Dalmanoutha et Magadan :
deux hypothèses
Pour la compréhension de
ces noms, deux hypothèses sont possibles.
Selon la première, on peut supposer
qu’ils relèvent du langage populaire, exprimant le même lieu en relation avec des événements qui avaient fini par sortir de la mémoire du
peuple. On pourrait cependant affirmer qu’il s’agissait de faits que les gens avaient interprétés et vécus à la lumière des deux grands thèmes de l’épopée biblique : la manne du
désert, et la naissance du
héros
Dan.
Mais cette interprétation se heurte au fait que, dans les textes, ces mots ne sont pas traduits. Il serait aussi difficile de comprendre comment des noms différents et si opposés auraient été attribués au même lieu au sein de la même tradition populaire.
Selon la deuxième hypothèse,
les deux noms sont propres à la tradition synoptique et relèvent de sources de documentation différentes.
Ils désigneraient un lieu en rapport avec le même événement de la vie de
Jésus, mais vu avec des yeux et par des groupes différents. Si l’on se rapporte au récit de la multiplication des pains, on est amené à affirmer que le sens métaphorique exprimé par
ces noms semble correspondre étrangement au lieu et aux événements de son contexte, tel que l’analyse du texte nous a permis de le découvrir.
Dalmanoutha serait le nom attribué au lieu par
les disciples, sous l’impression du défi lancé par les
pharisiens. Mais la référence à la manne précise que la demande du signe avait été mise en relation avec la manne du
désert par les
pharisiens eux-mêmes. Ce nom confirme aussi l’intime relation du quatrième évangile avec
Marc. Ainsi ce lieu « désert » resta-t-il, dans la mémoire des
disciples, comme la « baie de la manne ». Mais l’étymologie populaire du mot « manne » exprime en outre les interrogations et le doute même que
les disciples s’étaient posés au sujet de
Jésus, la signification du nom est donc tout à fait adéquate au drame réel que
Jésus et
les disciples avaient vécu et qui fut à l’origine de la crise. Quant à nous, il nous aide à mieux comprendre pourquoi
Marc a inscrit le miracle de la multiplication des pains dans ce contexte.
Le nom « Magadan » employé par
Matthieu relèverait au contraire d’une tradition orale juive. Il s’agirait du même contexte, mais vu par des
juifs hostiles. Par le refus du signe,
ceux-ci avaient constaté que
Jésus n’était qu’un menteur, qui s’était fait juger par
Dieu lui-même :
Dieu avait jugé
le magicien !
Il resterait à savoir pourquoi
Matthieu s’est-il référé à des sources documentaires anti-chrétiennes, mais cette pratique s’inscrivait dans le contexte et le but de son évangile, qui fut écrit avec l’intention de répondre à un anti-évangile qui s’était formé au cours de la polémique judéo-chrétienne, le proto-évangile de la naissance implique lui aussi des informations venant des sources juives anti-chrétiennes.
Pour conclure, je dirai que l’interprétation de ces deux noms apporte sur notre lecture des textes une confirmation d’autant plus surprenante qu’elle est inattendue. Si le fait refoulé par le récit de la multiplication des pains avait frappé l’imagination populaire au point de rester attaché au souvenir du lieu, on est obligé de croire qu’il s’agissait bien d’un événement important, aussi retentissant dans les milieux juifs qu’il avait été éprouvant et néfaste pour le cercle des
disciples.