ANALYSE RÉFÉRENTIELLE |
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Ennio FlorisAutobiographie |
Au collègeAu son de la clochette des sœurs cloîtrées |
EN SARDAIGNELE DÉPARTL’ITALIEAu collège d’Arezzo- L’arrivée au collège - Le collège - L’état des lieux - Un mois d’eau d’oignon - Parmi les meilleurs - La clochette des soeurs cloîtrées - La poésie d’amour de Dante - En vacances Le Noviciat Philosophie et départ PUIS LA FRANCE............................................ |
otre couvent n’était pas loin de celui des sœurs cloîtrées du même Ordre. Chaque matin, à la levée du lit, j’entendais résonner la clochette des religieuses appelant chacune d’elles à se rendre aux offices du chœur. Le son de la clochette était si pétillant qu’il ne pouvait échapper aux oreilles de toute personne habitant aux alentours. Ou bien, ne voulant pas demeurer dans les limites de la clôture monastique, elle jouait, par ses coups légers mais incisifs, un rôle de communion entre les sœurs et nous, frères du même Ordre ? Mais cette communion ne pouvant pas exister en raison de la clôture, le son des clochettes se confondait avec les bruits du lieu. Mais pourquoi, me disais-je, de telles pensées surgissaient-elles dans mon esprit ? « Oh ! C’est poétique ! » me répondais-je. Poétique cependant qui m’interrogeait intérieurement ! J’ai eu l’idée de communiquer ces remarques à Garramone, jeune homme de quatrième année, le narrateur du collège aussi plein de verve que d’intérêt pour les plus jeunes. Il resta très étonné de mon étrange propos, ne pouvant le considérer que comme un trait d’humour. Car, en aucune façon, les sœurs n’auraient aimé être interceptées par des frères sur le chemin qui les unit à Jésus-Christ. Conscientes d’être des épouses de Jésus, elles s’unissaient à lui par le sentiment d’une jalousie d’amour. Si l’ami Garramone était étonné de mon propos, moi je le fus par sa réponse. Mon ami me fit comprendre que, chez les sœurs, l’amour de chacune d’elles envers Jésus demeurait sans doute hors de tout désir d’union charnelle, mais qu’il était aussi fort et intime que celle-ci. Il confirma cette affirmation en rappelant des phénomènes psychiques subis par beaucoup de saintes, telles que Catherine de Sienne, comme des extases, des visions, ou des sueurs de sang, etc. Vivement intéressé par l’information que Garramone m’avait donnée, je lui avais demandé comment l’avait-il su. Il m’avait répondu qu’il le savait par des informations venant des pères confesseurs des sœurs : « Tu sais que la confession est bien le lieu du pardon des péchés, et donc des faits, non seulement tels qu’ils se sont accomplis, mais aussi dans la genèse de leur accomplissement. » Après cette rencontre, je suis resté plusieurs jours, pour ne pas dire plus d’une semaine, sans le voir. J’étais un peu troublé par son absence, car s’il avait été malade je l’aurais su. En voyant un des professeurs j’ai saisi l’occasion de m’informer. En me prenant à l’écart et en s’approchant de moi comme pour me parler à l’oreille, il me dit que Garramone avait une relation amoureuse avec une des sœurs cloitrées et s’était évadé avec elle. Me recommandant de ne rien dire à personne afin d’éviter tout scandale, il me quitta subitement. Mais tout le monde le savait, l’ayant peut-être prévu en connaissant son amour secret. Les exigences de la vie commune du collège obligeaient cependant de ne pas en parler. Quant à moi, tout en étant étonné, je n’étais pas scandalisé. Lorsque j’avais interrogé Garramone sur les sœurs cloîtrées, il avait montré qu’il connaissait très bien leur sentiment amoureux dans leur relation avec Jésus. Ce fait m’apparaissait surprenant, mais je n’en pouvais douter, car la nouvelle venait de Garramone, qui avait dû en être informé par la sœur dont il était amoureux. Selon toute probabilité, on peut aussi supposer qu’elle en avait été affectée. Cela me pousse aussi à croire que la fuite de Garramone avec elle n’avait pas d’autre fin que le mariage. C’était donc vraiment dommage que la conclusion de cette histoire d’amour ait été ensevelie dans le silence, afin précisément que le comportement des deux amoureux ne soit considéré que comme un abandon de la vie religieuse par folie d’amour : la religieuse pour avoir renié les vœux qu’elle avait professés devant Dieu et l’Église, le jeune-homme, pour l’avoir séduite. C’est l’accusation que l’Église formule d’habitude contre celui ou celle qui quitte la vie monastique sans l’autorisation préalable du Saint-Siège : ils