ANALYSE RÉFÉRENTIELLE
ET ARCHÉOLOGIQUE
Ennio Floris
Jésus le charpentier
La
métanoia
, ou révolution culturelle :
l’épée de la division
Sommaire
Du fils naturel
au fils de Dieu
La
Métanoïa
L’épée de la division
-
Le
logion
-
Le contexte
-
Dieu
père des hommes
La haine
du père
La mort
du père
La main
à la charrue
Le défi
et la crise
La bonne
nouvelle
. . . . . . . . - o
0
o - . . . . . . . .
Le contexte du
logion
Mt 10:
34-35
Ne croyez pas que je sois venu apporter la paix sur
la terre ; je ne suis pas venu apporter la paix mais l’épée.
Car je suis venu mettre la division entre l’homme et son père, entre la fille et sa mère, entre la belle-fille et sa belle-mère.
Lc 12:
51-53
Pensez-vous que je sois venu apporter la paix sur
la terre ? Non, vous dis-je, mais la division.
Car désormais cinq dans une maison seront divisés, trois contre deux et deux contre trois, le père contre le fils et le fils contre le père, la mère contre la fille et la fille contre la mère, la belle-mère contre la belle-fille et la belle-fille contre la belle-mère.
Si l’on veut replacer le
logion
dans son contexte originel, il faut mettre entre parenthèses l’interprétation que
Matthieu
en donne. On sera alors frappé avant tout par la structure de sa formulation : «
Ne croyez pas que je sois venu
» (
Mt 10:
34
). On la trouve une première fois, toujours chez
Matthieu, dans le Discours de la montagne, destinée à introduire les paroles de
Jésus concernant la réforme de la loi. Ici, elle revient, mais dans le but de préciser ses intentions réformatrices au sujet de la société.
Il est important aussi de souligner que
Jésus définit les objectifs fondamentaux de sa réforme par opposition à ce que les gens attendent de
lui. Cela confirme que son évangile était en rupture non seulement avec le système politique dominant, mais aussi avec la mentalité commune de la culture populaire.
Il est possible de reconstruire le contexte, en disant que
le peuple voyait en
lui un
prophète et
qu’il cherchait à comprendre sa mission dans le cadre du messianisme politico-religieux. La référence à
Michée rapportée par les évangiles nous aide à repérer l’axe fondamental de ce messianisme, car
le prophète, reprenant l’oracle
d’
Isaïe
concernant l’enfantement de la vierge, annonce la délivrance
d’Israël par la venue du roi messianique. C’est lui qui sera la paix (
Mi 5:
4-5
), en ce que les frères dispersés reviendront pour s’unir aux
enfants d’Israël. La paix, c’est donc la réunion des frères, la recomposition des familles, marquant la fin de la dispora.
Michée ne faisait qu’interpréter l’oracle
d’
Isaïe
à la lumière de la visée prophétique du
deuxième Isaïe. Dans la conscience populaire, son message devenait le thème fondamental qui permettait d’inscrire les situations actuelles d’existence dans l’espérance messianique. Il n’y avait, bien sûr, plus de déportés, mais la situation morale et politique de la nation n’était pas meilleure pour autant, puisque
le peuple était soumis, directement ou indirectement, à la puissance romaine.
Puisque
Jésus parlait de «
Royaume de
Dieu » et définissait peut-être aussi son message comme « évangile », il est logique que
le peuple ait cherché à le comprendre en se référant à la « bonne nouvelle » du
deuxième
Isaïe
, attendant de lui l’accomplissement d’une parole de « consolation » pour les temps à venir. Car les abus et les exactions des procurateurs romains d’une part, la révolte qui couvait chez les
zélotes d’autre part, étaient des facteurs suffisants pour faire craindre une catastrophe imminente. Or
le peuple était trop désireux de tranquillité et de paix pour ne pas craindre une confrontation avec
l’empire, dont l’issue n’aurait été que la domination et l’esclavage. Prêt à supporter la domination romaine pourvu qu’il demeurât libre de vivre sur
la terre que
Dieu lui avait donnée et selon la tradition des pères,
Jésus aurait-il pu donner l’assurance de cette paix ?
Peut-être que, quoique sans le vouloir,
Jésus avait disposé lui-même
le peuple à cette attente. Probablement
qu’il avait déjà proclamé aux gens qui l’entouraient qu’ils étaient tous frères puisqu’ils avaient
Dieu pour père. Or
les juifs ne pouvaient comprendre ce message que dans le sens de la tradition, c’est-à-dire
qu’ils étaient des frères en tant que
fils
d’
Abraham
, puisque
Dieu était leur père par son alliance avec
celui-ci. Pour
eux, donc, il ne pouvait s’agir que d’une paternité et d’une filiation adoptives.
Or
Jésus annonçait au contraire une paternité nouvelle de
Dieu, non pas adoptive mais générative, par-delà la
descendance
d’
Abraham
. Sont message serait donc resté équivoque s’il n’avait pas averti ses auditeurs de son sens véritable, et
il le fit de façon aussi imagée que violente, dans le but de frapper l’imagination populaire mais aussi de bien marquer par le scandale la rupture que son message amenait à l’encontre de la tradition judaïque : «
Je ne suis pas venu apporter la paix, mais l’épée
– la division ! ».
c 1976
tk212000 : 22/06/2020