Sommaire
La foi au Christ ressuscité
Le Christ est ressuscité
Les apparitions d’anges aux femmes
- Introduction
- Chez Marc
- Chez Matthieu
- Chez Luc
Les apparitions «privées» de Jésus
Les apparitions de Jésus aux Onze
La structure des textes évangéliques
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Selon l’évangile de Matthieu
Le récit de Matthieu est dominé par le souci de rendre impossible tout soupçon que le corps du Seigneur ait été volé. Or, au moment où il écrit, cette hypothèse a très probablement encore cours. Matthieu se voit donc contraint d’en parler, et il tente de la dépasser en affirmant que les femmes qui arrivent au tombeau assistent à l’événement de la résurrection. Matthieu, en effet, ne se préoccupe pas, comme les autres évangélistes, de ne laisser aux femmes arrivant au tombeau ni le temps d’en visiter l’intérieur, ni celui de seulement s’apercevoir qu’il est vide, ni même un seul instant pour noter peut-être le déplacement de la pierre ; il ne s’en préoccupe pas car il résout plus radicalement le problème, en faisant de la découverte du tombeau vide par les femmes et de l’apparition de l’ange deux événements simultanés, en ce sens que c’est l’ange du Seigneur lui-même qui, sous leurs yeux et en présence des gardes, roule la pierre : « Et voilà qu’il se fit un grand tremblement de terre : l’ange du Seigneur descendit du ciel et vint rouler la pierre sur laquelle il s’assit. Il avait l’aspect de l’éclair et sa robe était blanche comme la neige » (Mt 28:2-3).
Ce « grand tremblement de terre » établit un lien entre ce récit de la résurrection et le texte dans lequel Matthieu relate les événements qui, selon lui, ont marqué la mort de Jésus : « Et voilà que le rideau du temple se déchira en deux, du haut en bas ; la terre trembla, les rochers se fendirent, les tombeaux s’ouvrirent et de nombreux corps de saints trépassés ressuscitèrent : ils sortirent des tombeaux après la résurrection, entrèrent dans la ville sainte et se firent voir à bien des gens » (Mt 27:51-53).
Il faut remarquer que, bien que ces morts ressuscitent au moment où Jésus meurt et que leurs tombeaux s’ouvrent, ils n’en attendent pas moins que la résurrection ait eu lieu pour en sortir. L’explication de ce fait est que, pour Matthieu, ces événements se passent dans une dimension qui n’est pas le lieu des vivants, mais celui des morts, l’Hadès. Au moment où Jésus meurt, il « rend l’esprit » (Mt 27:50) ; son corps reste au tombeau pendant trois jours, mais son esprit descend, dans le même temps, visiter les morts dans l’Hadès. Cette croyance se trouve rapportée dans la première lettre de Pierre : le Christ « mis à mort selon la chair, a été vivifié selon l’esprit », et c’est « en esprit » qu’il « alla prêcher aux esprits en prison », à savoir chez ceux qui n’avaient pas cru à Noé (Gn 7:7), ( 1 P 3:18-22). Matthieu partage cette croyance et on peut penser que l’image de Jonas, dans laquelle Jésus lui-même avait vu un signe de sa mort, le confirme dans sa conviction que Jésus est resté « dans le sein de la terre durant trois jours et trois nuits » (Mt 12:40) dans le but de briser toute opposition des puissances de l’Hadès à l’encontre de son Église qui doit se bâtir sur le témoignage de sa résurrection.
Ce que Matthieu dit se passer après la mort du Seigneur a lieu au sein de la terre, dans l’Hadès. Le tremblement de terre exprime le renversement des puissances du monde, qui tiennent les hommes prisonniers de la mort ; les rochers qui se fendent, les tombeaux qui s’ouvrent, sont le signe que, par l’entrée de Jésus dans l’Hadès, celui-ci n’est plus une prison mais un séjour d’où l’on peut revenir. Ce n’est qu’après ces trois jours et trois nuits, après la résurrection de Jésus, que ces morts sortent de leurs tombeaux. Il apparaît donc clairement que Matthieu considère la résurrection comme la continuation de cette victoire de l’esprit de Jésus contre les puissances de l’Hadès. Le tremblement de terre qui marque la résurrection ne fait que prolonger celui qui s’est passé au sein de la terre, de même que les tombeaux ouverts dans l’Hadès au moment de la mort du Christ libèrent les défunts au moment où l’ange roule la pierre du tombeau du Ressuscité.
Cette ouverture du tombeau du Christ devient donc le signe de la résurrection au profit de tous les hommes : ils sont censés sortir, eux aussi, par la même brèche, celle faite ainsi à la surface de la terre, au milieu de la « ville sainte ».
Nous assistons ici à la naissance d’un mythe – auquel les autres évangélistes ont, pour leur part, renoncé – et dont il serait utile de connaître les origines. Nous ne nous y arrêterons pas maintenant, car ce qui nous intéresse ici c’est la structure du récit de la résurrection et sa signification.
Matthieu construit son récit en s’inspirant, semble-t-il, d’une vision rapportée par Daniel (Dn 10:4-12), car lorsqu’il présente « l’ange du Seigneur » comme ayant « l’aspect de l’éclair », on ne peut pas ne pas penser à cet homme vêtu de lin dont parle Daniel et qui a, lui aussi, l’aspect de l’éclair (Dn 10:6). Celui qui apparaît est bien un ange, mais en lui se profile la personne même du Ressuscité, car c’est lui qui fait rouler cette pierre que doit ôter le Ressuscité. C’est Jésus que cette image de l’ange cache, précisément pour l’exprimer dans sa gloire, dans une gloire telle que la décrit l’eschatologie de Daniel.
On peut affirmer aussi que Matthieu s’inspire du récit du prophète, parce qu’il présente les gardes comme étant « saisis » par la peur, de la même façon que les hommes qui, accompagnant le prophète dans la vision de Daniel, étaient saisis par la peur. Tout comme le prophète fut le seul à avoir la vision, ce n’est qu’aux femmes et non aux gardes que l’ange du Seigneur parla et révéla dans sa sa personnalité véritable celle du Ressuscité (Dn 10:7-8).
On peut aussi penser que Matthieu s’inspire de la vision finale de ce texte, lorsqu’il parle de la résurrection des morts : « Un grand nombre de ceux qui dorment au pays de la poussière s’éveilleront, les uns pour la vie éternelle, les autres pour l’horreur éternelle » (Dn 10:2), car c’est à la suite de la résurrection de Jésus que les morts, dont il a ouvert le tombeau dans le Shéol, « sortirent de leurs tombeaux » pour entrer « dans la ville sainte ». Matthieu voit cette sortie du tombeau et cette irruption dans la ville sainte à l’image de la vision eschatologique de Daniel, où l’homme vêtu de lin annonce la fin des temps, la fin de l’écrasement du peuple saint (Dn 12:5-13). Dans cet homme « vêtu de lin qui lève la main droite et la main gauche vers le ciel », il a pu voir l’image prophétique et concrète à la fois du Ressuscité.
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