ANALYSE  RÉFÉRENTIELLE
ET  ARCHÉOLOGIQUE


Auteurs Méthode Textes
Plan Nouveautés Index Liens Aide





Ennio Floris


Le christianisme entre la préhistoire et l’histoire





L’attitude des Églises


Sommaire

Introduction

La religion, idéologie constituante

Dialectique de la religion

La crise de la civilisation romaine

Jésus-Christ

Périodisation historique

Attitude des Églises

Christianisme et marxisme

Une solution à la crise

Jésus de Nazareth



. . . . . . . . - o 0 o - . . . . . . . .

   Parler du comportement des Églises face à ces phénomènes demeure difficile car n’étant plus, comme jadis, unies d’une façon rigide et intransigeante par une formulation dogmatique, elles éclatent en groupes opposés, dont les orientations sont mouvantes. Il est cependant possible de souligner des tendances générales susceptibles d’unir ces orientations selon l’affinité de leurs visées pratiques.
   Celles-ci apparaissent toutefois marquées plus par le marxisme que par les autres idéologies sécularisantes. En effet seul le marxisme descend du niveau de la réflexion savante à celui de l’idéologie ambiante, au moyen d’une praxis qui atteint même les masses qui demeurent conditionnées par la religion. On peut alors affirmer que la démythisation de la culture parvient à atteindre les chrétiens par le biais du marxisme. Par retour, il se passe aussi que les Églises répondent à l’action démythisante de la culture par leur réaction à l’encontre du marxisme. Cible directe, celui-ci exerce néanmoins un rôle de médiation dans le conflit idéologique actuel.

   Je soulignerai avant tout la réaction des milieux traditionalistes orthodoxes. Pour ceux-ci le pro­cessus de sécularisation aurait subi un échec dans sa prétention à l’homme. Il n’aurait de valeur qu’au niveau du langage et quant à la méthode d’approche du réel, mais il aurait été incapable de donner une réponse aux interrogations d’existence, qui de­meurent du domaine de la foi. Quant au marxisme, instrument utile d’analyse des phénomènes économiques et politiques, il serait erroné dans sa conception matérialiste de l’homme et de l’histoire.
   Conscients de la gravité du moment, ces milieux cherchent à actualiser leur foi par un engagement total dans une lutte idéologique où ils s’opposent à la radicalisation du matérialisme dialectique par la radicalisation de leur spiritualisme chrétien. C’est un combat que l’Église mène pour sa propre existence, la solution de la crise est donc conditionnée par l’issue de cette lutte, si toutefois, comme on l’espère fermement, l’esprit triomphe sur la matière et l’évangile sur le marxisme.

   D’autres milieux s’opposent à cette orientation, qu’ils estiment rétrograde et dangereuse puisqu’elle contraindrait les chrétiens à se replier sur eux-mêmes et à revenir à des positions périmées plutôt qu’à l’Évangile. Tout en demeurant critiques à l’encontre de la conception matérialiste et athée de l’homme, ils estiment d’une part que la praxis du marxisme est libératrice, et d’autre part qu’elle n’est pas nécessairement liée à sa philosophie de l’homme.
   C’est ainsi qu’ils pensent devoir renoncer à toute lutte idéologique, pour chercher avec les courants sécularisés et le marxisme en particulier une rencontre au niveau de la praxis, non qu’ils refusent la confrontation, mais seulement la subordination à un accord idéologique préalable de leur engagement pratique pour la réforme de la société. Il s’agit d’une attitude de compromis historique analogue, je crois, à celle que les Églises ont gardée entre elles dans le mouvement œcuménique.
   Dans cette attitude, le conflit entre christianisme et marxisme se déplace, sa solution étant confiée à l’histoire plutôt qu’à la raison. Le problème n’étant pas résolu, l’attitude du chrétien vis-à-vis du marxisme demeure contradictoire au niveau idéologique, car elle n’est possible que dans la mesure où la critique de la religion est mise en veilleuse : peut-on s’appuyer sur la théologie pour s’engager dans une perspective dont le surgissement a été marqué, justement, par la remise en cause du conditionnement de la société et de la culture par la théologie ?
   Il est évident que la théologie traditionnelle catholique ou protestante ne pourrait déboucher sur une perspective marxiste sans faire l’économie de l’histoire. La liaison ne s’opèrerait que par une herméneutique dont le but serait pratique et récupérateur, et qui demeurerait axée sur l’exploitation thématique par-delà l’analyse critique des textes. Autrement dit on les interprète en ce qu’on reprend, revisite, leur sens après les avoir extraits de leur contexte. Cette interprétation considérerait les Écritures à la façon de ces canevas dramatiques qui étaient exploités par la Commedia del arte. Naturellement, il s’agirait ici d’un art et d’une comédie qui se situeraient à un autre niveau et avec un autre but, celui de vivre le christianisme dans un contexte marxiste.

