ANALYSE RÉFÉRENTIELLE |
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Ennio FlorisProméthée et Jésus : |
Introduction : |
Sommaire Introduction - La tragédie grecque - Les tragédies d’Eschyle . Le péché est divin . Une lecture nouvelle du mythe . Prométhée . Les Suppliantes . Les Sept contre Thèbes . Les Perses . Agamemnon . Les Choéphores . Les Euménides - But et limites de l’étude Dieu, le sauveur et la mort Le mythe d’Io et l’évangile de Marie Conclusion théologique . . . . . . . - o 0 o - . . . . . . . |
ProméthéeLe Prométhée doit être considéré, au point de vue théologique, comme une introduction à toutes les tragédies d’Eschyle. Il ouvre une page de théologie préalable à notre histoire, pour annoncer que les dieux nous ont devancés dans la conquête de la justice et de l’amour par la démesure et la souffrance. Le drame divin précède la tragédie humaine, c’est pour cela que dans le Prométhée les personnages sont tous des dieux. Entre les dieux et les hommes, il n’y a pas un processus linéaire de temps. Bien que les dieux soient dans le temps, la dimension de l’espace est, pour eux, différente. Les dieux sont dans les cieux, les hommes sur la terre, et les cieux et la terre constituent deux espaces parallèles dont les points correspondent. Il faut distinguer la conception du temps chez Eschyle (comme chez Sophocle), de la théorie platonicienne et aristotélicienne du temps cyclique des dieux. Tandis que Platon et Aristote considèrent l’existence des dieux comme sans histoire, leur temps étant un mouvement parfait, uniforme, sans corruption ni génération, il y a au contraire, chez les tragiques, un temps linéaire dans les cieux comme sur la terre, temps qui engage les dieux dans la succession, dans l’évolution, et par conséquent dans l’histoire. Mais, tandis que dans le divin le temps est sans fin pour chaque individu, sur la terre l’existence de l’homme est fondée sur la mort. L’histoire des dieux est donc parallèle à l’histoire des hommes, elle-même reflet de l’histoire des dieux dans la dimension de la souffrance et de la mort. Le Prométhée enchaîné ne peut pas être détaché des deux autres tragédies, aujourd’hui perdues, avec lesquelles il constituait une trilogie : le Prométhée porte-feu et le Prométhée délivré. C’est l’histoire de Prométhée dans les trois épisodes fondamentaux qui caractérisent son existence : l’introduction du feu chez les hommes, son enchaînement et sa libération. Ces événements se passent dans le temps le plus ancien de l’histoire des dieux, lorsque Zeus, après avoir vaincu les Titans et détrôné Ouranos, s’empare du royaume des cieux. Zeus n’est pas encore le Dieu de la sagesse et de la justice ; il n’est pas le Père mais le conquérant des dieux, Dieu de la force et de la vengeance dont la puissance réside dans la foudre. Sa sagesse est son pouvoir, sa justice est sa volonté. Le sentiment du nouveau roi envers les hommes était le mépris. Il ne songeait pas à eux, qu’il considérait comme des êtres dont les dieux ne doivent avoir aucun soin. Il avait établi entre le ciel et la terre une limite qui ne devait pas être franchie. Les hommes, à ce moment-là, vivaient dans des grottes une vie semblable à celle des bêtes. Ils ne connaissaient pas encore les arts, parce que les dieux, jaloux de leur condition, avaient caché le principe de tout art, le feu. Sans lui, l’homme ne pouvait pas transformer la matière, par conséquent devenir créateur vis-à-vis de la nature. La défense la plus absolue était faite aux dieux de partager avec les hommes la connaissance du feu. Le roi voulait détruire les hommes par la foudre, pour les remplacer par de nouveaux hommes, des créatures dévouées à son service et soumises à son pouvoir. Lorsque Zeus révéla ce dessein au conseil des dieux, personne n’osa le contredire, excepté Prométhée, celui qui l’avait aidé à vaincre les Titans. Et le dieu ne manifesta pas son opposition seulement en paroles, puisqu’il communiqua aux hommes le secret du feu. Pourquoi Prométhée s’opposa-t-il ainsi à Zeus ? Pourquoi partagea-t-il avec les hommes un pouvoir qui était l’apanage des dieux ? Par amour ! Seul parmi les dieux, Prométhée aima les hommes, quand les hommes n’étaient eux-mêmes pas en état d’aimer les dieux. Le principe qui donne toute sa force à la tragédie d’Eschyle n’est pas le feu, mais précisément l’amour par lequel le feu a été donné. C’est pourquoi la tragédie confère au mythe une valeur religieuse et théologique des plus profondes. En aimant les hommes, Prométhée se refuse à respecter la volonté de Zeus qui est loi, chez les dieux comme chez les hommes. Il ne devrait pas aimer ceux que Zeus n’aime pas et a décidé de détruire. En partageant le feu avec les hommes, il a ruiné le droit des dieux et violé les limites fixées par Zeus entre le divin et les mortels. Par le feu, les hommes peuvent suivre un chemin qui les mènera à songer à l’immortalité, à tendre vers elle. Prométhée, en se rapprochant des hommes, a perverti sa nature divine, il est devenu un dieu misérable, maudit des dieux. Il est un dieu pécheur, contre lequel la colère de Zeus se déclenchera, puissante et terrible. Nous ne savons pas si, avant de le condamner, Zeus a tenu un conseil des dieux pour juger Prométhée. La tragédie qui nous reste nous