Sommaire
La foi au Christ ressuscité
Le Christ est ressuscité
Les apparitions d’anges aux femmes
- Introduction
- Chez Marc
- Chez Matthieu
- Chez Luc
Les apparitions «privées» de Jésus
Les apparitions de Jésus aux Onze
La structure des textes évangéliques
. . . . . . . . - o 0 o - . . . . . . . .
|
Selon l’évangile de Luc
Ce qui caractérise le récit de Luc, c’est qu’aux femmes apparaissent « deux hommes ». Cela nous fait immédiatement penser au récit que ce même évangéliste fait de la transfiguration, car il est le seul qui, pour parler de l’apparition de Moïse et Élie à Jésus, emploie les mêmes termes : « voici que deux hommes s’entretenaient avec lui : c’étaient Moïse et Élie » (Lc 9:30). On a toutes les raisons de penser que Luc voit ces deux visions l’une par rapport à l’autre, car il s’agit de la même glorification de Jésus.
Sans exclure ce parallèle, nous proposons une autre hypothèse, selon laquelle ce récit pourrait être lié à celui de l’apparition de Dieu à Abraham, « au chêne de Mambré » (Gn 18), dans lequel apparaissent également « deux hommes ». Dans ce cas, Luc se serait inspiré de la vision d’Abraham et s’en serait servi comme cadre pour son propre récit. Rappelons les moments les plus importants de la vision d’Abraham.
Abraham voit trois hommes, debout devant lui. À travers eux, c’est Yahvé lui-même qui se manifeste et, en leur parlant, Abraham converse avec Yahvé. Mais il faut souligner que ces trois hommes ne sont bientôt plus que deux, puisque l’un d’eux reste avec Abraham tandis que les deux autres se rendent à Sodome dans l’intention de détruire la ville et de sauver Loth et sa famille (Gn 18:22). Et puisque ces deux hommes sont appelés « anges » (Gn 19:1), il s’ensuit que le troisième, qui est resté avec Abraham, est Dieu. En effet, le texte précise que « Abraham se tenait encore devant Yahvé » (Gn 18:22). Cette vision se résume donc ainsi : Dieu apparaît à Abraham, accompagné de deux anges ; tous les trois ont revêtu forme humaine.
Ces hommes, après avoir été reçus par Abraham, lui demandent où est sa femme, Sara, et lui annoncent « Je reviendrai chez toi, l’an prochain, alors ta femme Sara aura un fils » (Gn 18:9-10), affirmation qui est répétée après que Sara ait ri, trouvant cette promesse impossible à cause de son grand âge.
Dieu confirme qu’« Abraham deviendra un grand peuple, et par lui seront bénies toutes les nations de la terre » (Gn 18:18), il lui annonce en même temps le châtiment de Sodome et Gomorrhe.
Abraham intercède auprès de Dieu, afin que non seulement le juste ne soit pas puni avec le méchant, mais même que la ville soit épargnée si Dieu peut y trouver dix justes.
Quelle peut être la relation qui unit ce récit et celui que fait Luc de la résurrection, l’image des « deux hommes » mise à part ? Il est inutile de chercher une quelconque dépendance philologique ou une analogie de structure entre ces deux récits : il n’y en a pas ; mais plusieurs raisons nous portent à croire qu’il existe une dépendance d’inspiration.
On sait que Luc, pour composer son évangile de la naissance de Jésus, a utilisé des sources populaires et s’est inspiré des récits de la Genèse concernant la naissance de l’enfant promis. C’est ainsi que, en Élisabeth et Zacharie, il reprend sur la scène de l’évangile tous les couples stériles de l’Ancien Testament et, en Marie, la dernière femme qui enfante le « premier né » promis (Lc 2:7).
Or c’est par les voix de Marie et d’Élisabeth que Luc rappelle les promesses que Dieu avait faites à Abraham ( Lc 1:55-73), parce que leur rencontre devient signe de leur réalisation. L’enfant de la femme stérile frémit devant l’enfant de la promesse, et Élisabeth se réjouit de l’accomplissement que les promesses reçoivent en Marie. Mais Luc fait aussi d’Abraham le symbole de l’accomplissement eschatologique lorsque, en suivant Matthieu, il le place le premier dans le royaume de Dieu (Lc 13:28 ; Mt 8:11-12), ou lorsque, dans la parabole de Lazare – qu’on ne trouve que chez lui (Lc 16:19-31) – il fait de ce patriarche le lieu de la béatitude, en ce sens que c’est dans son « sein » que le riche, du séjour des morts, voit le pauvre.
Cependant, c’est surtout la dernière scène de la parabole qui met Abraham en relation directe avec la résurrection. À la demande du riche, qui le prie d’envoyer Lazare dans sa maison pour convertir ses frères, Abraham répond : « Ils ont Moïse et les prophètes, qu’ils les écoutent ! » ; mais le riche lui dit : « Non, père Abraham, mais si quelqu’un de chez les morts va les trouver, ils se repentiront ». et Abraham lui répond encore : « Du moment qu’ils n’écoutent ni Moïse ni les prophètes, même si quelqu’un ressuscite d’entre les morts, ils ne seront pas convaincus ! »
À notre avis Luc, en écrivant son récit de la résurrection, ne pouvait pas ne pas avoir présent à l’esprit ce passage. Il insiste en effet, à plusieurs reprises, sur le fait que c’est précisément la compréhension de Moïse et des prophètes qui peut amener à la foi que le Christ est ressuscité (Lc 24:27-44) et, par suite, à la repentance. Il ne pouvait donc pas ne pas identifier ce « quelqu’un (qui) ressuscite d’entre les morts » à Jésus lui-même, qui ne peut être suivi que si on écoute Moïse et les prophètes.
