ANALYSE RÉFÉRENTIELLE |
Ennio FlorisJésus rejette la loi sur le divorceMarc 10: 1-12 |
Le précepte du divorce |
Introduction Sommaire Le précepte du divorce Les Proverbes et Malachie . La femme de la jeunesse . La femme de l'alliance Dans le sillage de Malachie : Jésus La dispute de Jésus avec les pharisiens . La critique de Jésus . Réplique des pharisiens . Les raisons de Jésus Jugement de Jésus, ou du « Jésus-Christ » de la foi ? |
orsqu’un homme aura pris et épousé une femme qui viendra à ne pas trouver grâce à ses yeux, parce qu’il a découvert en elle quelque chose de honteux, il écrira pour elle une lettre de divorce et, après la lui avoir remise en main, il la renverra dans sa maison. Elle sortira de chez lui, s’en ira et pourra devenir femme d’un autre homme. » ( Dt 24: 1-2 ) Ce précepte fait partie du code deutéronomique consacré aux lois et ordonnances. Du fait qu’il donnait aux hommes un droit dénié aux femmes, ce précepte était pour les premiers un privilège qui mettait les femmes dans une condition pénible et humiliante de subordination à leur pouvoir. Cela ne pouvait pas ne pas susciter des troubles dans les consciences, ainsi que des tentatives pour infléchir la Loi vers plus de justice envers les femmes. Mais en tant que loi, le précepte ne pouvait pas être contesté s’il avait été mis en œuvre en bonne et due forme. En effet, le renvoi de la femme ne pouvait avoir valeur de divorce que si l’homme l’avait rédigé sous la forme d’un document ( lettre – sefer ) et s’il l’avait remis à la femme en mains propres. Nécessaire pour l’homme, qui pouvait ainsi justifier légalement son acte, la lettre de divorce était aussi indispensable pour la femme, qui y conservait la preuve qu’elle n’avait pas été renvoyée pour un délit, mais par un acte légal de divorce. Le précepte était donc de droit, pour autant était-il juste ? Il faut analyser son contenu, en gardant aussi sa forme présente à l’esprit. Évidemment, s’agissant d’un article de loi, il est écrit sans aucune figure rhétorique, avec des mots qui adhèrent à la chose de façon immédiate, concrète et réelle. Mais la traduction française de Segond est trop faible pour nous faire saisir la portée de l’acte réel. Il faut donc, dans la mesure du possible, arriver à comprendre son mode d’expression, inévitablement estompé par la traduction. « Lorsqu’un homme aura pris et épousé une femme... » « pris » ( laqah ) comme une chose achetée et dont on devient propriétaire, « et épousé », de « bahal » qui signifie dominer – posséder, c’est à dire épouser – cohabiter. Le même mot est le support des deux couples de signifiés, qui sont opposés pour nous, mais qui ne l’étaient pas pour le peuple juif, parce qu’en épousant sa femme, l’homme venait à la posséder et à la soumettre à son pouvoir. Le mari est un « bahal », c’est à dire un maître, et donc la femme une « bahalah », une propriété de l’homme, un être à sa soumission. Paradoxalement, la Bible est semée d’invectives contre « Bahal » le dieu phénicien, dont tous les hommes sont tenus de s’éloigner pour ne pas pécher contre Dieu ( 1R 18:40 – Jr 23: 13 ), alors que l’homme porte en lui cette idole : marié, il agit en « Bahal » à l’égard de sa femme. « Et s’il arrive qu’elle ne trouve plus grâce à ses yeux ». Puisque le mot « grâce » ( Hin ) atteste la beauté, il est légitime de traduire : « S’il arrive que sa beauté ne frappe plus ses yeux », ou bien « S’il arrive qu’il ne la trouve plus belle ». Le discours n’a pas de sujet : « S’il arrive », comme par hasard, en sorte que personne, ni elle ni lui, n’est coupable. Et ce hasard est suffisant pour la renvoyer. Pourquoi ? « Parce qu'il a trouvé en elle une chose honteuse » ( dabar harvah ), c’est à dire sa nudité au sens sexuel ( la nudité, au sens général, se dit « hariah »). « Aussitôt, il écrit la lettre de divorce qu’il remet dans ses mains et la " renvoie " ( chalah ) de sa maison » c’est à dire de la maison de l’homme, qui n’avait jamais été considérée comme appartenant aussi à la femme. Elle est chassée sans rien d’autre que la lettre de divorce, pièce qui garantit pour elle la liberté de se remarier, mais prouve aussi qu’elle a commis, aux yeux de son mari, une « chose honteuse ». Expression juridique qui dévoile le fait dans toute son injustice et sa brutalité, dans sa violence et sa vulgarité. Le lecteur moderne estimera sans doute que l’abomination réside au contraire dans ce précepte. Mais si l’on doit porter un jugement « historiciste », c’est à dire en correspondance avec la période où ce précepte a été formulé, celui-ci apparaît conforme au système religieux et éthique, juridique et social qui régissait le peuple juif. En effet, à la fois théocratique et patriarcal, ce système demeurait conditionné à la foi en un Dieu créateur tout puissant, et à la descendance légitime d’un père, source de l’héritage de la vie comme de la parole. Le code deutéronomique ne contient pas de véritable statut du mariage mais des lois, dont la principale est celle sur le divorce. L’homme a tout droit de renvoyer sa femme pour des raisons qui ne regardent que lui-même, car il est le maître et l’arbitre du mariage. Par rapport au système, ce précepte n’était donc pas injuste, mais conforme au principe théocratique et masculin des valeurs. En ce sens, il avait une fonction d’équilibre, de stabilité et de paix dans le mariage. La femme renvoyée par le mari parce qu’elle ne trouvait plus grâce à ses yeux était la même qui avait trouvé grâce à ses yeux comme dans son cœur, en devenant son épouse. Ainsi, porter une critique radicale sur le précepte du divorce impliquait de remettre en question tout le système religieux et moral, et donc les principes qui régissaient la foi en Dieu et l’obéissance au père. |
t451000 : 18/02/2017