ANALYSE  RÉFÉRENTIELLE
ET  ARCHÉOLOGIQUE


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Ennio Floris


Le christianisme entre la préhistoire et l’histoire





Introduction


Sommaire

Introduction

La religion, idéologie constituante

Dialectique de la religion

La crise de la civilisation romaine

Jésus-Christ

Périodisation historique

Attitude des Églises

Christianisme et marxisme

Une solution à la crise

Jésus de Nazareth



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   Dans ces pages, j’ai voulu réfléchir sur la crise du christianisme à partir de la constatation qu’aujourd’hui le conflit qui oppose le monde moderne à la religion chrétienne relève des contradictions qui apparaissent aussi bien au niveau des catégories de pensée que du choix de société.

   Pour qu’une croyance soit acceptée par un peuple, il faut qu’elle lui soit crédible, s’inscrivant avec cohérence dans sa conception du monde et participant de ses valeurs d’existence.
   Le christianisme a détenu des instances de crédibilité jusqu’à la révolution galiléenne. Pour ne m’arrêter qu’à la doctrine concernant Jésus-Christ, qui en est le fondement, elle était conforme à la vision du monde et au système des valeurs des cultures occidentales. Avec raison d’ailleurs puisque, comme nous le verrons par la suite, il en était le créateur. On pouvait bien croire que Jésus-Christ venait du ciel et y remontait, dans la mesure où la cosmologie lui offrait comme support un espace cosmique hiérarchisé à trois dimensions, enfermé dans un temps accompli. Aussi n’y avait-il pas d’obstacles à ce qu’il joue le rôle de médiateur et de sauveur, puisque l’éthos populaire se fondait sur le tragique d’une humanité possédée par des puissances mauvaises transcendantes (1).
   Or cette harmonie commença à se briser quand Galilée braqua sa lunette vers le soleil et y découvrit des taches (2). De découverte en découverte, de rupture en rupture, on passa vite d’une compréhension théologique de l’univers à une explication mécaniciste. En même temps, l’homme prit conscience qu’il possédait en lui-même, dans les principes mathématiques, des moyens de connaissance qui l’égalaient à Dieu (3). Réduction mathématique et autonomie de la conscience furent donc les points de départ qui amenèrent la culture à rompre avec le christianisme au niveau des catégories de pensée.
   Si nous regardons les courants qui ont dominé ou dominent actuellement cette cuture – idéalisme et historicisme, matérialisme historique et psychanalyse, phénoménologie et structuralisme – nous constaterons qu’un renversement radical s’est opéré dans les catégories, puisque la transcendance a cédé la place à l’immanence et le spiritualisme au matérialisme, la révélation a été supplantée par la surdétermination du sens dans l’inconscient, la métaphysique par l’histoire. Au sommet du schéma représentatif de l’univers, on ne trouve plus le sujet mais des forces de production ou des impulsions psychiques, des oppositions structurelles ou dialectiques.

   En ce qui concerne le choix de société, la perspective socialiste constitue aujourd’hui le point de rupture dans la vie et la politique de tous les pays du monde. Même lorsqu’on se refuse à comprendre ce phénomène comme une résultante des luttes de classes, force est de reconnaître qu’il suscite des tensions auxquelles aucune institution ne pourrait échapper.
   Le christianisme, lui aussi, en est affecté. Depuis son apparition comme institution historique et à partir de l’ère constantinienne, l’Église s’est toujours liée aux pouvoirs politiques, se faisant garante de leur légitimité auprès des peuples qui leur étaient soumis. Associée à l’empire ou à la royauté, flattant les démocraties ou les tyrannies, libérale et fasciste, elle a toujours joué un rôle idéologique conforme au pouvoir dominant. Cela a suffi pour qu’elle demeure dans ses structures inéluctablement condi­tionnées par le capitalisme. À cause de ce condition­nement, elle ne pourrait opter pour une société socialiste sans être obligée de se remettre en question dans ses structures et son idéologie.

   Il m’apparaît donc que dans la situation actuelle du christianisme se trouvent les conditions objectives d’une crise profonde, même si celle-ci n’a pas, à proprement parler, encore éclaté. En effet, quant aux nouvelles catégories, il serait insuffisant de penser qu’il s’agit d’un problème de langage susceptible d’être résolu par une voie herméneutique. Comment pourrions-nous parler d’interprétation alors que les catégories modernes de pensée ôtent au kérygme chrétien ses conditions de crédibilité ? Quant au changement de société, il est légitime de se demander si la critique de l’institution ecclésiastique qu’elle comporte pourra s’arrêter à l’ère constantinienne. Constantin aurait-il pu lier l’empire à l’Église si celle-ci n’avait pas déjà été formée sur le modèle de l’empire et le Christ lui-même fait à l’image de l’empereur ?
   À mon sens, la rupture qui s’est opérée entre le christianisme et le monde moderne dépasse le problème des structures. Elle s’est produite par l’émergence des contradictions latentes qui ont fait éclater le bloc historique qui unissait la religion chrétienne à la civilisation occidentale. Mais quelles sont ces contradictions, et pourquoi l’éclatement de ce bloc bimillénaire a-t-il eu lieu à notre époque ?



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(1) Les études de Bultmann sur la démythisation demeurent, à cet égard, toujours actuelles quant à la mise en évidence de l’existence de la mythologie dans le Nouveau Testament. R. Bultmann, Interprétation du Nouveau Testament, Aubier, VI, p. 139-183.   Retour au texte

(2) Le Sidereus nuntius (1610), brochure qui rapportait les observations galiléennes sur les taches solaires, marqua une rupture non seulement avec l’approche mythologique de l’univers, mais aussi avec le conditionnement de la culture par la théologie. Galilée s’engagea directement dans cette lutte par ses Dialogues sur les deux grands systèmes.   Retour au texte

(3) « Ce peu que l’intellect de l’homme comprend des sciences mathématiques pures égale par sa certitude objective la connaissance divine ». Galilée, Dialogo dei massimi sistemi, Ed. Rizzoli, p. 140.   Retour au texte



c 1975




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