L’homme à la main sèche :
Analyse des textes
L’action
L’action est aussi simple que brève, et peut être détaillée en quatre points.
D’abord,
Jésus entre dans la synagogue, où il trouve, entre autres, un homme à la main sèche.
Il est inlassablement suivi par les responsables du lieu pour voir
s’il va le soigner.
Jésus comprend que ses adversaires attendent qu’il accomplisse son miracle.
Il voit que l’homme à la main sèche n’est pas un malade ou un blessé, mais un mendiant qui a trouvé dans le mouvement d’une de ses mains un geste propre à émouvoir les gens à son égard, l’aumône étant nécessaire pour son pain quotidien. Or les adversaires de
Jésus l’ont appelé, tout à fait sûrs
qu’il guérirait l’homme à la main sèche, guérison qui aurait été considéré comme un miracle. C’était le but recherché par les instigateurs du complot, car aussitôt ils seraient insurgés pour démentir le miracle. Cette fois,
le prophète n’aurait pas pu se sauver, car
il aurait été convaincu de tromperie.
Mais
Jésus, l’ayant vu errer sans but dans la synagogue et poussé vers lui pour le guérir par des gens pour lesquels ses guérisons étaient des œuvres démoniaques, comprit que ce malade était pour
lui porteur d’un danger. Il y avait un piège dans cette guérison !
Il ordonne donc au malade de se placer entre
lui et le peuple, pour ne pas le perdre de vue.
Puis
Jésus défend le principe selon lequel on doit soigner les malades aussi bien le jour du sabbat que les jours de travail : «
Est-il permis le jour de sabbat de faire du bien plutôt que de faire du mal, de sauver une vie plutôt que de la perdre ? » (
Mc 3:4 ;
Lc 6:9). La question est claire : étant donné que le jour du sabbat on ne peut pas agir, peut-on faire du bien ? Si cela n’est pas permis, alors il est permis de faire du mal.
Jésus posait le problème en forme dialectique, en mettant ses adversaires en situation de contradiction, assimilant la prohibition de soigner les malades le jour du sabbat à un homicide.
À sa plaidoirie, les responsables de la synagogue répondent par un silence méprisant, au point que
Jésus se met en colère. En effet, leur but n’était pas de discuter avec
lui sur ce problème, mais de
le pousser à accomplir la guérison de l’homme
qu’il avait devant lui, pour
qu’il commette un acte public de violation du sabbat. Cependant, malgré leur silence, nous pourrions essayer de préciser leur controverse.
Les
juifs, je viens de le dire, reprochaient à
Jésus d’avoir assimilé l’abstention du soin aux malades le jour du sabbat à leur mise à mort, les accusant ainsi implicitement d’être des assassins. Certes, ils interprétaient ainsi les paroles de
Jésus car ils étaient conditionnés par un esprit polémique comme, d’ailleurs, l’était
Jésus lui-même dans son accusation. Mais si nous sortons de ce conditionnement réciproque, nous pourrons juger plus équitablement leur opposition.
Les
juifs estimaient que s’abstenir de soigner l’homme à la main sèche dans ce jour de sabbat n’était pas le tuer, car il était venu dans la synagogue comme tout autre individu, non pour être guéri de son mal mais pour louer
Dieu dans son repos : on aurait pu le soigner le lendemain. D’ailleurs, pour eux, le malade subissait les conséquences du péché, qu’il fallait supporter avec patience.
Pour
Jésus, sa compréhension du malade était tout à fait à l’opposé. Le malade était dans un certain sens toujours dans un sabbat, car il ne pouvait plus employer ses possibilités d’action. L’aveugle ne pouvait pas limiter sa vue, car il ne l’avait plus ; l’estropié, ses pas, car il ne pouvait plus marcher ; le muet, sa parole, car il ne pouvait plus parler. En lui tout travail s’était arrêté. Il était donc dans un sabbat permanent, bien que dans l’impossibilité de le fêter. Il fallait récupérer la vie pour pouvoir en limiter l’exercice : la force des pieds, pour en limiter les pas ; la souplesse de la langue, pour ne parler que dans la nécessité ; la santé des yeux, si on doit modérer le regard. Dès lors, l’acte qui le mettait en situation de célébrer le Sabbat était la guérison du mal. Le dialogue entre
Jésus et les
juifs était un dialogue de sourds.
Le silence est comme le non-savoir qui ouvre le chemin de la connaissance. Il empêche que la parole puisse arrêter le cours de l’événement.
Jésus ignore encore que, lentement, s’approche de lui le flux du réel pour l’ensevelir. Mais les
juifs, qu’attendent-ils ? Que l’homme à la main sèche soit guéri ! Par une action qui, pour eux, est une violation de la Loi ? Cette interrogation pousse
Jésus à jeter un regard critique sur ce malade, que les
juifs cherchent à lui faire guérir. Et si l’homme à la main sèche ne l’avait pas ainsi par maladie mais pour sa quête ? Et s’ils voulaient l’accuser d’opérer des guérisons sur les sains ? S’il le guérit,
il ne pourra pas échapper à la lapidation.
Et un éclair de colère jaillit de ses yeux.
Enfin,
Jésus s’adresse à l’homme à la main sèche, lui ordonnant de l’étendre «
Promenant alors sur eux un regard de colère, navré de l’endurcissement de leur cœur, il dit à l’homme à la main sèche : Étends ta main ! Il l’étendit, et sa main fut guérie » (
Mc 3:5).
Jésus opère donc un miracle de guérison, en sorte que
les pharisiens quittent la synagogue pour aller consulter les
hérodiens sur la manière de
le faire périr.