ne peuvent pas sortir librement de la condition de vie qu’ils ont librement choisie, l’Église s’étant accaparée leur liberté. Pour moi, ce cas fut l’occasion d’une réflexion sur la conduite à suivre dans ma propre existence. J’ai fait allusion dans la première partie de cet écrit à mon doute sur mon engagement à suivre une vie religieuse. La fuite de ces amoureux me poussait-elle à les suivre ? Non, mais à mettre en évidence les lignes d’orientation tracées dans mon existence. Je rappellerai d’abord qu’à la suite de la mort de mon père, la possibilité que je reçoive une formation scolaire primaire était compromise. En effet, non seulement je n’avais pas pu suivre les cours de la première et de la deuxième année, mais j’étais dans des conditions financières qui m’obligeaient à renoncer à l’école et à m’engager, comme mes frères, dans le travail. Ouvrier analphabète, donc ! Mais tout en assurant les courses nécessaires aux nombreux besoins de la maison, j’avais quand même pu suivre l’école jusqu’à la cinquième. Il s’ajouta par la suite ma rencontre avec le père Zappulla qui, étonné que mon nom de famille soit « Floris », eut l’inspiration de lui donner un sens tiré d’un passage du Cantique des Cantique : « Flores apparuerunt in terra nostra » (les fleurs apparurent sur notre terre). Les Écritures auraient ainsi donné un sens au nom de ma famille, et donc à mon existence. Or, puisque ce terme était en latin et que, dans les grammaires, il est employé comme mot-clé de la troisième déclinaison (Flos – Floris), je fus tenté de croire que ma naissance s’était accomplie dans l’éclosion des fleurs. Surprenant, encore, de savoir que j’étais né au printemps et dans un jardin ! En signe de cela, le Père Zappulla m’avait fait cadeau d’une grammaire latine, avec laquelle j’avais commencé à apprendre tout seul la langue. Par la suite, mon nom trouva un surplus de sens lors de ma rencontre avec le père Olivi, qui me demanda si je voulais devenir frère dominicain, donc de l’Ordre de Thomas d’Aquin et de Lacordaire. À ma réponse affirmative, il m’annonça que je le serais, et qu’il s’engagerait pour que je le devienne. J’ai eu dès lors la conviction que le Destin avait inscrit ma vie dans la perspective d’être appelé par Dieu à être un père prédicateur de sa parole. Il fallait donc ne jamais perdre de vue cette perspective ! Aucune hésitation donc dans ma conscience, mais je souffrais. Je me sentais seul au collège, non parce que j’étais privé de copains ou d’amis, mais parce que je n’avais aucune relation avec des femmes. Je pensais que celles-ci ne sont pas seulement des individus autres que nous, mais qu’elles ont une « existentialité », une raison d’être « elles-mêmes », différente de la nôtre. Bien sûr, par le vœu de chasteté que je devais faire pour être dominicain, je ne pourrais pas avoir de relations sexuelles avec elles, mais cela n’aurait pas empêché d’être en communion par le discours, les sentiments, la sensibilité, la conception des choses, notre vision du monde enfin. Il n’est pas nécessaire d’avoir des relations sexuelles pour parvenir à cette union, celle-ci ne nous oblige pas à vivre ensemble. J’ai donc cherché des exemples et des projets qui auraient pu me rendre possible ce partage de vie, me sortant de cette solitude. Cette possibilité me fut offerte par la lecture de la Vita nuova de Dante, recommandée par le Professeur comme complément de la Divine Comédie, dont on étudiait l’Enfer. Or, au deuxième cantique de l’Enfer, nous trouvons Béatrice venant précisément du Paradis pour rencontrer Dante en train d’entrer dans l’Enfer en compagnie de Virgile. Elle dit avec douceur et autorité à son amoureux : « Je suis Béatrice qui te fais aller Je viens du lieu ou retourner désire Amour me pousse et me fait parler. » (I sono Béatrice che ti faccio andare Vengo di loco ove tornar desio Amor mi muove che mi fa parlare.) Où sommes-nous, dans cette vision ? Sur un point de la terre d’où s’ouvrent trois chemins : vers le ciel, vers l’enfer, et vers l’histoire. Vers le ciel, par la personne de Béatrice, vers l’enfer, par celles de Virgile et de Dante, vers l’histoire par nous les lecteurs. Ainsi, au moment où Dante est en train de descendre aux enfers guidé par Virgile, et où Béatrice se dispose à remonter au ciel d’où elle est descendue, nous entreprenons d’aller à Florence pour rencontrer Dante et Béatrice dans l’histoire poétique de leur amour, en suivant le journal de la Vita nuova écrit par le poète. |
t503500 : 13/12/2020