peuple par les Assy­riens et les Babyloniens, les Grecs et les Romains. À ce point, on ne voit plus l’accomplissement des promesses de Dieu à Abraham, mais de celles de Moïse dans son Cantique : la mort et la résur­rection.

   On retrouve cette mort chez Ézéchiel, le pro­phète auquel a été donné de voir la transformation de la terre promise en séjour des morts, et la résur­rection de ceux-ci pour l’accomplissement des pro­messes du royaume de Dieu : « L’Éternel me transporta au milieu d’une vallée remplie d’os­sements. Il me fit passer auprès d’eux tout autour : et voici, ils étaient fort nombreux à la surface de la vallée et ils étaient complètement secs » ( Ez 37: 1-4 ). Le prophète est conduit dans cette vallée par l’esprit lors d’une vision où Dieu lui ordonne d’invoquer sa venue sur ces ossements, afin qu’ils puissent revivre. « Ainsi parle le Seigneur à ces os : " Voici, je veux faire entrer en vous un esprit et vous vivrez ". Et tandis qu’il prophétisait, les os se mirent en mouvement en s’approchant les uns des autres, et se lièrent avec des nerfs et se cou­vrirent de chair. Mais il n’y avait point en eux d’esprit ». Si sa parole a le pouvoir de transformer ces os en chair, elle est impuissante à rendre vi­vants ces hommes. Le prophète invoque alors l’es­prit : « Esprit, viens des quatre vents, souffle sur ces morts et qu’ils revivent ". Et l’esprit entra en eux, et ils reprirent vie » ( Ez 37: 9 ).

   Relisons à nouveau ce passage à la lumière du récit de la création d’Adam. Entre les deux événe­ments – la création et la résurrection – il s’est pro­duit la rupture de la mort, car la création, qui a donné vie à Adam à partir de la poussière, retourne à la poussière, tandis que la résurrection, qui part de cette poussière de mort, recrée l’homme. Elle est donc une nouvelle création. En effet, les deux événements se déroulent de façon analogue : la création aboutit d’abord au corps de l’homme par le modelage de la poussière, ensuite à l’homme vi­vant par le souffle de l’esprit ; de même, la résur­rection reconstitue tout d’abord le corps par la prophétie d’Ézéchiel, et rend ensuite vivant ce corps d’homme par l’esprit.


Mais n’oublions pas que la création est comprise ici non comme celle des hommes, mais exclusive­ment comme celle d’Adam en tant que père des Juifs. C’est donc la résurrection et la nouvelle créa­tion du peuple juif.

   Reste à savoir si cette résurrection est historique ou eschatologique. Considérée comme événement historique on peut la voir accomplie dans les tenta­tives de libération du peuple juif de son esclavage des grandes puissances. On pourrait la reconnaître dans le retour de l’exil, la reconstitution du temple comme au temps d’Ézéchiel, la guerre des Maca­bées et, aujourd’hui, l’État d’Israël. Mais il serait difficile de considérer ces événements comme des résurrections et de nouvelles créations ! La résur­rection reste donc une espérance dans la foi issue de la parole prophétique des Écritures. Le christia­nisme croit à cette résurrection et cette nouvelle création de tous les hommes par le Christ à la fin des temps. Sa foi est eschatologique. Quoiqu’il en soit, le récit demeure toujours signifiant, dans la mesure où il est mythique.




Le 18 avril 2000




Retour à l'accueil De la conscience de soi au récit Haut de page Le texte élohiste sur la création d'Adam    Imprimer

t425200 : 13/01/2017