ANALYSE  RÉFÉRENTIELLE
ET  ARCHÉOLOGIQUE


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Ennio Floris



Autobiographie








Au collège

Au son de la clochette des sœurs cloîtrées



P. Danet : Magnum dictionarium latinum et gallicum, MDXCI 



EN SARDAIGNE



LE DÉPART



L’ITALIE

Au collège d’Arezzo
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-  Le collège
-  L’état des lieux
-  Un mois d’eau d’oignon
-  Parmi les meilleurs
-  La clochette des soeurs
   cloîtrées

-  La poésie d’amour
   de Dante
-  En vacances

Le Noviciat

Philosophie et départ


PUIS LA FRANCE



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otre couvent n’était pas loin de celui des sœurs cloî­trées du même Ordre. Chaque matin, à la levée du lit, j’entendais résonner la clochette des religieuses appelant chacune d’elles à se rendre aux offices du chœur. Le son de la clochette était si pétillant qu’il ne pouvait échapper aux oreilles de toute personne habitant aux alentours. Ou bien, ne voulant pas de­meu­rer dans les limites de la clôture monastique, elle jouait, par ses coups légers mais incisifs, un rôle de communion entre les sœurs et nous, frères du mê­me Ordre ? Mais cette communion ne pouvant pas exister en raison de la clôture, le son des clochettes se confondait avec les bruits du lieu. Mais pourquoi, me disais-je, de telles pensées surgissaient-elles dans mon esprit ? « Oh ! C’est po­éti­que ! » me ré­pon­dais-je. Poétique cependant qui m’interrogeait in­térieu­re­ment !

    J’ai eu l’idée de communiquer ces remarques à Garra­mone, jeune homme de quatrième année, le nar­rateur du collège aussi plein de verve que d’in­té­rêt pour les plus jeunes. Il resta très étonné de mon étrange propos, ne pouvant le considérer que comme un trait d’humour. Car, en aucune façon, les sœurs n’auraient aimé être interceptées par des frères sur le chemin qui les unit à Jésus-Christ. Conscientes d’être des épouses de Jésus, elles s’unissaient à lui par le sentiment d’une jalousie d’amour.
    Si l’ami Garramone était étonné de mon propos, moi je le fus par sa réponse. Mon ami me fit com­pren­dre que, chez les sœurs, l’amour de chacune d’el­les envers Jésus demeurait sans doute hors de tout désir d’union charnelle, mais qu’il était aussi fort et intime que celle-ci. Il confirma cette affir­ma­tion en rappelant des phénomènes psychiques subis par beaucoup de saintes, telles que Catherine de Sien­ne, comme des extases, des visions, ou des su­eurs de sang, etc.
    Vivement intéressé par l’information que Garra­mone m’avait donnée, je lui avais demandé com­ment l’avait-il su. Il m’avait répondu qu’il le savait par des informations venant des pères confesseurs des sœurs : « Tu sais que la confession est bien le lieu du pardon des péchés, et donc des faits, non seulement tels qu’ils se sont accomplis, mais aussi dans la genèse de leur accomplissement. »

    Après cette rencontre, je suis resté plusieurs jours, pour ne pas dire plus d’une semaine, sans le voir. J’étais un peu troublé par son absence, car s’il avait été malade je l’aurais su. En voyant un des pro­fes­seurs j’ai saisi l’occasion de m’informer.
    En me prenant à l’écart et en s’approchant de moi comme pour me parler à l’oreille, il me dit que Gar­ra­mone avait une relation amoureuse avec une des sœurs cloitrées et s’était évadé avec elle. Me recom­mandant de ne rien dire à personne afin d’éviter tout scandale, il me quitta subitement. Mais tout le mon­de le savait, l’ayant peut-être prévu en connaissant son amour secret. Les exigences de la vie commune du collège obligeaient cependant de ne pas en parler.
    Quant à moi, tout en étant étonné, je n’étais pas scandalisé. Lorsque j’avais interrogé Garramone sur les sœurs cloîtrées, il avait montré qu’il connaissait très bien leur sentiment amoureux dans leur relation avec Jésus. Ce fait m’apparaissait surprenant, mais je n’en pouvais douter, car la nouvelle venait de Gar­ramone, qui avait dû en être informé par la sœur dont il était amoureux. Selon toute probabilité, on peut aussi supposer qu’elle en avait été affectée. Ce­la me pousse aussi à croire que la fuite de Gar­ra­mone avec elle n’avait pas d’autre fin que le maria­ge. C’était donc vraiment dommage que la conclu­sion de cette histoire d’amour ait été ensevelie dans le silence, afin précisément que le comportement des deux amoureux ne soit considéré que comme un aban­don de la vie religieuse par folie d’amour : la re­ligieuse pour avoir renié les vœux qu’elle avait professés devant Dieu et l’Église, le jeune-homme, pour l’avoir séduite.
    C’est l’accusation que l’Église formule d’habitude contre celui ou celle qui quitte la vie monastique sans l’autorisation préalable du Saint-Siège : ils ne peu­vent pas sortir librement de la condition de vie qu’ils ont librement choisie, l’Église s’étant acca­pa­rée leur liberté.

