Les récits de la naissance de Jésus

L’arrivée de l’étoile à destination

   « Et voici l’étoile marchait devant eux jusqu’à ce qu’étant arrivée au-dessus du lieu où était le petit enfant, elle s’arrêta » (Mt 2:9).

   Balaam avait vu l’étoile « de loin », en regardant du passé au futur. Les mages la voient dans une perspective renversée, car ils regardent du futur vers le passé. L’astre qu’ils voient est sans doute celui du Christ, mais en tant que vu d’avance par Balaam. Dès lors on comprend pourquoi il est en marche de l’Orient vers l’Occident, car il doit rejoindre celui dont il est signe. La trajectoire de l’étoile couvre d’une part le mouvement des empires, qui passent de l’Orient perse babylonien à l’Occident gréco-romain, et d’autre part les processus historiques de la divination chez les païens et de la prophétie chez les juifs.

   L’arrivée de l’étoile au lieu où se trouve le petit enfant montre la jonction dans l’événement – l’enfant – du langage des signes avec celui de la parole, de l’image avec le savoir. Cette jonction devient nécessaire car l’événement ne s’offre à voir que par un signe. En effet, lorsqu’ils entrèrent dans la maison, les mages ne virent que « le petit enfant avec Marie, sa mère » (Mt 2:11). Rien n’indique que ce petit enfant est le roi des juifs, hormis l’étoile, c’est-à-dire l’éclairage que les mages possèdent de pouvoir lire ce signe dans le cadre de la parole prophétique.

   Il est très significatif que les mages voient le petit enfant avec sa mère et non avec Joseph. Cette omission peut étonner, puisque tout le récit de Matthieu est centré sur Joseph et Jésus naît après la cérémonie du mariage qui le fait fils légitime de Joseph et de Marie. Cette omission semble être remarquée par Luc qui, dans le récit des bergers qui est parallèle à celui des mages, tient à préciser qu’ils trouvèrent non seulement Marie avec l’enfant, mais aussi Joseph (Lc 2:16).
   Il semblerait bien qu’il s’agisse chez Matthieu d’un « lapsus », par relâchement de la censure théologique. Matthieu a toujours les yeux fixés sur l’arrière-plan du récit, sur ces informations qui présentent Marie comme une femme trouvée enceinte et Jésus comme un enfant sans père. D’ailleurs les mages ne peuvent trouver que cet enfant-là, puisqu’ils s’approchent de lui pour le reconnaître et le proclamer, dans un monde qui l’ignore, roi des juifs.
   Le rôle des mages est de lire le signe. Mais qu’est-ce que ce signe, sinon que Jésus est un enfant sans père ? L’étoile qui s’arrête au-dessus de lui n’est que la projection de ce même signe, mais éclairé dans sa propre signification, c’est-à-dire que Jésus est un enfant sans père, non pas parce qu’il serait un fils naturel, mais parce qu’il est né selon le mode propre au fils de Dieu.