montre Prométhée crucifié par Héphaïstos sur les rochers de Scythes. Crucifixion terrifiante, exécutée entre le ciel et la terre, comme un événement qui intéresse les dieux et les hommes : du divin souffrant naît en effet une nouvelle histoire, celle des dieux pour les hommes et des hommes pour les dieux. Héphaïstos, qui exécute la crucifixion, n’a pas la responsabilité de cet acte, le responsable est Zeus lui-même, personnifiant le pouvoir. Nous assistons, au sein de la divinité, à la lutte entre deux puissances pour la conquête du ciel et de la terre. La lutte qu’Ouranos avait menée contre Chronos et celle de Zeus contre Ouranos se renouvelle maintenant entre Zeus et Prométhée ; c’est le combat de la violence contre l’amour. Prométhée ne semble pas résister aux coups du pouvoir qui s’abattent sur lui avec une violence telle que Zeus n’en a jamais exercée de semblable, même contre Chronos : Prométhée, cloué à son rocher, déchiré par l’aigle, accablé par la solitude, est finalement abattu par la foudre jusqu’aux profondeurs de l’Adès. Mais, bien que brisé par le pouvoir de Zeus, il demeure dans l’immortalité par son être divin et par son opposition. Sa volonté de résister à la violence sera aussi forte que le pouvoir, démontrant ainsi la profondeur de son amour. S’il avait cédé à Zeus, peut-être ce dernier aurait-il délivré son corps de la souffrance, mais il serait resté le Dieu de la vengeance et du pouvoir injuste, un Dieu sans amour, la foudre épargnée à Prométhée aurait été lancée contre les hommes pour les détruire. Prométhée le sait et accepte une souffrance indicible pour rester fidèle à cet amour issu de lui, immortel et divin comme son être. C’est dans cette perspective que nous devons juger les invectives, la haine, l’orgueil et le défi de Prométhée contre Zeus, qu’il ne faut pas considérer ici comme le père des dieux, le Zeus du temps historique, prince d’ordre, de justice et d’amour : la rébellion contre un tel Dieu aurait été abominable. Le Zeus auquel Prométhée tient tête, c’est le Dieu de la violence, de l’injustice, de l’usurpation. Ce Dieu-là doit être détruit. Prométhée délivré nous révèlera la victoire de l’amour sur le pouvoir, vision valable pour les hommes et pour le divin. Prométhée délivré parce que Chiron se substitue à lui dans ses souffrances, est le signe de la réconciliation des dieux avec les dieux et des dieux avec les hommes. En donnant aux hommes le feu qui leur permit d’échapper à la condition de bêtes pour devenir des êtres de raison, dominant la nature de leur art et de leur pensée, Prométhée leur rendit un grand service. Mais plus grand encore est le bénéfice qu’ils tirèrent de sa souffrance. Pourquoi Zeus n’a-t-il pas détruit l’homme comme il l’avait décidé ? Pourquoi n’a-t-il pas puni Prométhée en anéantissant ces humains pour lesquels il s’était révolté ? C’est que Prométhée s’est substitué aux hommes afin que la colère du pouvoir s’épuisât sur lui. Sa souffrance et sa mort étant substitutives de la souffrance et de la mort des hommes, les délivrent de la colère de Zeus : parce que son amour souffrant a été victorieux du pouvoir, l’homme a été sauvé. Mais Prométhée a également sauvé le divin de l’esclavage du pouvoir. Sans lui, les dieux auraient été à jamais sous la domination d’un Dieu qui n’aime pas, qui ne se donne pas aux autres, qui établit la justice selon son pouvoir. Mais Prométhée sait qu’il vaincra le pouvoir de Zeus et que celui-ci cèdera enfin à la raison de son amour. Lorsqu’il sera délivré, la paix règnera parmi les dieux. Il ne sera plus possible, dans l’avenir, qu’un autre dieu usurpe le trône de Zeus, le royaume des cieux ne sera plus divisé comme au commencement par des puissances opposées. Zeus s’emparera de tout pouvoir, même de l’amour, par lequel précisément les cieux seront renouvelés et il engendrera des enfants, peuplant ainsi le ciel de sa postérité. Il ne sera plus, comme jadis, le frère qui assujettit ses frères, mais le père des dieux. Puissante restera toujours sa foudre, qui vengera les crimes et les démesures, mais plus puissant encore sera son amour. Prométhée a sauvé les dieux, aussi bien que les hommes, en les délivrant de la colère du pouvoir absolu. Sauveur des dieux et des hommes, Prométhée cloué entre le ciel et la terre est aussi le signe de l’union des dieux et des hommes. Dieu par sa nature, homme par sa souffrance, Prométhée est le vrai médiateur entre Zeus et l’homme. Son amour a franchi la barrière qui séparait les deux mondes. Il est le commencement d’une nouvelle dimension, où le temps des dieux est celui des hommes et le temps des hommes celui des dieux. Désormais les dieux agissent parmi les hommes : ils ont établi leur demeure dans les temples, ils ont enfanté les patriarches des grandes dynasties et des grands peuples. Ils ne sont plus seulement dans le ciel mais aussi sur la terre, intervenant dans l’histoire des hommes par des actes divins. Zeus, pour avoir enfanté les hommes, devient leur père comme il était celui des dieux. Il trônera toujours du haut des montagnes, il enverra la foudre pour punir les crimes, mais à celui qui s’adressera à lui en suppliant, il se révèlera comme un père dont l’amour a effacé la colère. |
![]() ![]() ![]() ![]() t900210 : 24/12/2017 |