    Pour moi, ce cas fut l’occasion d’une réflexion sur la conduite à suivre dans ma propre existence. J’ai fait allusion dans la première partie de cet écrit à mon doute sur mon engagement à suivre une vie re­li­gieuse. La fuite de ces amoureux me poussait-elle à les suivre ? Non, mais à mettre en évidence les li­gnes d’orientation tracées dans mon existence.
    Je rappellerai d’abord qu’à la suite de la mort de mon père, la possibilité que je reçoive une formation scolaire primaire était compromise. En effet, non seu­le­ment je n’avais pas pu suivre les cours de la première et de la deuxième année, mais j’étais dans des condi­tions financières qui m’obligeaient à re­non­cer à l’é­co­le et à m’engager, comme mes frères, dans le travail. Ouvrier analphabète, donc ! Mais tout en assurant les courses nécessaires aux nom­breux be­soins de la maison, j’avais quand même pu suivre l’école jusqu’à la cinquième.
    Il s’ajouta par la suite ma rencontre avec le père Zappulla qui, étonné que mon nom de famille soit « Floris », eut l’inspiration de lui donner un sens tiré d’un passage du Cantique des Cantique : « Flores ap­pa­ruerunt in terra nostra » (les fleurs apparurent sur notre terre). Les Écritures auraient ainsi donné un sens au nom de ma famille, et donc à mon exis­tence. Or, puisque ce terme était en latin et que, dans les grammaires, il est employé comme mot-clé de la troisième déclinaison (Flos – Floris), je fus tenté de croire que ma naissance s’était accomplie dans l’é­clo­sion des fleurs. Surprenant, encore, de savoir que j’étais né au printemps et dans un jardin ! En signe de cela, le Père Zappulla m’avait fait cadeau d’une grammaire latine, avec laquelle j’avais commencé à apprendre tout seul la langue.
    Par la suite, mon nom trouva un surplus de sens lors de ma rencontre avec le père Olivi, qui me de­man­da si je voulais devenir frère dominicain, donc de l’Ordre de Thomas d’Aquin et de Lacordaire. À ma réponse affirmative, il m’annonça que je le se­rais, et qu’il s’engagerait pour que je le devienne. J’ai eu dès lors la conviction que le Destin avait ins­crit ma vie dans la perspective d’être appelé par Dieu à être un père prédicateur de sa parole. Il fallait donc ne jamais perdre de vue cette perspective !

    Aucune hésitation donc dans ma conscience, mais je souffrais. Je me sentais seul au collège, non parce que j’étais privé de copains ou d’amis, mais parce que je n’avais aucune relation avec des femmes. Je pensais que celles-ci ne sont pas seulement des in­di­vidus autres que nous, mais qu’elles ont une « exis­tentialité », une raison d’être « elles-mêmes », diffé­rente de la nôtre. Bien sûr, par le vœu de chasteté que je devais faire pour être dominicain, je ne pour­rais pas avoir de relations sexuelles avec elles, mais cela n’aurait pas empêché d’être en communion par le discours, les sentiments, la sensibilité, la concep­tion des choses, notre vision du monde enfin. Il n’est pas nécessaire d’avoir des relations sexuelles pour parvenir à cette union, celle-ci ne nous oblige pas à vi­vre ensemble. J’ai donc cherché des exemples et des projets qui auraient pu me rendre possible ce par­tage de vie, me sortant de cette solitude.
    Cette possibilité me fut offerte par la lecture de la Vita nuova de Dante, recommandée par le Profes­seur comme complément de la Divine Comédie, dont on étudiait l’Enfer. Or, au deuxième cantique de l’En­fer, nous trouvons Béatrice venant précisé­ment du Pa­ra­dis pour rencontrer Dante en train d’en­trer dans l’Enfer en compagnie de Virgile. Elle dit avec dou­ceur et autorité à son amoureux :

    « Je suis Béatrice qui te fais aller
    Je viens du lieu ou retourner désire
    Amour me pousse et me fait parler.
»

            (I sono Béatrice che ti faccio andare
            Vengo di loco ove tornar desio
            Amor mi muove che mi fa parlare.
)

    Où sommes-nous, dans cette vision ? Sur un point de la terre d’où s’ouvrent trois chemins : vers le ciel, vers l’enfer, et vers l’histoire. Vers le ciel, par la per­son­ne de Béatrice, vers l’enfer, par celles de Vir­gi­le et de Dante, vers l’histoire par nous les lecteurs. Ainsi, au moment où Dante est en train de descendre aux enfers guidé par Virgile, et où Béatrice se dis­po­se à remonter au ciel d’où elle est descendue, nous entreprenons d’aller à Florence pour rencontrer Dan­te et Béatrice dans l’histoire poétique de leur amour, en suivant le journal de la Vita nuova écrit par le po­ète.




Rédigé de 2009 à 2012




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t503500 : 13/12/2020