Sommaire
Introduction
Densités du mot
La hiérarchie céleste du pseudo Denys
Droits politique et religieux
Démocratie et théocratie
Rôle de l'Église
Un système d’ordre universel
Libéralisme et fascisme
Hiérarchie et communisme
Du code génétique au code linguistique
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Pour comprendre le sens historique de la hiérarchie denysienne, il convient de rechercher les mots auxquels elle s’oppose dans le champ sémantique diachronique. Parcourant ce champ, on trouve qu’elle se définit par opposition à un mot qui résulte de l’union renversée des thèmes dont elle se compose : « arkiereus », archiérarque. Cette opposition comporte une mutation sémantique qui présuppose aussi un changement de culture.
La priorité donnée au terme « arké » sur celui de « hiéros » traduit l’existence d’un système culturel fondé moins sur la subordination du pouvoir au sacré que sur la coordination du pouvoir et du sacré dans le cadre d’une unité totalisante qui le transcende : la cité (polis – civitas). C’est le système fondamental de la civilisation gréco-romaine avant la fondation de l’empire.
L’homme est un être politique, qui puise sa nature dans la cité. Hors de celle-ci, il ne serait qu’un non-homme : ou bien un dieu, au-dessus de l’humain, ou bien un barbare, au-dessous de l’homme (1). La « polis » est l’union d’individus par une division des fonctions qui se fonde sur une norme d’égalité proportionnelle, cette norme est la justice, la « Diké ». À proprement parler, il n’y a pas dans la cité de ligne verticale exprimant la descente du pouvoir du haut du ciel, car le ciel est la densité compréhensive de la justice elle-même, immanente dans la cité.
La résolution de la verticalité dans l’horizontalité représente, à mes yeux, la ligne de démarcation idéologique entre l’occident et l’orient.
Tandis que, dans les systèmes orientaux, il n’y avait qu’un droit, le divin, qui dominait le pouvoir politique ou s’incarnait en lui, dans l’occident gréco-romain il y avait deux droits – le politique et le religieux – qui se partageaient la justice pour constituer les fondements de la cité et se rencontraient dans la conscience collective de celle-ci.
C’est pourquoi, en Grèce et à Rome, le crime reposait sur une atteinte portée contre la justice, il était une « a-dikia », aussi bien au niveau des obligations que des devoirs. Dans les États orientaux, il était une « a-taxis », c’est-à-dire une infraction, une transgression, de l’ordre de position – de subordination – établi par la subordination au pouvoir.
En orient, c’était Dieu ou l’homme-dieu qui gouvernait le monde des hommes, en occident c’était l’homme qui dominait sur les dieux (2). Selon le mythe, l’humain civilisé – politeai – humanitas – avait ses origines historiques dans un vol – et donc un viol – du divin par les hommes ( Prométhée), qui se soustrayaient à la contrainte de la nécessité (ananké) pour vivre dans une perspective de liberté (3). L’essence de la polis et de la civitas fut démocratique.
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(1) Aristote, Pol., Intr. 
(2) Cela malgré la grande religiosité des Romains célébrée par les anciens. À Rome, la religion était un rite codifié, qui visait moins à subordonner les hommes aux dieux qu’à régler la fonction des dieux pour le bien-être de l’État. 
(3) Voir à ce propos la tragédie eschyléenne du Prométhée enchaîné, étudiée plus en détail. 
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