ANALYSE  RÉFÉRENTIELLE
ET  ARCHÉOLOGIQUE


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Ennio Floris


Le christianisme entre la préhistoire et l’histoire





La crise de la civilisation romaine
et l’avènement des Césars


Sommaire

Introduction

La religion, idéologie constituante

Dialectique de la religion

La crise de la civilisation romaine

Jésus-Christ

Périodisation historique

Attitude des Églises

Christianisme et marxisme

Une solution à la crise

Jésus de Nazareth



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   Aux origines du christianisme, nous nous trouvons au premier siècle de l’empire romain. Précisons que la constitution de l’empire sous la principauté d’Auguste avait été l’aboutissement d’une profonde crise de civilisation. Je me bornerai à en souligner quelques aspects aux niveaux économique, politique et religieux.

   L’économie était régie par un système de thésaurisation fondé sur l’esclavage, qui trouvait ses sources dans l’agriculture et le butin de guerre. L’État et les citoyens romains en étaient les seuls bénéficiaires. Ce régime ne pouvait se maintenir que dans la mesure où, d’une part il y avait toujours des peuples à conquérir, et d’autre part des citoyens libres et propriétaires en nombre suffisant pour gérer les affaires de l’État, de la guerre et de la production.
   Or l’expansion de la république avait pris une ampleur telle qu’elle constituait la partie la plus importante de la terre habitée (oikumène). Les nouvelles conquêtes étaient devenues de plus en plus difficiles, et elles entraînaient des frais qui dépassaient les taux de profit espérés. En général on devait pallier le manque de butin par des impositions fiscales qui appauvrissaient les provinces.
   Il y avait pléthore de main d’œuvre non qualifiée pour le travail à accomplir, mais insuffisance d’hommes libres qualifiés pour assumer les tâches de gestion, qui durent être confiées à des affranchis ou même à des esclaves. Le système économique craquait par l’intime contradiction de sa structure.

   La crise se répercuta au niveau des superstructures, surtout dans le droit. Deux systèmes juridiques coexistaient : le « droit des gens » (jus gentium), qui réglait les relations entre les peuples, et le « droit civil » (jus civile), qui concernait les citoyens romains.
   En principe, le jus gentium présentait toutes les conditions pour se situer au sommet de la justice. N’était-il pas le droit du « genre humain », garantissant à chaque peuple de vivre librement selon ses propres lois ? Mais puisque chaque peuple faisait partie de la communauté romaine, il était conditionné par le jus civile. Dès lors il apparaissait que le fondement véritable de la justice (ratio suprema juris) n’était pas le droit des gens mais le droit civil. Code propre au peuple libre et dominateur, celui-ci prétendait incarner la véritable image de l’homme parfait, tandis que le jus gentium, commun à tous les peuples, se situait au niveau le plus bas de l’humanitas, moins expression de la liberté de l’homme que limite séparant les hommes du monde animal. Pour être véritablement des hommes, il fallait aux habitants de l’oikumène devenir des citoyens romains.
   C’est ainsi qu’à partir des Gracques, le problème de l’extension du droit de cité aux provinces devint une nécessité vitale pour la république. Ce n’était pas la cité qui prenait son importance par sa relation avec les peuples, mais l’univers des nations qui trouvait sa légitimité dans son insertion dans la cité. La cité (urbs) devint monde (orbs), mais ce passage ne pouvait se faire sans une crise profonde, dans la mesure où le droit civil, bâti à la mesure d’une ville, devait se transformer en un droit de dimension terrestre. Mais pouvait-il le devenir sans rompre ses structures et dépasser son image d’homme primitive ?

   La crise était encore plus grave dans la religion. Peuple religieux au moins autant que les Égyptiens et les juifs, les Romains se caractérisaient par le caractère dépourvu de mystère de leur religion. Ils ne s’adressaient pas aux dieux pour espérer vivre rituellement une libération dans l’au-delà, mais pour obtenir leur protection sur la famille et sur l’État. Nulle part la religion n’avait été aussi intimement liée à la politique, au point que les offices sacerdotaux étaient exercés par les responsables politiques eux-mêmes. D’où l’efficacité de la religion dans la grandeur de Rome, mais aussi ses limites, car elle était si instrumentalisée par la politique qu’elle en était une fonction : il s’agissait d’une religion des Romains pour les Romains, dans le cadre du droit civil.
   Ses insuffisances apparurent au même moment et pour les mêmes raisons que celles du droit. En effet Rome – ce fut l’un de ses plus grands mérites – respecta la liberté religieuse des peuples et en fut garante. Mais quand des personnes d’autres religions devinrent ses propres citoyens, elle s’aperçut qu’elle n’avait pas à leur égard cette autorité qui lui était reconnue par les latins. Elle leur demeurait étrangère et ouvrir le panthéon de l’État aux peuples dominés fut totalement inutile, car la religion romaine n’en acquit pas plus d’autorité pour autant. En outre, il manquait à ce panthéon la présence d’un dieu qui aurait pu unir tous les autres sous un même culte, ce panthéon était à l’image de l’oikumène, où des peuples se trouvaient unis politiquement sans pouvoir cependant se rencontrer dans la même image de l’homme. Ainsi, tandis que les citoyens devenaient étrangers à l’État, celui-ci perdait l’instrument le plus déterminant de son pouvoir.

   Je n’examinerai pas ici tous les phénomènes auxquels aboutit la crise, tels que la division entre les hommes et leur incompréhension, le penchant vers le rationalisme matérialiste et les expériences de religions à mystère, la lutte des classes et les troubles sociaux, et ne parlerai que de la constitution de l’empire.
   Politiquement, l’empire ne fut que la transposition de la dictature érigée par César en principauté permanente. Mais il serait faux de ne la comprendre que comme un pouvoir tyrannique, car elle visait, dans l’intention même d’Auguste, à l’instauration d’un ordre nouveau, le salut de l’empire par un pouvoir de caractère divin. S’il est vrai qu’Auguste ne permit pas d’être « adoré » à Rome, il n’en favorisa pas moins la création du nouveau mythe dans lequel il naissait comme fils de dieu. En outre, dans les provinces, son culte fut associé à celui de la déesse Rome et eut ses propres prêtres (Flamin).
   Le prophète de cette nouvelle religion fut Virgile. Il chanta dans la quatrième Églogue la fin de l’âge du fer et le commencement de l’âge d’or, où les humains pourraient désormais vivre en paix sous le règne d’un dieu. Mais il fut aussi le poète du nouveau mythe, qu’il chanta dans une épopée qui avait pour but la divinisation de Rome et des Césars.
   Les peuples de l’oikumène eurent enfin leur sauveur, les Césars le furent non seulement parce qu’ils tenaient sous leur pouvoir le monde habité, mais aussi parce que, dans les provinces, ils réunissaient par leur culte toutes les cités dans une communauté (koinon) qui dépassait les intérêts strictement politiques. En tant qu’empereur, les peuples voyaient en lui le libérateur des ennemis, en tant que Dieu un chef à la fois historique et transcendant, qui faisait de leur assemblée un « corps » vivant. S’il est vrai que les hommes réunis dans le Koinon ne se liaient au « dieu César » que par la prière (petitio), celle-ci parvenait à faire juger et condamner le « procurateur » : le culte de César permettait au peuple une prise de conscience de lui-même dans le vis-à-vis de son dieu.



c 1975




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