ANALYSE RÉFÉRENTIELLE |
![]() |
![]() |
![]() |
||
![]() |
![]() |
![]() |
![]() |
![]() |
Ennio FlorisProméthée et Jésus : |
Introduction : |
Sommaire Introduction - La tragédie grecque - Les tragédies d’Eschyle . Le péché est divin . Une lecture nouvelle du mythe . Prométhée . Les Suppliantes . Les Sept contre Thèbes . Les Perses . Agamemnon . Les Choéphores . Les Euménides - But et limites de l’étude Dieu, le sauveur et la mort Le mythe d’Io et l’évangile de Marie Conclusion théologique . . . . . . . - o 0 o - . . . . . . . |
Les PersesLa bataille de Salamine fut décisive pour l’indépendance de la Grèce vis-à-vis de l’empire perse. Vaincu sur mer, contraint à la fuite sur le continent, Xerxès subit une défaite qui blessa mortellement son empire. Le grand roi dût reconnaître une limite à son expansion et revint à Suse humilié, tel un petit vassal. La Grèce célébra cette bataille comme une victoire des dieux plutôt que de ses héros. Si puissante était l’armée perse, qu’en dépit de son héroïsme la petite armée grecque ne pouvait rien espérer. Briser cette armée alors qu’elle avait passé les Thermopiles, la mettre en fuite alors qu’elle avait brûlé les temples d’Athènes, cela ne pouvait être que l’œuvre des dieux. C’est dans cet esprit qu’Eschyle a composé sa tragédie, où le lyrisme atteint presque l’élévation de la prière, l’action tragique prenant l’allure d’une séquence prophétique. Il était difficile pour des Grecs de relater cette victoire sans en tirer une épopée, ou de la chanter sans devenir prophète. Hérodote crut en faire une histoire, mais il composa une épopée, Eschyle une tragédie, mais il nous donna une prophétie. Nous disons prophétie et non théologie, parce qu’Eschyle ne se contente pas de développer l’action tragique en conséquence des oracles divins, il devient l’inspiré même de ces oracles. Ce qui, dans ses autres tragédies, est une thèse théologique, devient, dans Les Perses, une inspiration par laquelle Eschyle se présente lui-même comme porteur d’un message divin, celui de l’ordre que Dieu a établi dans le monde, l’annonce du châtiment de l’empire asiatique et de la mission que la Grèce sauvée par Zeus doit accomplir auprès des autres nations. La description de la splendeur et de la puissance de l’armée perse permet au poète de souligner l’ampleur de sa défaite, défaite d’ailleurs pressentie par les femmes restées seules à Suse et à Ecbatane. La marche des centaines et des centaines de guerriers choisis dans tout l’empire aboutit à Athènes, la ville lointaine située à l’endroit où se couche le soleil, et les femmes voient là un présage : le soleil du grand roi va se coucher sur son horizon, Athènes est la ville devant laquelle le souverain de l’immense empire devra fléchir le genou. À cause de ce présage, l’inquiétude et le doute s’insinuent dans l’âme de la reine, mère du jeune roi Xerxès et veuve du grand Darius. Elle a reçu deux songes prémonitoires dont elle ne parvient pas à pénétrer le sens. Dans le premier deux femmes, l’une vêtue en dorienne, l’autre parée de la robe perse, se disputent tandis que Xerxès cherche à les retenir en les attelant à son char et en leur mettant le harnais. Mais la dorienne trépigne, brise le joug et fait tomber le roi. Dans le second, la reine est en train de consacrer des gâteaux aux dieux protecteurs lorsqu’elle aperçoit un aigle qui vole vers l’autel. Mais un milan fond sur lui et se met à lui déchirer la tête. La reine connaîtra la terrible signification de ces rêves par le bruit de la défaite qui se propage dans tout l’empire. C’est le chœur qui recevra la nouvelle : la grande armée, puissance du grand roi, a été anéantie par cette ville lointaine, au « coucher du soleil ». Mais la reine ne peut pas encore saisir toute l’ampleur du désastre. Elle ignore le sort de son fils, elle n’imagine pas le vide effroyable laissé par les morts ni la honte de leur perte. Lorsque