ANALYSE  RÉFÉRENTIELLE
ET  ARCHÉOLOGIQUE


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Ennio Floris


La crise galiléenne




La mise entre parenthèses du contexte et l’analyse du miracle :

L’accomplissement par le Jésus évangélique
du miracle opéré par le Christ des Écritures



Sommaire
Avertissement au lecteur

Mise entre parenthèses du contexte
- Introduction
- Le symposium du récit
- Les miracles du Christ
- Miracle de la croissance
- Miracle de la constitution
- Miracle du rassasiement
- Miracle de prédication
- Du miracle du Christ au
   miracle de Jésus
- Jésus accomplit un miracle
   du Christ

   - Miracles du Christ
   - Paradigme référentiel
   - Genèse structurale du texte
   - Articulation du sens

Mise entre parenthèses du miracle

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La genèse structurale du texte


   Ce paradigme peut être considéré comme une radiographie du champ référentiel du récit. Aux deux extrêmes, j’ai placé, à gauche les passages de l’Ancien Testament qui agissent sur le récit comme des connotations ou l’arrière-plan de son sens ; à droite des lieux du Nouveau Testament qui en déterminent le référent. Dans l’immédiate proximité du récit, j’ai placé les deux textes qui lui ont servi comme structure aussi bien de l’intrigue de l’action que de l’articulation de son sens : 2 R 4:42-44 et 1 Sam 21:4. Je me bornerai aux remarques les plus essentielles quant à la fonction de ces textes.

   Les premiers sont sans doute les plus importants, puisque le déroulement de leur action sert de trame à celle du récit. Elle se déploie en sept moments : offrande de vingt-cinq pains, ordre donné par le prophète de les partager, réticence du serviteur à cause de l’impossibilité de ce partage, nouvel ordre, fondement de celui-ci sur la parole de Dieu, repas, mention des restes.
   Le récit évangélique suit le même ordre, hormis sur deux points. D’abord, le premier et le deuxième moment sont intervertis : Jésus ordonne aux disciples de donner à manger avant de s’enquérir de la quantité de pains dont dispose la communauté. Ensuite l’allusion à la parole de Dieu est omise, remplacée par la bénédiction des pains qui n’apparaît pas dans le modèle.
   Pour ce qui est de la première divergence, il convient de remarquer que, dans le récit des Rois, la situation réelle à laquelle le miracle veut répondre reste en arrière-plan du texte : il s’agit d’une famine. Le fait commence donc par l’apparition du pain. Dans la narration évangélique, au contraire, se reflète la situation d’une communauté des pauvres – l’Église – menacée par la faim, qui parvient à se satisfaire par les pains que lui donne le Christ. Selon le déroulement du récit, le prodige opéré par le Christ est beaucoup plus qu’un miracle de multiplication, puis qu’il décide de donner à manger à partir de rien, les cinq pains n’intervenant qu’après dans le processus narratif.
   La deuxième modification s’explique aussi au niveau de la référence du texte, car elle est dictée par la nécessité de projeter dans le récit la praxis communautaire eucharistique. Dans le récit biblique, l’homme de Dieu n’agit que comme prophète, se contentant d’annoncer l’accomplissement de la parole de Dieu, ce n’est pas lui mais Dieu qui accomplit le prodige ; dans la péricope évangélique, au contraire, c’est Jésus qui accomplit l’œuvre de Dieu : il ne se pose pas en prophète mais en Dieu, d’où l’importance que la bénédiction du pain prend dans le récit. Peut-on alors dire que la parole de Dieu a été substituée par l’action ? Non : elle demeure, mais traduite en action, devenue acte. Christ a dit, et la chose a été faite.

   Le texte de Samuel entre en jeu pour combler les vides créés par ces changements. Il fallait en effet faire surgir le pain au niveau de la narration et ce deuxième récit biblique en offrait la possibilité, puisque David, poussé par la faim, demande au sacrificateur Ahimélek de lui donner du pain. Et effectivement Jésus, faisant sienne la faim de la foule, s’enquiert de la quantité de pain existante, qui se trouve correspondre au nombre de pains qu’avait demandés David : cinq. Il se produit aussi dans le récit un doublet quant à l’objection posée par les disciples, car elle s’appuie à la fois sur l’impossibilité de trouver du pain dans un lieu désert, et sur celle de satisfaire toute la foule avec le pain qu’on aurait pu éventuellement se procurer.

   En dépit de ces emprunts, la narration évangélique peut être considérée comme un récit nouveau, où les deux récits se fondent pour former une unique structure et qui devient le support d’un contenu original.
   Les deux récits bibliques sont en effet de nature différente, car l’un se classe dans le genre du miracle, et l’autre comme un acte de partage. Ainsi, dans le premier, le nombre initial de pains est de vingt-cinq, et dans l’autre cinq ; dans l’un, il s’agit de l’accomplissement d’un oracle, dans l’autre plutôt d’une transgression ; enfin le récit du cycle d’Élie raconte l’action d’un prophète, l’autre celle d’un roi. Ces différences parviennent cependant à être dépassées, dans la mesure où les schémas des deux récits s’imbriquent.
   Le but miraculeux de la multiplication s’unit au but du partage, en ce que la multiplication s’accomplit au cours d’un partage par la division du pain et sa distribution à la foule. Le nombre cinq peut se substituer avec cohérence au nombre vingt-cinq, puisqu’il exprime la multiplication que les vingt-cinq pains doivent subir pour parvenir à rassasier cent personnes.
   Quant à l’opposition entre transgression et miracle, il est opportun de remarquer que le récit d’Élisée lui aussi présuppose une transgression, puisque les pains, en tant que prémices, auraient dû être offerts à Dieu et donnés au peuple, mais il s’agit d’une transgression dépassée par le miracle. Dans le récit de David, le caractère miraculeux et d’accomplissement de la parole n’est pas absent, puisque la transgression est en fonction de l’accomplissement de la parole de Dieu au sujet du roi.
   Enfin les trois personnages de prophète, de roi et de grand-prêtre peuvent aisément s’unir dans l’actant du nouveau récit, Jésus, puisqu’il ne possède pas de personnalité propre, hormis celle du Christ qu’il doit précisément assumer à l’image des figures de l’Ancien Testament.

   Sans doute ces récits, si différents, parviennent-ils à se rencontrer dans l’unité d’un nouveau récit dans la mesure où ils ont été approchés à partir de l’expérience eucharistique. Le pain béni du repas liturgique a permis de mettre en évidence, comme par enchantement, qu’ils avaient eux aussi comme objet le pain consacré, l’un comme déjà offert à Dieu et retiré de l’autel, l’autre destiné à être offert en tant que prémices. Cette identité fondamentale de signification a permis de les considérer comme énigme prophétique de cette même eucharistie qui en avait déterminé l’approche. Il n’est dès lors pas étonnant que la bénédiction eucharistique de la fraction du pain devienne le pivot, apte aussi bien à constituer une nouvelle structure qu’à donner aux significations des textes empruntés un sens nouveau. En effet, le récit n’est à proprement parler ni la narration d’un miracle, ni un conte de partage : il est l’un et l’autre à la fois, dans la mesure où il inscrit le miracle et le partage dans le cadre d’un symposium, image et reflet de l’agape chrétienne.



1984




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ti18300 : 21/05/2017