ANALYSE RÉFÉRENTIELLE |
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Ennio FlorisAutobiographie |
Au collègeParmi les premiers élèves de la classe |
EN SARDAIGNELE DÉPARTL’ITALIEAu collège d’Arezzo- L’arrivée au collège - Le collège - L’état des lieux - Un mois d’eau d’oignon - Parmi les meilleurs - La clochette des soeurs cloîtrées - La poésie d’amour de Dante - En vacances Le Noviciat Philosophie et départ PUIS LA FRANCE............................................ |
e la première à la cinquième année, j’étais toujours dans les premiers de la classe, jamais cependant le premier. Ceux-ci étaient reconnus tels par les notes données à leurs devoirs écrits ou oraux. La note suprême était le dix. De la première année jusqu’à la cinquième, si nous nous limitons à ma classe, les premiers ont été toujours les mêmes : Galletti, Buonocore, Aquilanti, Floris. Les premiers d’une classe, le devenaient de la façon suivante. Il arrivait que des élèves obtiennent une note entre dix et sept dans les matières principales. Cela était considéré comme un acte digne d’une position d’honneur. Cet honneur retombait aussi sur la classe. Se sentant concernée, celle-ci se divisait selon l’intérêt provoqué par les premiers : des groupes de solidarité se constituaient en faveur de l’un ou de l’autre, en s’opposant entre eux, pour ne pas sombrer dans l’anonymat et dans le rejet par les premiers. Il convenait d’être plutôt au service de la renommée des premiers, que de tomber dans le nombre des médiocres sans nom. Mais comme il y avait plusieurs groupes au service de la renommée des premiers, ils en venaient à s’opposer entre eux, tantôt par indifférence de l’un ou de l’autre, tantôt par des controverses qui n’avaient d’autre but que l’opposition et l’auto exaltation : phénomène de politique de cour. Quant aux premiers, chacun cherchait non seulement à garder sa primauté, mais à la rendre plus sure par le recours à différents moyens, soit par une attitude hautaine, soit en dénigrant celui qui avait eu une note au-dessous de la sienne, soit en promettant des appuis pour faire entrer des adeptes dans sa cour. Il était très difficile de s’opposer publiquement, parce qu’on aurait été rejeté et relégué dans l’isolement, mais en ne s’opposant pas, on était repoussé au niveau des faibles et des médiocres. J’ai pensé qu’on pourrait échapper à cette situation en cherchant à convaincre les jeunes de l’élite de refuser d’entrer dans ce jeu. S’ils étaient les premiers, c’est parce qu’ils dépassaient les autres au niveau du savoir et non du pouvoir ou d’intérêts. Les notes supérieures à la normalité ne devaient pas être considérées comme un signe de victoire des uns sur les autres, mais d’appel à une plus grande connaissance. Chacun était appelé à être uni à l’autre pour entreprendre une commune conquête du savoir. J’ai donc décidé de rencontrer quelques-uns des premiers afin de discuter avec eux de cette perspective et de savoir s’ils étaient prêts à s’engager sérieusement. Avant tout autre, j’ai rencontré Galletti. D’une intelligence remarquable, il était aussi doué d’une mémoire exceptionnelle, la seule de ce niveau que j’aie rencontrée dans toute mon existence. Alors que pour apprendre cinquante vers de Virgile je devais employer beaucoup de temps en des lectures et répétitions successives, il y parvenait en deux ou trois lectures du texte. Il savait par cœur le Petit Melzi, dictionnaire encyclopédique. Le rencontrant un jour, je lui dis : « Sommes-nous des ennemis ? Ennemi de toi parce que tu as une mémoire superbe, au point d’apprendre par cœur cinquante vers de Dante en deux ou trois lectures, alors que moi je dois lire et relire je ne sais pas combien de fois ? » « Ennio, tu m’apprécies beaucoup ! Moi aussi j’ai une grande estime de toi, pour ton intelligence et ton savoir. Alors, nous pouvons devenir amis sans perdre de temps à parler l’un contre l’autre, ou ne rien se dire. » On s’embrasse donc et on se serre la main ! Et nous sommes restés amis jusqu’à la fin. Nous fûmes d’accord pour lancer un journal du collège, pleinement accepté par la Direction comme par les élèves. Chacun de nous deux écrivait une page. Nos articles étaient toujours des critiques sur un point ou un autre, le journal était donc très attendu. Mais nous avions aussi projeté d’écrire des articles à caractère littéraire ou poétique. Certes nos critiques n’étaient pas toujours acceptées par les étudiants, surtout quand elles les concernaient. Mais presque tous comprirent que la critique n’était pas méchante, qu’elle s’adressait à tous, et qu’elle poussait chacun à dépasser la jalousie et le « qu’en dira-t-on ». Tous comprirent que notre journal n’était pas seulement celui de ceux qui l’écrivaient mais celui de tous. Buonocore avait beaucoup d’admirateurs, mais il n’aurait pas supporté qu’ils fussent liés à lui comme à un chef de parti. Il aimait ses collègues sans conditionner son amitié à leurs capacités intellectuelles. C’était un jeune avec lequel je trouvais possible un dialogue et un échange. Il était doué d’une très bonne mémoire, au service d’une intelligence analytique qui lui permettait de comprendre le texte et de l’approfondir. Ses analyses étaient guidées par un esprit à la fois mathématique et historique. J’ai eu l’occasion de parler avec lui sur ce sujet, un jour où nous étions tous les deux engagés à classer la bibliothèque. Dans ce travail j’ai dû monter aux derniers degrés de l’échelle, tout en continuant à parler. Je lui disais du haut de l’échelle : « Mes critiques te gênent-elles ? » « Non, elles me passionnent. Tu seras philosophe ! » Mais en disant cela, il donne un coup de pied sur l’échelle la secouant si fortement que je perds l’équilibre et tombe, donnant de l’épaule sur le pavé et perdant connaissance. Me réveillant, je constate que mon ami était en pleurs et que je n’avais rien de grave. Sans doute cette chute a-t-elle consolidé notre amitié, par le signe de la mort. Quant à Aquilanti, je n’ai pas eu besoin de lui poser la question, car il était tout à fait au dehors des luttes de la classe. Il avait toujours des notes excellentes, sans avoir besoin de faire aucun effort, comme si ses résultats excellents allaient de soi. Je dois quand même remarquer qu’il n’allait pas non plus au-delà de lui-même : il était toujours à sa juste mesure. J’ai pu ainsi constater que mon initiative avait été couronnée de succès : notre classe a poursuivi ses années d’études sans luttes, ni acharnements, ni fortes controverses. Dans la bonne démarche de mon école, il convient de faire allusion aussi à une autre personne : Bischi. D’une intelligence toujours bonne et avisée, il était très sociable et d’une capacité d’humour exceptionnelle. Il intervenait à propos dans tous les moments difficiles des groupes, poussant à rire avec de courtes histoires très drôles, aptes à dissiper dans nos esprits toute ombre de cette rancune qui parvient à se répandre dans les moments de tension. Et on devenait gais, comme par enchantement ! Ô amis bien aimés, Galletti et Buonocore, Aquilanti et Bischi, je vous garde dans mon cœur depuis toujours et je vous garderai bientôt à jamais, quand je serai avec vous au séjour des morts ! |
t503400 : 13/12/2020