le messager dit ce qu’a été réellement la défaite, l’angoisse et le désespoir saisissent le cœur des femmes et de la reine. « Ô cités de l’Asie entière, crie le messager, ô terre de Perse, havre de richesse infinie, voici donc d’un seul coup anéanti un immense bonheur, abattue et détruite la fleur de la Perse ». Et il raconte la suite des événements, comment les chefs sont morts et les mille vaisseaux submergés ou mis en fuite, comment le roi a pu échapper à une ruine certaine. C’est un génie vengeur, un dieu méchant, qui surgit contre les Perses, sans que personne ne sache d’où il vient. La description de la défaite a révélé à la reine la signification de ses songes. Elle ne peut, cependant les effacer de son esprit. Le petit milan qui déchire la tête du grand aigle est toujours devant ses yeux. L’effroi et l’angoisse s’emparent d’elle, elle voit mal ce que réserve l’avenir. Le milan tuera-t-il l’aigle ? Le soleil du grand roi se couchera-t-il définitivement sur Athènes ? Et pourquoi les dieux ont-ils voulu la défaite ? Les Perses ont-ils perdu parce que les dieux des Grecs sont plus puissants que ceux des Perses ? Ou bien les dieux des Perses ont-ils eux-mêmes combattu contre leur empire et en faveur des ennemis ? Qui pourra donner une réponse à ces interrogations ? Qui dévoilera les oracles des dieux cachés dans les songes ? Les problèmes que nous laisse deviner l’angoisse de la reine sont ceux de tout le peuple, car ils mettent en question le destin de l’empire. Les Grecs eux-mêmes se sentent troublés devant l’avenir de la liberté de leur patrie et de leur civilisation. L’angoisse du personnage tragique correspond à l’interrogation du moment historique. C’est précisément ici qu’Eschyle cesse d’être le poète d’un récit pour devenir le prophète de l’événement. Il ne doit pas donner un vers qui chante, mais une parole qui répond, et s’élever au-dessus de la poésie pour transmettre un message. Mais qui jouera, sur la scène, un message pour l’histoire ? Qui appeler pour proclamer les oracles que doivent entendre les Perses et les Grecs, les vainqueurs et les vaincus ? Alors, la scène se transforme en un sanctuaire, dont l’autel est un tombeau, celui du grand roi Darius, que les Perses adorent comme leur dieu. Personne d’autre que Darius ne peut révéler l’avenir historique du grand empire. Homme parce que fils des Perses, il est devenu, par l’inspiration, un être divin, leur dieu. Et le héros divin se présente sur la scène, répondant aux invocations les plus pressantes, celles-là mêmes par lesquelles on avait coutume d’appeler les morts. Eschyle veut ici non seulement donner de la vraisemblance à l’action, mais encore traduire la réalité. Il fait jouer à Darius sur la scène le rôle que lui-même joue dans l’histoire, celui d’inspiré des dieux. Lorsque Darius apparaît au bord du tombeau, il est étonné d’avoir été rappelé dans le monde. Il ne sait rien du désastre immense qui s’est abattu sur l’empire dont il fut jadis le roi. Bien qu’il soit semblable aux dieux, la mort l’a tenu enfermé dans l’Adès, lieu sans temps et sans histoire, séparé du ciel et de la terre. Mais une fois renseigné sur les événements, il a le pouvoir de les pénétrer et d’en saisir la signification profonde. Ses yeux, aveugles pour l’histoire du ciel et de la terre, peuvent se fixer sur les oracles des dieux qui règlent la naissance et la fin des événements. C’est en regardant le miroir de ces oracles qu’il parle et qu’il donne aux hommes le message de la volonté divine. Il ne s’agit pas de croire que les dieux de la Grèce ont combattu contre ceux de la Perse, car il n’y a pas de divinités différentes pour l’un et l’autre continent. Le Zeus du peuple grec est devenu le Dieu de l’Asie elle-même, assujettissant tout le monde sous un unique empire céleste. Le Zeus qui a accordé aux cités d’Europe un gouvernement libre est le même qui a voulu réunir toute l’Asie