Critique référentielle :
La remise du corps de Jésus à Joseph d’Arimathée
Nous avons vu, par l’analyse du récit, que le corps de
Jésus n’a pas été donné par
Pilate aux envoyés du sanhédrin, auxquels il appartenait pourtant puisque c’était le tribunal qui l’avait condamné, mais à un certain
Joseph d’Arimathée, qui le lui demandait à titre personnel, en faveur des
disciples de
Jésus. Pourquoi ce détournement de la part du
procurateur romain d’une obligation à lui imposée par la loi ? Le sanhédrin n’était-il pas le véritable possesseur du corps de
Jésus, le belligérant pour lequel les
Romains avaient conduit et gagné la guerre ? Le texte de
Jean en introduction de cette remise du corps de
Jésus nous en suggère les raisons.
En principe le sanhédrin aurait dû recevoir des
Romains le corps de
Jésus, car c’était lui qui le leur avait remis pour
le juger. Or il se trouve que le sanhédrin envoie l’après-midi ses hommes chez
le procurateur non pour demander et reprendre le corps, mais pour lui demander d’ordonner de briser les jambes des crucifiés afin qu’ils ne restent pas pendus sur la croix à la tombée du jour, car c’était la Parachève, veille du sabbat.
Et la reprise du corps de
Jésus ? Elle s’accomplit, mais par une autre personne, un certain «
Joseph d’Arimathée », qui serait par surcroît membre du sanhédrin mais qui s’était opposé à la condamnation de
Jésus. Y aurait-il eu une scission ouverte entre les membres du sanhédrin ? Non, puisqu’aucune tension ne se manifeste.
J’ai alors supposé que le sanhédrin avait renoncé à reprendre le corps de
Jésus, laissant
le procurateur romain arbitre de sa destination. Ce renoncement me donne à penser qu’il y avait eu au sanhédrin une volonté de conciliation avec les
disciples de
Jésus, leur permettant de reprendre le corps de
leur maître. En effet
Joseph demande à
Pilate le corps de
Jésus dans ce but, sans faire aucune mention d’un conflit. Tout se passe comme si les parties adverses, le tribunal romain et le sanhédrin étaient d’accord, les
disciples de
Jésus étant, sinon heureux, du moins indifférents à ce changement.
Or, c’est à partir de cette supposition que j’ai douté de l’objectivité du texte et que j’ai commencé à le soumettre à l’analyse référentielle. En effet, en portant mon attention sur les rapports existant entre le tribunal prétorial et le sanhédrin, je n’ai trouvé aucune raison qui aurait pu justifier un renoncement à la reprise du corps de
Jésus par celui-ci, car il ne s’agissait pas de relations personnelles, susceptibles de subir des changements selon les humeurs des contractants, mais d’un engagement juridique.
Le tribunal prétorial et le sanhédrin étaient liés, en tant qu’organes du pouvoir de justice des deux États, par un jugement pénal, il fallait que les deux sujets accomplissent leur mandat selon le droit et non selon leurs sentiments personnels. La loi exige des juges qu’ils se prononcent selon la vérité des faits, vérifiés selon les normes du droit. Au sujet de
Jésus,
Rome avait exigé du sanhédrin qu’il
le livre, pour qu’elle
le juge pour son compte, de même que le sanhédrin attendait
d’elle qu’elle
le remette, pour pouvoir reconnaître sciemment, selon ses propres lois, la condamnation de
Jésus. Les deux pouvoirs étaient dans une relation de justice, qui imposait à l’un la livraison du corps du condamné, à l’autre sa réception.
Cette constatation m’obligeait à reconnaître que le corps de
Jésus devait être remis au sanhédrin et non aux
disciples de
Jésus. Comment donc
les évangélistes ont-ils pu renverser la situation en supposant, comme nous avons vu, l’existence d’une entente entre
Pilate et le sanhédrin ? C’est
qu’ils n’avaient pas d’informations personnelles sur le fait et que, d’autre part, celles que les
juifs répandaient du sanhédrin étaient tout à fait opposées à leur foi en
Jésus. Car si les
Romains avaient remis le corps de
Jésus au sanhédrin, il aurait été enseveli selon la loi des «
pendus au bois », et donc comme un homme maudit par
Dieu, sans aucun culte et dans une terre marquée par « interdit », pour n’en pas être souillée.
Les évangélistes ont donc refusé les informations juives, pour chercher à connaître la réalité de l’ensevelissement de
Jésus selon
Paul et les Écritures,
puisqu’ils ne purent disposer d’informations plus fiables.
Nous savons ce que
l’apôtre avait transmis à cet égard. Les
juifs avaient condamné
Jésus à la peine capitale selon la loi des «
pendus au bois », peine qui fut exécutée par la « pendaison » sur la croix. Il n’y avait pas de doutes que cette mort fût soumise à la « malédiction ».
Mais
les évangélistes pensaient que
Jésus subissait cette mort comme victime d’un sacrifice, qui devait racheter les hommes du péché des origines. Qu’on le rappelle : l’homme vivait comme immortel dans le « jardin » de
l’Éden ; il pécha pour avoir cherché à être l’égal de
Dieu et il fut frappé par l’anathème de
Dieu et chassé
du jardin. Par sa mort,
Jésus libérait l’homme en devenant dans le sacrifice le maudit de
Dieu.
Mais la malédiction ne pouvait peser sur
lui que jusqu’au moment où l’homme en serait libéré. La rédemption accomplie, la malédiction n’existait plus, ni en
Jésus comme victime, ni dans l’homme. Mort,
Jésus n’était plus un homme maudit mais béni, réalité du premier homme libéré de la malédiction, de l’homme sorti de la mort et prêt à prendre le chemin de son retour au jardin de
l’Éden, lieu de l’immortalité. La compréhension du mystère de la mort de
Jésus accroche
les évangélistes au message de
Paul.
L’apôtre avait bien affirmé que la mort de
Jésus s’était accomplie par la loi des «
pendus au bois », donc par sa malédiction, mais puisque celle-ci n’existait plus en
lui une fois sa mort advenue : une fois enterré
Jésus n’était plus sujet à la malédiction, mais en attente de l’accomplissement de sa résurrection.
Jésus ne pouvait donc être jeté dans une fosse de maudits ni par les
Romains, ni par les
juifs du sanhédrin, car
il devait être mis dans un tombeau, en l’attente de l’accomplissement de sa résurrection.
Il devait être enseveli non pour pourrir, mais pour ressusciter comme l’homme des origines.