Analyse sémantique des récits :
La remise du corps de Jésus par Pilate à Joseph d’Arimathée
Dans le survol critique de ce texte sur la mise au tombeau de
Jésus, j’ai fait allusion à l’étrangeté de ce récit, qui demeure en dehors de son contexte comme de la réalité de sa référence. Nous avons vu que
Joseph aurait dû échouer s’il avait tenté d’obtenir de
Pilate le corps de
Jésus, parce qu’il ne remplissait pas les conditions exigées pour sa remise.
Je me fonde sur la constatation que la situation d’existence de
Jésus, en tant que condamné, était spéciale. En effet, ayant été accusé non seulement pour outrances de langage contre les autorités politiques et religieuses du pays, mais aussi pour avoir cherché l’abolition du pouvoir politique sacerdotal,
Jésus n’aurait pas pu échapper à la condamnation à mort par
Caïphe (
Jn 18:24),
grand-prêtre au pouvoir. Or les
juifs, ne pouvant pas exécuter cette condamnation puisque les
Romains s’étaient réservé le droit d’infliger la peine capitale (
Jn 18:31), durent remettre
Jésus entre leurs mains. Les
Romains n’avaient donc exécuté
Jésus que pour le compte des
juifs, et
ils devaient
leur remettre son corps après son exécution.
Pilate, homme certes habile et rusé, aurait pu ne pas tenir compte de cette obligation, mais
il aurait rencontré une réaction violente de la part des
juifs outragés dans leur droit.
Cherchons à suivre comment ces actes se sont déroulés suivant les récits évangéliques, et conformément à leur interprétation des faits, sans omettre une critique dialectique pour autant, afin de saisir leur méthode d’approche des faits. Nous choisissons le récit de
Jean, parce que le plus complet à cet égard (
Jn 19:31-35).
Cela faisait déjà trois heures que les crucifiés pendaient sur la croix quand «
les juifs demandèrent à Pilate qu’on rompe les jambes aux crucifiés et qu’on les enlève » (
Jn 19:31).
Ils alléguaient la raison que, étant dans le jour de parachève, on ne pouvait pas laisser les condamnés pendus sur la croix jusqu’au soir. En effet, étant des hommes maudis, et sous la loi des «
pendus au bois », ils auraient infecté de leur malédiction les vivants et les morts.
Pilate donna ordre de rompre leurs jambes et de les enlever. Par incidence on notera que les soldats, constatant que
Jésus était déjà mort, ne lui brisèrent pas les jambes, mais qu’un soldat
le frappa de sa lance en sorte que, de son côté, jaillirent du sang et de l’eau.
L’évangéliste reconnaît dans ce fait le signe de la valeur sacrificielle de la mort de
Jésus. Le sang qui coule du corps de
Jésus est l’eau purificatrice des péchés des hommes.
Ce récit est suivi par celui de la demande à
Pilate du corps de
Jésus par
Joseph d’Arimathée (
Jn 19:38). Il arrive donc que les deux groupes d’hommes se rencontrent chez
Pilate.
À la lecture, ces deux récits semblent cohérents. La venue des uns est distincte de celle des autres, et celle de ces derniers achève le but des premiers. Malheureusement, selon le contexte que nous avons plusieurs fois mis en évidence, elles s’opposent, car les deux groupes sont des adversaires, et le second demande à
Pilate d’obtenir ce
qu’il aurait dû remettre par droit aux premiers.
Y a-t-il eu une intrigue de la part des seconds, ou une entente entre les deux, suggérée peut-être par
Pilate lui-même en vue de la paix dans la région ? Selon le récit de
Jean, il n’y a pas eu d’intrigue, car elle aurait été rapidement découverte et suivie, à juste titre, d’une violente réaction de la part des
juifs. Or, non seulement il ne se passe rien, mais les deux groupes paraissent conscients de leur fonction, l’une distincte de l’autre et se déroulant successivement, les premier pour obtenir l’achèvement de la peine à l’approche du déclin du jour, le second pour obtenir de
Pilate le corps de
Jésus.
Le récit se tait sur les modalités de cette entente, et ne dit rien sur elle. Il convient dès lors d’essayer de la détecter. On découvre qu’il précise que
Joseph est «
disciple de Jésus en secret » (
Jn 19:38), titre qu’on pourrait supposer avoir été invoqué par
Joseph lui-même pour assurer
Pilate qu’il était en droit de demander la remise du corps de
Jésus. Ce droit, il est vrai, revenait aux membres de la parenté de
Jésus, mais puisque ceux-ci se trouvaient dans la clandestinité par peur d’être impliqués dans le procès, le corps de
celui-ci restait exclusivement à la merci des
juifs, qui estimaient que le corps revenait par droit au sanhédrin, accusateur et juge.
On peut dès lors supposer que, puisque les membres de la parenté de
Jésus étaient dans l’impossibilité de demander son corps, c’était aux amis de
Jésus de descendre dans l’arène. Ayant reconnu leur droit,
Pilate leur remet le corps de
Jésus. Sans doute peut-on croire que le
procurateur avait des motivations politiques. Le texte apparaît donc crédible.
Mais il ne faut pas oublier qu’on se trouve dans un des textes des récits évangéliques sur ce sujet, celui de
Jean. Si nous nous portons aux récits de
Marc et de
Luc, on trouve que
Joseph d’Arimathée jouit aussi d’un autre titre, celui d’être «
conseiller » du sanhédrin (
Mc 15:43 ;
Lc 23:50). L’hypothèse d’une entente entre les
juifs et les milieux de l’entourage de
Jésus apparaît donc possible sinon confirmée. On peut supposer que
Joseph se présentait au nom à la fois des
disciples de
Jésus et du sanhédrin. Les ennemis se seraient-ils réconciliés ? Non, mais arrivés à un compromis, politique. La personne de ce compromis est donc
Joseph d’Arimathée, l’homme qui vient à
Jérusalem «
de sa ville d’Arimathée précisément pour cet accord » (
Mc 15:43).
J’ai exploité toutes les ressources offertes par les textes ainsi que par leur contexte pour donner une réponse positive à la remise du corps de
Jésus par
Pilate aux
disciples. Mais les fondements de cette solution ne sont que des hypothèses. Il convient dès lors de voir si on obtient la même solution dans la mise du corps au tombeau. Si celle-ci s’avère négative, il est normal que la solution donnée à la première question soit fausse ou demeure douteuse. De toute façon, toute recherche oblige à ne pas rester au niveau de la possibilité mais à parvenir à la certitude. Malgré que la première réponse soit positive, le problème demeure. Il ne nous reste donc qu’à suivre
Joseph dans la mise du corps de
Jésus dans le tombeau.