ANALYSE RÉFÉRENTIELLE
ET ARCHÉOLOGIQUE
Ennio Floris
Les récits de la naissance de Jésus
Lecture du récit de Matthieu :
la généalogie de Jésus
Sommaire
GENÈSE
ET MÉTHODE D’APPROCHE DES RÉCITS
LECTURE DU RÉCIT DE MATTHIEU
La généalogie de Jésus
-
Introduction
-
Rupture
de l’agencement
-
Virginité
de Marie
-
Retour
à Nazareth
-
Catéchèse
-
Proto-évangiles
-
Substitution d’écriture
Marie
trouvée enceinte
Les mages
La fuite
en Égypte
LECTURE DU RÉCIT DE
LUC
CONCLUSION
. . . . . . . . - o
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o - . . . . . . . .
La substitution d’écriture
Avant d’aborder cette lecture, il est opportun de revenir sur la généalogie de
Matthieu, dont
j’ai proposé
d’étudier de plus près la seconde anomalie.
Ce phénomène de substitution d’écriture est beaucoup plus complexe que ce qui pourrait apparaître à première vue car, si on tient compte du préalable structural des quatorze générations, on devrait s’attendre à ce que la génération de
Jésus, étant la dernière, soit aussi la quatorzième. Or ou elle est la treizième, ou elle compte pour deux générations. Étant donné qu’il apparaît peu probable que le texte primitif ait comporté une transgression de sa propre structure, je m’en tiens à la seconde hypothèse. Le phénomène d’écriture devrait donc être compris dans le cadre de cette opposition :
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Texte primitif
Jacob engendra
Joseph.
Joseph engendra X.
X engendra
Jésus,
qui est appelé le
Christ.
Texte ultime
Jacob engendra
Joseph
l’époux de
Marie,
de laquelle est né
Jésus,
qui est appelé le
Christ.
Or cette correction est trop complexe pour qu’elle se soit réalisée en une seule fois. En effet, on change tout à fait de structure, abandonnant le nombre de quatorze, le modèle d’agencement et le caractère masculin de la génération. Pour l’expliquer, il faut trouver une substitution intermédiaire qui puisse atténuer et faciliter ce passage abrupt.
Je pense que la jonction s’est opérée la première fois au niveau de la treizième génération «
Joseph engendra X ». On remplaça « X » par «
l’époux de
Marie
», qui devint sujet de la quatorzième génération «
Qui enfanta
Jésus
».
Cette jonction avait plusieurs avantages :
primo
de ne pas sauter une génération, maintenant ainsi la généalogie dans la structure de son nombre ;
secundo
d’ôter de la lignée généalogique
celui qui, dans le texte originel, était censé être le père de
Jésus pour ne le reconnaître que comme «
époux de
Marie
» restant dans l’anonymat ;
tertio
de rendre
Marie unique responsable de la génération de
Jésus, mais dans un contexte légal ;
quarto
d’accommoder le discours de l’Église avec celui de l’opinion publique, puisque
Jésus restait appelé «
fils de
Marie
».
La généalogie subit une nouvelle modification lorsque l’Église, pour s’opposer au discours que les
juifs répandaient sur
Jésus, élabora une nouvelle catéchèse axée sur la virginité de
Marie. Il fallait raconter l’histoire, l’évangile de
Marie. Mais toute histoire comportait la mise en scène de personnages qui auraient dû traduire la nouvelle doctrine de l’Église dans l’action et les dialogues d’un drame.
En tout premier lieu, il était nécessaire que
le mari de
Marie joue un rôle actif dans ce drame. Mais qui était-il ?
Dans la nouvelle modification de la généalogie,
il était apparu avec la disparition du «
père de
Jésus », mais sans avoir de nom, défini seulement par sa relation à son père Joseph et à
Marie. Il y en avait assez pour
qu’il s’offrit à l’imagination fabulatrice de l’Église comme un personnage accompli, assumant le nom de son père.
L’époux de
Marie devint ainsi son propre père et s’appela
Joseph, exerçant auprès de
Marie une fonction protectrice de père. Mais du coup Joseph, père de
l’époux de
Marie, disparut, absorbé par le nouveau personnage. L’énoncé de la treizième génération «
Joseph engendra
» et l’expression «
époux de
Marie
» furent directement liés à la douzième génération «
Jacob engendra
Joseph
».
L’harmonie de la généalogie fut ainsi rompue, mais cela n’était plus choquant, puisque la généalogie n’était plus fondement mais reflet du nouveau récit. Elle cessait d’être compréhensible par elle-même, renvoyant son sens au nouvel évangile de
Marie, mais pour nous elle devint un texte fondamental, puisqu’elle est l’instrument qui nous permet de mesurer la tension provoquée dans l’Église par le discours négateur du messianisme de
Jésus.
1982
tj21160 : 12/12/2018