Les récits de la naissance de Jésus

Le retour à Nazareth

   Selon Marc Jésus, après avoir quitté Jean, ne rentra pas chez lui, à Nazareth, mais séjourna en Galilée, qui devint le premier théâtre de sa mission. Il ne se rendit dans sa « patrie » que dans le cadre de cette mission. La durée de son absence de la ville ne fut pas assez longue pour qu’il puisse apparaître comme un étranger, ni assez courte pour que ses concitoyens ne s’étonnent pas en le revoyant. L’évangéliste décrit ainsi l’étonnement des gens : « N’est-ce pas le charpentier, le fils de Marie, le frère de Jacques, de José, de Jude et de Simon ? Et ses sœurs ne sont-elles pas parmi nous ? » (Mc 6:3).

   S’il est un endroit où on puisse savoir « ce qu’on croyait » (Lc 3:23) au sujet de l’origine de Jésus, c’est bien Nazareth. Or ce que les nazaréens pensent de lui c’est qu’il n’était pas fils de Joseph mais de Marie ; Luc dit exactement le contraire.

   Pour qu’un homme d’environ trente ans puisse être nommé par rapport à sa mère et non à son père, il existe deux hypothèses.
   On peut penser que Jésus est venu à Nazareth tout petit, alors qu’il était orphelin. Quoiqu’il soit reconnu officiellement par le nom de son père, cette situation d’orphelinat pourrait justifier qu’il ait été appelé par habitude, en relevant du fait et non du droit, par rapport à sa mère. On pourrait prendre pour appui de cette explication le récit de Matthieu, où Joseph et Marie, quoiqu’originaires de Bethléem, se seraient rendus à Nazareth dans la toute première enfance de Jésus. Mais il faudrait aussi que Joseph soit mort de suite, sans laisser de souvenirs chez ses voisins, ce que Matthieu ne dit pas. Cette hypothèse se heurte à la narration de Luc, qui parle de la présence de Joseph à Nazareth au moins douze ans, et à la conviction de Marc (et peut-être de Luc aussi) que Jésus était originaire de Nazareth. En outre, on pourrait opter pour cette hypothèse si l’affirmation de Marc était reprise par les autres évangélistes sans qu’ils en soient gênés ; or non seulement elle les gêne, mais elle devient objet d’une censure aussi sévère qu’elle est provoquante et scandaleuse.
   Dans le texte parallèle de Matthieu (Mt 13:53-58), on trouve que les gens, en voyant Jésus prêcher, disent : « n’est-il pas le fils du charpentier ? ». La correction du texte est très subtile et presque insensible, car au lieu de « le charpentier » on écrit « le fils du charpentier » : une simple ouverture entre l’article « le » et le nom suffit à introduire l’expression « fils du », celle-là même qui dans le texte de Marc reliait Jésus à Marie. Il semble évident que Matthieu n’aurait pas altéré si profondément l’expression de Marc si elle n’avait pas été en opposition avec ses convictions et sa sensibilité. Matthieu fait par la suite nommer Marie par les nazaréens, mais en la mettant au second rang : « sa mère ne se nomme-t-elle pas Marie ? ».
   Chez Luc, la censure se fait plus décisive : selon lui, les gens disaient « n’est-il pas le fils de Joseph ? » (Lc 4:22). Ainsi Jésus apparaît-il nommé par son père, en même temps que celui-ci est appelé par son nom. L’affirmation de Marc qui le contredisait est effacée, et le texte réécrit selon les présupposés théologiques de Luc.
   L’affirmation que Jésus est fils de Joseph devient une certitude dans le quatrième évangile. Dans le passage qui, à certains égards peut être considéré comme parallèle aux synoptiques, l’évangéliste fait dire aux Galiléens « N’est-ce pas là Jésus, le fils de Joseph, dont nous connûmes le père et la mère ? » (Jn 6:42). Les Galiléens étaient si renseignés au sujet de Jésus qu’ils connaissaient même les parents de Joseph, mais qui était ce père alors que selon Matthieu il s’appelait Jacob, et selon Luc Héli ?