présent, jetons sur l’ensemble du récit un regard critique. Après la découverte du tombeau vide, des disciples de Jésus – qui ne font pas partie du cercle des Douze – rencontrent Jésus incognito sur le chemin d’Emmaüs, sans le reconnaître. Ils sont affligés de sa mort parce qu’elle a brisé son œuvre de délivrance d’Israël.
Le voyageur inconnu leur reproche d’ignorer les Écritures au sujet du Christ, qui doit, par sa mort et sa résurrection, délivrer l’homme du péché. Les disciples apprennent alors de l’inconnu ce que les Écritures annoncent sur le Christ, sans pour autant reconnaître dans ce compagnon de route le Christ lui-même. Ils sortent de cette ignorance au moment de la cène, lors de la fraction du pain. Les paroles de Jésus à la fête de la Pâque (que l’inconnu ne prononce pas lui-même) leur reviennent en mémoire : « Ceci est mon corps qui est donné pour vous ». Alors, ils comprennent que Jésus est là, en qui le Christ se fait chair.
Pourquoi, dans cette première apparition reste-t-il incognito, alors que, dans les autres, il cherchera à se faire reconnaître ?
Il est possible d’imaginer que l’évangéliste a estimé qu’au temps de Jésus, les Juifs qui attendaient le Christ en avaient une représentation « populaire », « subjective », et non sur le modèle du Christ des Écritures. Rappelons-nous aussi que Jean affirme que les disciples « ne comprenaient pas encore que, selon les Écritures, Jésus devait ressusciter des morts » (Jn 20:9).
Luc estime donc que Jésus ne pouvait être reconnu « authentiquement » comme le Christ que par les Écritures, mais également qu’on aurait pu le reconnaître en celui en qui se trouvait « l’accomplissement » d’une vie en parfaite correspondance avec la sienne. C’est pourquoi le « voyageur incognito » annonça à Cléopas la venue, la mort et la résurrection du Christ, lui laissant le soin de reconnaître en lui l’accomplissement. La cène est le lieu de cette reconnaissance, mais le texte nous invite à poursuivre.
Il est légitime de supposer qu’à l’époque de Luc, les croyants en Jésus-Christ se réunissaient dans des « assemblées » (églises) pour la célébration de la cène, comme rite commémorant la mort sacrificielle de Jésus, mais pas encore sa résurrection. Nous en trouvons un exemple dans l’église des Corinthiens, selon Paul (1 Co :15). Le récit de l’apparition de Jésus aux disciples d’Emmaüs aurait donc pour intention d’accréditer que « la fraction et le partage » du pain eucharistique étaient le signe de la mort comme de la résurrection de Jésus, mais également de la présence du ressuscité : communion symbolique dans la foi à sa mort et à sa résurrection.
Le récit apparaît donc utile à notre recherche. En effet, si Jésus meurt et ressuscite parce que, selon les Écritures, il doit mourir et ressusciter, nous possédons en celles-ci le témoignage de sa véracité. Cependant une contradiction demeure encore difficile à élucider, pour le moment du moins : celle entre croire que Jésus est le Christ selon les Écritures, et croire dans les Écritures parce qu’on croit que Jésus est le Christ !