ANALYSE  RÉFÉRENTIELLE
ET  ARCHÉOLOGIQUE


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Ennio Floris


Le christianisme entre la préhistoire et l’histoire





La dialectique de la religion


Sommaire

Introduction

La religion, idéologie constituante

Dialectique de la religion

La crise de la civilisation romaine

Jésus-Christ

Périodisation historique

Attitude des Églises

Christianisme et marxisme

Une solution à la crise

Jésus de Nazareth



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   Il convient maintenant de jeter un regard plus attentif sur la religion, afin de connaître le fondement de son lien avec l’histoire. La religion devient historiquement opératoire en ce qu’elle implique un projet d’existence, que l’homme fait sien par l’obéissance au dieu sur lequel il l’avait transféré. Or, pour la culture sécularisée et pour les marxistes, ce « transfert » de conscience fait problème, puisqu’il n’apparaît que comme une aliénation de l’homme : les hommes se dessaisi­raient de leur essence pour la transférer et donc l’aliéner sur la personne d’un dieu.
   Pour Marx, cette aliénation prend une telle importance qu’elle devient typique et fonde toutes les autres aliénations humaines : la fonction mystificatrice de l’argent elle-même trouverait ses racines dans l’aliénation religieuse. Ainsi la religion, déjà dépourvue de toute réalité en ce qu’elle ne serait qu’un reflet de la structure, serait, par l’aliénation qu’elle comporte, négatrice de l’homme. On comprend que, pour le marxisme, le com­mencement réel de l’histoire n’est pas marqué par la religion mais par la critique, la démythification, de la religion.

   Cette analyse, exacte quant à la description, m’apparaît fausse quant à la compréhension du phénomène religieux. Elle est valable si l’on admet par principe que l’homme est réductible à une essence – l’auto conscience de liberté – qui le définirait nécessairement dans son être. C’est la thèse rationaliste que nous retrouvons dans les temps modernes de Descartes à Hegel.
   Or cette approche rationaliste du phénomène religieux étonne chez Marx. En effet, n’a-t-il pas renversé la dialectique hegélienne, la transposant de l’idée au concret historique ? Or si l’homme surgit de la dialectique du concret, il n’a pas d’essence, puisqu’il devient. Si, au lieu de demeurer attaché à la tradition rationaliste, Marx s’était situé dans le sillage de Pic de la Mirandole et de Vico (1), il aurait mieux compris que l’étant qui surgit de la dialectique du concret n’a de nature que par son « mode » de production, autrement dit par le rapport dialectique qui l’oppose à la nécessité de la nature. Mais ce qui est étrange, c’est qu’il en avait eu une intuition bouleversante dans les thèses sur Feuerbach.

   En ayant de la religion une approche historiciste et non rationaliste, on sera à même de comprendre la portée de l’aliénation. Celle-ci comporte sans doute une méprise de la part de l’homme, mais il s’agit d’une erreur qui manifeste moins la folie que la sagesse de l’homme qui refuse justement de s’approprier une dimension qu’il n’a pas produite.
   L’homme sort donc de lui-même, par un saut dans l’imaginaire, en produisant un dieu qui puisse le supporter, désormais il demeure en liaison avec la liberté par la médiation de celui-ci. Devenue essence divine, la liberté s’offre à lui en le tiraillant entre l’être et le non-être. En effet, elle n’est pas réductible à lui, et cependant elle est pour lui, l’empêchant de se fixer dans l’être comme dans le non-être. L’homme n’a d’autre possibilité que de devenir, par une praxis où il se porte vers le dieu en même temps qu’il s’en éloigne, se nie à l’essence tout en la faisant sienne.
   Ainsi l’opposition de l’identité et de l’altérité au sein de la religion devient l’impulsion d’une praxis d’existence au niveau de l’histoire.

   Examinons les moments dialectiques de cette praxis d’existence.
   Le premier moment est a-thétique. Les hommes s’unissent au dieu dans le but de participer de sa vie. Cela comporte qu’ils sortent d’eux-mêmes pour rejoindre, par la médiation du dieu, leur projet. Mais ce double mouvement d’éloignement et de rapprochement se fait sans heurts. L’altérité et l’identité coexistent sans que leur contradiction soit mise en évidence.
   Le deuxième moment est thétique. Le dieu s’affirme en lui-même, en s’appropriant l’image d’homme qui devient son essence, l’homme est rejeté hors d’elle. La contradiction émerge ainsi, par l’hégémonie de l’altérité sur l’identité, c’est la thèse dogmatique.
   Le troisième moment est antithétique. Sur le modèle du dieu, l’homme se crée une essence à lui et s’en approprie à l’encontre de la thèse. Il ne vit plus en marge, mais sur lui-même : de même que dieu est sujet dans son univers, l’homme l’est dans le sien. C’est l’antithèse, la séparation du sacré, la sécularisation.
   Le quatrième moment est synthétique. La thèse et l’antithèse se rencontrent en un impact où leur opposition est dépassée par leur reniement réciproque. Le jeu d’alternance de l’image qui tenait l’homme captif cesse, l’opposition entre le sacré et le profane se résout dans un événement qui marque l’entrée de l’homme dans l’histoire.

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(1) Pic de la Mirandole est le premier, à ma connaissance, à comprendre l’origine de l’homme dans le cadre d’un processus de création, où il existe sans être mis en relation avec un archétype et sans qu’il ait une nature propre. L’homme n’existe que par la nature qu’il se donne lui-même. Pic de la Mirandole, De hominis dignitate, Opera omnia, Basilae, p. 314.
   Nous sommes, certes, bien loin d’une conception dialectique de l’homme, mais combien cette géniale intuition a-t-elle ouvert la voie à l’existentialisme et à l’historicisme !
   Quant à Vico, il faut rappeler l’axiome 14 de la Science nouvelle, où il ne donne de l’essence qu’une définition historiciste : « La nature des choses n’est rien d’autre que leur apparition à un moment et dans des circonstances bien déterminées ».   Retour au texte



c 1975




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t853020 : 04/02/2019