Sommaire
Introduction
Les généalogies
L’amour chrétien
- Introduction
- Écrits néotestamentaires
- Refoulement par l’Église
L’humanité de l’amour
Nécessité d’un modèle érotique
Révolution sexuelle et révolution marxiste
Éros et psychanalyse
Révolution culturelle et agape
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La littérature néotestamentaire
Ce soupçon nous oblige à nous rapporter à la littérature néotestamentaire, où ce système de valeur a pris naissance (1). Ici nous rencontrons ces Églises dont on conteste aujourd’hui encore le pouvoir répressif. Pour ce qui est de l’ambiguïté, il suffit de savoir que dans toute cette littérature le mot « éros » n’apparaît pas (2). Cette absence est fondée, à son tour, dans le modèle généalogique d’où ces écrits tirent leur image d’homme. C’est une généalogie qui joint le modèle génétique juif et le modèle grec, dont l’un remonte à une femme stérile et l’autre à une mère vierge (3).
La stérilité est la marque de la souveraineté du génétique sur l’érotique dans le cadre d’une visée humaine dominée par la toute puissance du père. La virginité implique, en dépit du sens que le mot a assumé postérieurement, une relation érotique qui a transgressé l’interdit de l’inceste. En effet, dans la mesure où la vierge refuse l’homme pour n’être aimée que par Dieu, elle s’unit au père transféré dans la personnalité divine. C’est pourquoi la malédiction de l’interdit de l’inceste pèse inexorablement sur la génération des héros grecs (poésie tragique), tandis que la bénédiction divine hante comme un rêve libérateur la génération juive (prophétisme messianique).
Mais leur rencontre dans la généalogie du « Christ » les amène aussi à leur éclatement. Marie, la dernière mère, non seulement met fin à la série des mères stériles, mais arrête aussi la succession des mères vierges, puisque son fils ne prend pas de femme (4). Ainsi les deux axes généalogiques n’aboutissent-ils plus, comme jadis, à des fils unis sous le pouvoir du père, mais à des hommes unis par la médiation du fils.
Le schéma culturel primitif en sort profondément modifié. En effet, s’il n’y a plus ni père ni mère il n’y aura pas non plus de génération ni d’éros. À leur place une nouvelle relation d’amour apparaît, qui unit les hommes en communauté des frères (5).
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(1) C’est l’hypothèse proposée par L. Spitzer, mais d’inspiration vichienne, selon laquelle les écrits néotestamentaires contiennent la représentation mythico-poétique du projet d’homme que la civilisation occidentale a cherché à accomplir pendant ses deux millénaires d’existence. Spitzer parle de code sémantique, alors qu’il s’agit à proprement parler de système de valeurs. L. Spitzer, Critica stilistica e semantica, Laterza, Bari, 1946. 
(2) On retrouve la même pénurie sémantique dans la langue latine. S’il est vrai que « amor » dérive de « amit – amita » (expression populaire pour « maman »), on peut comprendre pourquoi, dans la civilisation latine, l’amour était conditionné par le pouvoir du père. 
(3) Mt 1:1-17 ; Lc 3:23-38. Quant à la culture grecque, je renvoie à la mythologie, où tous les héros naissent d’une vierge fécondée par Zeus ou par un autre dieu. Pour la stérilité dans la culture juive, voir dans la Bible : Sarah (Gn 16:2), Rébecca (Gn 25:21), Rachel (Gn 29:31), la mère de Samson (Jg 13:2), Anne (1 S 1:5). 
(4) Voir l’étude détaillée sur la naissance de Jésus. 
(5) Le projet remonte à la visée prophétique de Jésus lui-même (Mc 3:31-35 ; Mt 12:46-50 ; Lc 8:19-21), mais il ne devient culture que dans l’Église, par le processus d’exaltation de Jésus au ciel. À cet égard, le passage de Mt 28:10 est très significatif : le ressuscité apparaît aux femmes en disant « allez dire à mes frères de se rendre en Galilée » ; une fois ressuscité le fils, mort pour ses frères, devient le fondement de leur union en Église. 
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