   Ces contradictions disparaissent dans l’attitude de ceux qui cherchent une rencontre avec le com­munisme par une critique réductrice, qui touche aussi bien le christianisme que le marxisme : réduction du marxisme à Marx, du christianisme au Christ, c’est-à-dire au message révolutionnaire de Jésus. À ce niveau, la praxis marxiste et le message de l’Évangile apparaissent admirablement conciliés. Je range dans cette attitude les mouvements qui prennent le nom de « marxistes chrétiens », que nous retrouvons non seulement en France, mais aussi un peu partout dans le monde, comme dans l’Amérique du sud et en Italie.
   Je ne cache pas mon attrait pour ces mouvements. Ils demeurent dans le christianisme tout en étant critiques, lui permettant de sortir de son impasse et de s’inscrire à nouveau dans l’histoire, par le biais du marxisme, sans renier son message. Ma sympathie pour cette attitude ne m’empêche cependant pas d’en mettre en évidence les limites.
   En effet, contrairement à ce qui peut apparaître au premier regard, non seulement elle ne dépasse pas la religion, mais elle la crée à nouveau, car quel est le moment dialectique où le marxisme s’unirait au christianisme ? Certes pas la praxis de l’Église primitive, ni même l’action et le message du a name="teca">Jésus historique, mais une interprétation qu’ils font eux-mêmes du a name="tecb">Christ, en le dépouillant de l’image d’homme impérialiste pour la substituer par celle de l’homme marxien. Le moment de cette rencontre n’est donc pas historique, mais un nouveau processus culturel qui se relie au passé par la médiation d’une projection mythique. Les équations qui m’apparaissent fonder leur processus de synthèse et qui s’enchaînent dans un mouvement circulaire – Évangile = Christ = Jésus = Révolution = Marxisme, et donc Marxisme = Évangile – sont d’ordre imaginaire et non historique (1).
   On me répondra que cet imaginaire est apte à une histoire, dans la mesure où il devient la motivation d’un engagement des hommes pour leur libération. Sans doute ! Il n’en demeure pas moins qu’il est d’ordre religieux et mythique, de la même façon que le fut le Christ de l’Église primitive. La nouvelle représentation marquerait donc la substitution d’une religion conditionnée par le pouvoir par une religion mise au service de la libération de l’homme. Un nouveau christianisme surgirait ainsi de l’histoire, qui s’inscrirait dans le cadre d’une société socialiste.

   En jetant un regard global sur ces tendances, je dirai qu’elles sont objectivement motivées, inévitables et nécessaires aussi dans le contexte historique, mais régressives. Face à une impasse historique, qui nous appelle avec la force d’un impératif catégorique à franchir les limites, elles reculent. Ont-elles raison ? Je reste perplexe, sachant que l’histoire est faite aussi de détours. Toutefois je regrette qu’appelés à être des Prométhée, les hommes se résignent à un travail de Sisyphe.

______________

(1) Je ne nie pas les efforts qu’ils accomplissent pour parvenir à une lecture marxiste de la Bible, mais celle-ci se situe moins au niveau d’une exégèse critique que d’une herméneutique dont le but est pratique. Qui nous dit que le Christ révolutionnaire qui apparaît à travers la grille de cette lecture est Jésus ou bien, comme je le crois, une nouvelle représentation mythique ? Quant à une lecture critique au sens marxien du mot, qui renverserait le sens de la signification théologique au réel historique, je crains qu’elle ne soit encore à venir.   Retour au texte



c 1975




Retour à l'accueil Périodisation historique Haut de page Christianisme et marxisme      écrire au webmestre

t853060 : 07/02/2019