ANALYSE  RÉFÉRENTIELLE
ET  ARCHÉOLOGIQUE


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Ennio Floris



Jésus  rejette  la  loi  sur  le  divorce


Marc 10: 1-12




Le précepte du divorce



Magnum Dictionarium latinum et gallicum, de P. Danet, MDCXCI





Introduction
Sommaire

Le précepte du divorce

Les Proverbes et Malachie
La femme de la jeunesse
La femme de l'alliance

Dans le sillage de Malachie : Jésus

La dispute de Jésus avec les pharisiens
La critique de Jésus
Réplique des pharisiens
Les raisons de Jésus

Jugement de Jésus, ou du « Jésus-Christ » de la foi ?

orsqu’un homme aura pris et épousé une femme qui viendra à ne pas trouver grâce à ses yeux, parce qu’il a découvert en elle quelque chose de honteux, il écrira pour elle une lettre de divorce et, après la lui avoir remise en main, il la renverra dans sa maison.

   Elle sortira de chez lui, s’en ira et pourra deve­nir femme d’un autre homme. » ( Dt 24: 1-2 )

Ce précepte fait partie du code deutéronomique consacré aux lois et ordonnances. Du fait qu’il don­nait aux hommes un droit dénié aux femmes, ce précepte était pour les premiers un privilège qui mettait les femmes dans une condition pénible et humiliante de subordination à leur pouvoir.

   Cela ne pouvait pas ne pas susciter des troubles dans les consciences, ainsi que des tentatives pour infléchir la Loi vers plus de justice envers les fem­mes. Mais en tant que loi, le précepte ne pouvait pas être contesté s’il avait été mis en œuvre en bonne et due forme. En effet, le renvoi de la femme ne pouvait avoir valeur de divorce que si l’homme l’avait rédigé sous la forme d’un document ( lettre – sefer ) et s’il l’avait remis à la femme en mains propres. Nécessaire pour l’homme, qui pouvait ainsi justifier légalement son acte, la lettre de divorce était aussi indispensable pour la femme, qui y conservait la preuve qu’elle n’avait pas été renvoyée pour un délit, mais par un acte légal de divorce.


Le précepte était donc de droit, pour autant était-il juste ? Il faut analyser son contenu, en gardant aussi sa forme présente à l’esprit. Évidemment, s’agissant d’un article de loi, il est écrit sans aucune figure rhétorique, avec des mots qui adhèrent à la chose de façon immédiate, concrète et réelle. Mais la traduc­tion française de Segond est trop faible pour nous faire saisir la portée de l’acte réel. Il faut donc, dans la mesure du possible, arriver à comprendre son mode d’expression, inévitablement estompé par la traduction.


« Lorsqu’un homme aura pris et épousé une femme... » « pris » ( laqah ) comme une chose achetée et dont on devient propriétaire, « et épou­sé », de « bahal » qui signifie dominer – posséder, c’est à dire épouser – cohabiter. Le même mot est le support des deux couples de signifiés, qui sont opposés pour nous, mais qui ne l’étaient pas pour le

peuple juif, parce qu’en épousant sa femme, l’homme venait à la posséder et à la soumettre à son pouvoir.

   Le mari est un « bahal », c’est à dire un maître, et donc la femme une « bahalah », une propriété de l’homme, un être à sa soumission. Paradoxalement, la Bible est semée d’invectives contre « Bahal » le dieu phénicien, dont tous les hommes sont tenus de s’éloigner pour ne pas pécher contre Dieu 1R 18:40 – Jr 23: 13 ), alors que l’homme porte en lui cette idole : marié, il agit en « Bahal » à l’égard de sa femme.

