ANALYSE  RÉFÉRENTIELLE
ET  ARCHÉOLOGIQUE


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Ennio Floris


Le christianisme entre la préhistoire et l’histoire





Jésus-Christ et la nouvelle image de l’homme


Sommaire

Introduction

La religion, idéologie constituante

Dialectique de la religion

La crise de la civilisation romaine

Jésus-Christ

Périodisation historique

Attitude des Églises

Christianisme et marxisme

Une solution à la crise

Jésus de Nazareth



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   Rien n’est plus universel et plus réel que l’apparition d’un dieu à l’horizon de l’histoire d’un peuple. Bien qu’il s’agisse d’une projection mythique, elle marque le surgissement d’une conscience historique nouvelle qui s’ouvre une voie à travers les siècles. Apparemment abstrait, le personnage divin devient le prototype exemplaire de l’homme à venir, qu’il guide dans la marche périlleuse de son existence. Il est image, mais il détermine aussi un engagement total pour la réalisation du projet humain.

   En venant maintenant à l’étude du christianisme au moyen de ce schéma phénoménologique, je ne m’attacherai pas au contexte historique de sa naissance ni aux multiples thèmes de son message. Je porterai seulement mon attention sur « Jésus-Christ », qui en constitue le modèle fondamental.
   Cette expression prend aujourd’hui le sens d’un nom, mais à l’origine elle était un jugement, celui qui exprimait pour l’Église la valeur de la personne et de l’œuvre de Jésus de Nazareth : Jésus est le Christ (1). Mais il serait erroné de croire que le prédicat « Christ » est une qualité personnelle du prophète de Galilée : il est un mot qui prend son sens moins dans l’histoire de Jésus que dans la vision épique que le peuple juif avait de sa propre histoire, la victoire finale sur les nations. Il est donc un jugement qui, tout en se référant à la personne de Jésus, la sublime en la transformant en personnage dans la représentation mythique. Synthèse a priori au niveau de l’imaginaire, celle-ci devient porteuse d’une image d’homme qui se projette dans l’histoire des hommes (2).
   Dans la prédication apostolique, Jésus de Nazareth n’avait qu’une fonction de référence. Lorsque l’Église fut contrainte, dans les évangiles, à en exhumer la vie, elle le fit en la soumettant à une censure (3) qui refoula dans les silences du texte tout ce qui aurait pu compromettre la personnalité du Christ, déjà acquise par processus mythique (4).
   On peut affirmer avec raison que le Christ naît lorsque Jésus meurt. Vivant, il n’avait aucune chance de réaliser son projet selon lequel les hommes, unis par-delà les liens du sang et du profit, se seraient définis par la maîtrise de leur conditionnement d’existence. Ce message était trop révolutionnaire pour être accepté sans bouleverser le système de valeurs qui soutenait la société. Mort, il a pu l’assumer lui-même comme essence de sa personne divinisée : ce que Jésus n’avait pu réaliser dans sa vie le fut par le Christ, au niveau du mythe.

   Il se passa dans la naissance du christianisme un phénomène culturel analogue à celui qui engendra l’empire. En effet, César avait échoué dans son projet impérial parce que son époque, malgré l’affaiblissement de l’État, était encore trop républicaine pour accepter une dictature permanente. Mais une fois mort, il devint un personnage divin dont l’essence fut précisément cet idéal d’empire qui fut incarné par Auguste et ses successeurs. Par sa divinisation il devint image idéale de cet homme nouveau que Virgile avait chanté dans la quatrième Églogue et dont l’Énéide fut l’épopée. Pour Jésus et pour César la mort fut nécessaire pour que leur visée put, au moyen du mythe, s’inscrire dans l’histoire. César fut divinisé selon le schéma de l’apothéose propre au mythe du héros (5), Jésus par celui de la résurrection (6) conforme à la mythologie apocalyptique.
   C’est donc le Christ et non Jésus qui constitue le fondement de la nouvelle civilisation portée par le christianisme. Sa figure demeure étonnante par son envergure, bouleversante dans sa nouveauté. Fait à l’image des grands personnages bibliques, tels que Moïse, Élie ou Jérémie, il s’assimile aussi au modèle du héros, puisqu’il naît d’une vierge mère (7) et meurt dans l’accomplissement d’un exploit divin. Fils de Dieu et dieu, il incarne à la fois l’idéal de Jésus de Nazareth et la vision utopique de ces pauvres et de ces refoulés de l’empire qui exprimèrent en lui l’exaltation historique de leur propre existence.

   Prenant la relève du « divin César », le Christ offrit à l’oikumène romaine l’image de l’homme nouveau à la dimension cosmique. Cette image est moins reconnaissable dans les titres qui définissent sa personnalité que dans les prépositions qui en représentent la structure. Il est celui par qui, en qui et pour qui toutes choses ont été faites et le monde subsiste (8). Il n’est pas inutile de remarquer que ces prépositions correspondent aux moments constitutifs de cette conscience de soi où nous nous sommes définitivement reconnus au bout de notre civilisation. C’est l’homme sujet, qui ne vit que pour lui, dans un univers qui s’est créé lui-même. Au niveau du mythe et du récit, le Christ joue le drame de l’histoire que les hommes ont vécue pour la conquête de leur propre personnalité d’homme.

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(1) La forme de jugement apparaît d’une façon explicite à la fin du quatrième évangile (Jn 20:31), mais le récit de Marc aussi, tout en se voulant « un évangile de (sur) Jésus-Christ, fils de Dieu » (Mc 1:1), se révèle à la fin comme une catéchèse visant à montrer que Jésus est fils de Dieu (Mc 15:39).   Retour au texte

(2) Image de Dieu (2 Co 4:4 ; Col 1:15), le Christ n’en demeure pas moins image exemplaire de l’homme (1 Co 15:49 ; Col 3:10 ; Rm 6:4-5 ; 8:29).   Retour au texte

(3) Dans la théologie paulinienne, le Christ est objet d’une révélation qui s’inscrit exclusivement dans le cadre d’une interprétation des Écritures, sans tenir compte du Jésus historique. Celui-ci (qui ne correspond même pas au « Christ selon la chair » de Rm 1:3, n’apparaît que dans des vestiges marginaux et refoulés (Ga 4:4).   Retour au texte

(4) Selon la plus ancienne tradition apostolique, Jésus fut fait Christ dans le ciel, après sa résurrection (Ac 2:36).   Retour au texte


(5) Pour l’apothéose de César, voir Ovide, Méta­morphoses, XV 745-860 ; Suétone, César, 88. Je rappellerai le texte de cet historien : « Le consul Antoine fit lire par un héraut le sénatus-consulte qui avait décerné à César tous les honneurs divins et humains, ainsi que le serment par lequel tous s’étaient liés pour le salut d’un seul » (Suétone, César, 84).   Retour au texte

(6) Dn 12:1-2. La résurrection elle-même fut toutefois inscrite dans le cadre mythique de la montée au ciel (Mc 16:19 ; Lc 24:51 ; Ac 1:9).   Retour au texte

(7) Voir l’étude détaillée des récits de la naissance de Jésus.   Retour au texte

(8) « Car en lui ont été créées toutes les choses… Tout a été créé par lui et pour lui » (Col 1:16), mais aussi Rm 11:36. Voir, à titre indicatif : « par lui » Jn 1:3 ; 1 Co 8:6 ; Hb 1:2 ; 2:10 ; « pour lui » Col 1:20 ; 1:16 ; « en lui » Ep 1:4 ; 2:10.   Retour au texte



c 1975




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t853040 : 05/02/2019