De cette première remarque, nous pouvons conclure que Luc avait bien ce passage biblique concernant Abraham présent à l’esprit, au moment où il composait le récit de la résurrection, d’autant plus que le thème central de son évangile est justement le fait que Jésus se présentait, par sa résurrection, comme accomplissement des promesses.
Mais pourquoi Luc aurait-il choisi ce chapitre 18 qui, outre la promesse à Sara d’un héritier, relaie aussi l’intercession d’Abraham pour Sodome ? Encore une fois il nous faut, pour ainsi dire, lire entre les lignes et découvrir plutôt ce que le texte trahit que ce qu’il exprime directement. Le récit de la résurrection aboutit à l’apparition de Jésus aux Onze, et à la proclamation par ceux-ci de l’évangile à cause de ces paroles de l’Écriture que Jésus leur rappelle : « la repentance en vue de la rémission des péchés serait proclamée à toutes les Nations, à commencer par Jérusalem » (Lc 24:47).
L’évangile du Ressuscité est donc la « bonne nouvelle » du pardon. Tout au long de son évangile, Luc nous introduit à ce pardon par des récits qui ne se trouvent que chez lui : le bon Samaritain (Lc 10:29-37), le fils prodige ( Lc 15:11-31), Lazare (Lc 16:19-31), mais surtout par la mort de Jésus qu’il présente comme signe du pardon de Dieu. C’est Luc en effet, et lui seul, qui met sur les lèvres du Crucifié les paroles : « Mon père, pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu’ils font » (Lc 24:34). C’est lui qui, ne se contentant pas d’affirmer que le larron l’insultait, comme le font Marc ( Mc 15:32) et Matthieu ( Mt 27:41), raconte la conversion de l’un d’eux et la promesse de Jésus : « en vérité je te le dis, dès aujourd’hui tu seras avec moi dans le Paradis » (Lc 24:34). C’est aussi Luc qui, ne limitant pas la conversion devant la croix au seul centurion, comme Marc (Mc 15:39), ou au centurion et aux « hommes qui étaient avec lui », comme Matthieu (Mt 27:54), veut que « toutes les foules qui étaient accourues pour assister à ce spectacle » soient converties en « se frappant la poitrine » (Lc 23:48).
Or le récit de l’intercession d’Abraham offrait à Luc le cadre théologique propre à exprimer ce pardon, car c’est précisément au moment où « la rémission des péchés sera proclamée à toutes les nations » que « Abraham deviendra un grand peuple et (que) par lui seront bénies toutes les nations de la terre » (Gn 18:18). Toutes les nations seront bénies par le pardon de Jésus-Christ, mais on peut dire aussi que, pour Luc, ce pardon pour le monde ne pouvait être dissocié de la condamnation de la ville d’où le pardon sera répandu dans le monde. Au moment où le royaume de Dieu approche de son accomplissement, « Sodome aura un sort moins rigoureux que cette ville » (Lc 10:12) : il s’agit là de toute ville qui n’aura pas reçu la prédication de l’évangile, mais à plus forte raison de Jérusalem qui n’a pas reçu l’évangile dans la personne même de Jésus. Les passages eschatologiques concernant la destruction de Jérusalem, que Luc a lui-même relatés, viennent à son esprit à ce moment-là. Cela est d’autant plus sûr que Luc, dans l’un de ces récits, faisait explicitement allusion à Sodome et Gomorrhe, détruites par l’intervention de ces « deux hommes » qui ont sauvé Loth et sa famille (Lc 17:28-33 ; voir aussi Lc 21:20-33).
Pour construire son récit, Luc n’est pas réduit à sa seule inspiration : il se sert aussi d’une source populaire, d’origine féminine, la même que celle dont il a déjà usé pour écrire l’évangile de la naissance. En effet, ce sont les femmes de l’Église qui ont interprété le rôle joué par les femmes de l’évangile dans l’annonce de la disparition du corps, et qui l’ont interprété dans le cadre des promesses faites à Abraham ; elles l’ont fait parce qu’elles se sentaient directement concernées. Comme elles avaient rempli les « trous » de la prédication apostolique en ce qui concernait la naissance de Jésus, elles interprètent maintenant le rôle qu’ont joué les femmes de l’entourage de Jésus, par rapport au message de la résurrection tel que la prédication des hommes – c’est-à-dire des apôtres – l’a annoncé. Comme il le fait comprendre dans son prologue, Luc veut composer les deux sources, afin de donner un évangile qui rende compte de la vie et de l’enseignement catéchétique de l’Église dans leur totalité. Les femmes y ont un rôle de service par rapport à la prédication des hommes, dont l’autorité égale celle du Christ lui-même.
|