   « Et s’il arrive qu’elle ne trouve plus grâce à ses yeux ». Puisque le mot « grâce » ( Hin ) atteste la beauté, il est légitime de traduire : « S’il arrive que sa beauté ne frappe plus ses yeux », ou bien « S’il arrive qu’il ne la trouve plus belle ». Le discours n’a pas de sujet : « S’il arrive », comme par hasard, en sorte que personne, ni elle ni lui, n’est coupable. Et ce hasard est suffisant pour la renvoyer. Pourquoi ? « Parce qu'il a trouvé en elle une chose hon­teuse » ( dabar harvah ), c’est à dire sa nudité au sens sexuel ( la nudité, au sens général, se dit « hariah »).
   La femme aurait-t-elle commis un péché en découvrant honteusement sa nudité ou celle de son mari ? En ce cas, elle aurait été coupable. Aurait-elle alors commis un acte qui l’aurait rendue impure ? Non plus, car l’impureté aurait exigé sa purification, non son congédiement. De toute façon, si elle méritait d’être renvoyée, pourquoi lui aurait-on permis de se remarier ? Il s’agit donc d’actes impré­visibles contraires à sa sensibilité sexuelle et donc honteux, qui auraient provoqué en l’homme une vive aversion. Le miroir qu’elle représentait pour lui se serait brisé.

   « Aussitôt, il écrit la lettre de divorce qu’il remet dans ses mains et la " renvoie " ( chalah ) de sa maison » c’est à dire de la maison de l’homme, qui n’avait jamais été considérée comme appartenant aussi à la femme. Elle est chassée sans rien d’autre que la lettre de divorce, pièce qui garantit pour elle la liberté de se remarier, mais prouve aussi qu’elle a commis, aux yeux de son mari, une « chose honteuse ». Expression juridique qui dévoile le fait dans toute son injustice et sa brutalité, dans sa violence et sa vulgarité.
   Le mari donne à la femme la lettre de divorce avec un tel empressement qu’on la croirait écrite à l’avance, n’attendant que la découverte de la « chose honteuse », pour la chasser de sa maison avec sérénité. Il accomplit l’acte selon la justice, mais la femme en est blessée dans son honneur et dans sa dignité. Car sa possibilité de remariage ne la met pas à l’abri d’un second renvoi par le nouveau mari, et si celui-ci vient à mourir, elle ne pourra redevenir l’épouse de son premier mari parce qu’elle « a été souillée » en ayant couché avec d’autres hommesDt 24: 2-4 ). Étrange ! Renvoyée sans avoir commis de faute et s’étant remariée légitime­ment, elle est assimilée à une femme pécheresse et impure. D’ailleurs, si son ancien mari l’avait reprise, il aurait commis une « abomination » aux yeux de l’Éternel.

   Le lecteur moderne estimera sans doute que l’abomination réside au contraire dans ce précepte. Mais si l’on doit porter un jugement « historiciste », c’est à dire en correspondance avec la période où ce précepte a été formulé, celui-ci apparaît conforme au système religieux et éthique, juridique et social qui régissait le peuple juif. En effet, à la fois théo­cratique et patriarcal, ce système demeurait condi­tionné à la foi en un Dieu créateur tout puissant, et à la descendance légitime d’un père, source de l’héritage de la vie comme de la parole.


Le code deutéronomique ne contient pas de véri­table statut du mariage mais des lois, dont la prin­cipale est celle sur le divorce. L’homme a tout droit de renvoyer sa femme pour des raisons qui ne regardent que lui-même, car il est le maître et l’arbitre du mariage. Par rapport au système, ce précepte n’était donc pas injuste, mais conforme au principe théocratique et masculin des valeurs. En ce sens, il avait une fonction d’équilibre, de stabilité et de paix dans le mariage. La femme renvoyée par le mari parce qu’elle ne trouvait plus grâce à ses yeux était la même qui avait trouvé grâce à ses yeux comme dans son cœur, en devenant son épouse. Ainsi, porter une critique radicale sur le précepte du divorce impliquait de remettre en question tout le système religieux et moral, et donc les principes qui régissaient la foi en Dieu et l’obéissance au père.




Le 20 janvier 2001




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t451000 : 18/02/2017