sous le commandement d’un seul. Le sceptre du royaume fut donné d’abord à Médos, ensuite à Kyrios puis à Darius lui-même. L’Asie a trouvé son unité par la volonté de celui qui est Dieu en Europe aussi. La course au pouvoir est terminée dans le ciel afin que la terre connaisse l’unité et la paix. Mais, pour les atteindre, il faut qu’entre les peuples libres et les barbares, entre l’Europe et l’Asie, soient respectées les frontières que Zeus a fixées. Il y a une ligne de démarcation qu’il ne faut pas franchir, c’est le Bosphore, sillon que Zeus lui-même a tracé comme sceau de sa volonté. Xerxès a péché d’une démesure folle en jetant un pont sur l’Hellespont sacré. Il a franchi la limite tracée par Dieu et tenté de porter au-delà son pouvoir. Mortel, il a cru triompher de tous les dieux. Sa folie a atteint la profanation et le sacrilège lorsque, sur la terre grecque, il a dépouillé les statues des dieux, incendié les temples, détruit les autels, renversé les images sacrées. L’écroulement de la puissante armée est la conséquence de la démesure du jeune Xerxès. Les dieux l’ont aveuglé dans la conduite stratégique de la bataille, ils ont puni son orgueil est ses sacrilèges, les peines qu’il subit sont à la mesure de ses crimes. Et pour l’avenir, quelle est la prophétie de Darius ? Les dieux sont-ils apaisés par le sacrifice des guerriers morts loin de leur patrie et de leurs innombrables veuves, par l’humiliation du grand roi et de son immense empire ? Darius lit dans le miroir des oracles que les Perses devront attendre d’autres peines encore : « L’édifice de leurs malheurs n’en est même pas à son soubassement et va grandir encore, tant doit être abondante la libation de sang que fera couler sur le sol de Platée la lance dorienne. » Eschyle fait reculer la victoire de Platée – due aux Lacédémoniens – dans les prévisions de Darius, pour donner à la défaite de Salamine sa valeur de perte définitive. Platée n’a rien ajouté à la victoire de Salamine, où les Perses sont déjà vaincus à tout jamais. Au terme de son discours, Darius semble ouvrir une petite porte à l’espoir : « Gardez ce châtiment sans cesse devant les yeux, souvenez-vous d’Athènes et de la Grèce, et qu’aucun d’entre vous n’aille, méprisant son destin, pour en convoiter d’autres faire crouler un immense bonheur. Zeus est le vengeur désigné des pensées trop superbes et s’en fait rendre de terribles comptes. » Zeus pose aux Perses une condition : renoncer à une guerre de revanche. Zeus punira la pensée même de cette guerre par l’écroulement de tout l’empire. Alors Eschyle se lève pour adresser aux Perses, au nom des dieux de toute la Grèce, une admonition prophétique : « Puisque Xerxès est si pauvre de sens, que vos sages remontrances lui fassent donc la leçon, afin qu’il cesse d’offenser les dieux par une insolente audace. » Mais Xerxès est obsédé par l’esprit de revanche. Par rapport au désir qu’éprouvent tous les Perses de venger leur défaite, l’avertissement de Darius acquiert une valeur prophétique. Les préparatifs d’une nouvelle guerre contre la Grèce ôtent aux paroles d’Eschyle tout caractère hypothétique : la fin du vaste empire est vraiment venue, Zeus enlèvera aux rois perses l’empire de l’Asie pour le conférer à d’autres. Au moment où Eschyle parlait, Alexandre était déjà désigné par Zeus pour cette substitution. Les lamentations de Xerxès et du chœur qui terminent la tragédie ont la valeur d’une plainte devant la ruine définitive de l’empire perse. C’est la lamentation que le prophète déclame sur les intentions des Perses, c’est l’élégie que les Grecs font chanter au grand vaincu, non seulement pour sa défaite présente, mais pour sa défaite à venir : « Hélas, trois fois hélas ! Le coup certes est lourd, mais voilà qui ajoute encore à ma souffrance ! » Xerxès est invité à pleurer sur la ruine totale de son empire. |
![]() ![]() ![]() ![]() t900240 : 24/12/2017 |