ANALYSE  RÉFÉRENTIELLE
ET  ARCHÉOLOGIQUE


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Ennio Floris



Prométhée et Jésus :
d’Eschyle aux évangiles


(esquisse d’une théologie du mythe)





Deuxième partie :
Le mythe d’Io et l’évangile de Marie

VI – La vierge




Sommaire

Introduction

Dieu, le Sauveur et la mort

Le mythe d’Io et l’évangile de Marie
- Dieu et la vierge
- La fortunée et la
  graciée
- Le souffle et l’esprit
- Les persécutions
- Les naissances
- Les vierges
  . Io
  . Marie
- Épaphos et Jésus
- Prométhée et Siméon

Conclusion théologique



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Io, le vouloir rester vierge


   Lorsque le messager de Zeus exhorte Io à renoncer à sa virginité, il emploie un verbe qui nous révèle la nature et la valeur du célibat de la jeune-fille, car « partenuein » (Prom. 648) signifie précisément garder la virginité, ajouter au fait d’être vierge le désir de le rester.

   Mais pourquoi Io veut-elle rester vierge ? Pourquoi veut-elle persister dans une voie à laquelle les dieux eux-mêmes sont opposés ? Il faut que nous interrogions le mythe dans son ensemble. Io éprouve à l’égard du mariage une profonde répugnance, sa volonté de rester vierge vise à écarter d’elle le mariage sous toutes ses formes. La lutte entre les Égyptiens et les Danaïdes – exposée dans Les suppliantes – reflète dans l’histoire l’angoisse d’Io, car celle-ci est victime du complexe du rapt.
   Le mariage en effet est né à la suite de la violence exercée par les mâles contre les femmes, notamment pendant les guerres de razzia : sauvées de la mort pour être mises au service de la sexualité des mâles vainqueurs, les femmes étaient esclaves de l’homme. Même lorsque le rapt a cédé la place au contrat de mariage, les femmes n’étaient pas délivrées de la violence des hommes car ceux-ci, bien que retenus par les obligations du contrat, restaient toujours des ravisseurs et s’emparaient des femmes sans leur consentement.
   Io est une jeune-fille révoltée contre l’arrogance et la violence des mâles : elle hait le mariage parce qu’il représente l’esclavage des femmes. Pour échapper à la prétention des hommes, elle devient vierge, c’est-à-dire jeune-fille retranchée du monde et consacrée aux dieux ; personne ne peut la toucher, car elle est la propriété des dieux.

   C’est à cause de sa répugnance à l’égard du mariage et de sa haine contre les mâles que Zeus fixe sur elle ses regards d’amour. Voulant engendrer une nouvelle race, c’est par une femme séparée des hommes qu’il veut le faire.
   Dieu ne veut pas ravir Io, bien qu’il puisse le faire, mais il cherche à s’unir à elle avec son consentement. Son union avec la vierge doit exprimer un nouveau type de mariage, dans lequel la femme reste libre vis-à-vis de l’homme. Mais dans sa réponse, Io manifeste une démesure qui la rend sourde à la volonté de Zeus : elle refuse l’invitation de Dieu car elle voit dans tout mariage, même dans celui que Zeus lui offre, un esclavage contraire à sa liberté. Du fait de ce refus, sa virginité reste stérile, elle rend la jeune-fille égoïste, rebelle, et la voue à s’épuiser dans la solitude. Le complexe du rapt efface toute perspective de maternité et tue en elle la femme. Son état est une situation de désordre démesuré, qui la détache du plan de salut envisagé par Zeus sur l’histoire.

   C’est alors que ce Dieu, qui s’était adressé à la vierge avec douceur dans la vision nocturne, parle d’une façon autoritaire et âpre par l’oracle. Se vouant aux dieux pour échapper au mariage, Io devient la proie de la violence des immortels. Zeus se fait, lui aussi, le ravisseur de sa virginité afin qu’elle apprenne par la souffrance à être mère.
   La façon dont Zeus pousse Io vers la prairie de Lerne revêt l’aspect d’un enlèvement, Io est comme traînée par Dieu là où celui-ci veut satisfaire ses désirs, tandis que la jeune-fille, obéissante par peur, reste rétive. Même lorsqu’elle se portera aux pieds du grand souffrant, elle se plaindra de Zeus. Sa démesure se transforme en une lutte angoissée entre sa virginité et sa maternité : elle veut rester vierge, et elle est ravie ; elle ne veut pas devenir mère, et elle est fécondée. Sa virginité est détruite par le mariage, et son mariage étouffé par le désir de la virginité.

   Io sera délivrée de cette souffrance lorsque Zeus la touchera pour la faire accoucher, mais la contradiction de sa démesure se reflète dans sa descendance. Comme nous l’avons vu sommairement, d’après Les suppliantes les Danaïdes qui fuient les Égyptiens sont tourmentées par la même angoisse. Elles ne veulent pas se marier, et sont poursuivies par les mâles qui cherchent à les ravir. Ceux-ci veulent se marier, et ils sont arrêtés par la haine des jeunes-filles. Dans la descendance comme dans l’aïeule la même contradiction, la même violence, la même scission. Leur lutte les conduira à la mort.
   Celle qui sauvera la race sera Hypermestre qui, au lieu de tuer son partenaire égyptien, s’approchera de lui pour être fécondée. Elle a été la seule à fixer ses regards sur l’enfant que Zeus avait donné à Io, c’est le désir d’être mère d’une race divine qui l’a fait renoncer à sa virginité sauvage pour accepter le mariage. La race est délivrée de la démesure d’Io parce qu’Hypermestre est parvenue à comprendre qu’une virginité qui se dresse contre le mariage conduit à la destruction de la vie.

   Il y a dans la virginité d’Io un élément positif, en ce qu’elle s’oppose à toute tyrannie sexuelle, qu’elle se refuse à une sexualité qui détruit la liberté et la dignité de la femme ; ce célibat est par contre négatif parce qu’il renie le mariage pour s’opposer à la violence des hommes.
   Le mythe instaure un nouveau mariage, qui garde dans le couple cette dignité et cette liberté de la personne de la femme pour lesquelles Io avait combattu. La femme accède au mariage par son consentement, par une libre initiative de volonté, réduisant à néant toute prétention des hommes. Dès lors, la virginité d’Io n’a plus de raison d’être, elle reste seulement un état de préparation au mariage pendant une période où la femme reste sans homme pour se préparer à l’homme. Si être vierge signifie être toujours libre de soi-même, la jeune-fille restera toujours vierge, même mariée, car elle n’est plus ravie mais appelée, non plus soumise aux plaisirs de l’homme mais vouée au bonheur du couple, pour la génération future.



c 1960




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t920610 : 06/02/2021