Sommaire
Introduction
La religion, idéologie constituante
- Introduction
- Objections chrétiennes
- Objections marxistes
Dialectique de la religion
La crise de la civilisation romaine
Jésus-Christ
Périodisation historique
Attitude des Églises
Christianisme et marxisme
Une solution à la crise
Jésus de Nazareth
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Les objections marxistes
Les marxistes peuvent, eux aussi, avancer des raisons pour ne pas accepter cette hypothèse.
Pour Marx la religion, n’étant que le « reflet » des modes de production qui constituent la structure de la société, n’aurait qu’une fonction idéologique qui « n’a pas d’histoire » (1).
À mon sens, Marx a élaboré cette théorie poussé par un souci polémique à l’encontre de l’idéalisme hégélien. Il parvient même à affirmer que la conscience, productrice de la religion comme de toute idéologie, est un produit de la structure (2). Mais pour le suivre avec rigueur, il faudrait affirmer que les forces et les modes de production sont en-deçà de la conscience et donc de la pensée, affirmation absurde puisque les forces matérielles de la nature ne peuvent devenir productrices qu’à travers une pensée réfléchissante qui les ordonne dans un système technique de rationalité (3). En outre, cette même technique n’aurait de sens que si elle s’inscrivait dans une perspective d’existence. La structure elle-même implique une activité de conscience, or la religion se situe précisément au niveau d’une visée d’existence qu’elle détermine par ses représentations. La ranger ainsi parmi les idéologies « reflet », ombre d’un processus réel qu’elle ne pourrait pas motiver serait la méconnaître dans sa véritable fonction historique.
Son souci polémique a empêché Marx de s’apercevoir qu’en dessous de l’idéologie ou des idéologies dominantes en conflit pour l’hégémonie politique, existe dans la société une idéologie constituante, qui joue le rôle de structure au niveau du sens. Le rapport entre les deux idéologies est analogue à la relation existant dans le langage entre langue et parole. D’ailleurs, une idéologie ne peut devenir dominante que dans la mesure où elle parvient à rendre opératoire une idéologie constituante subjacente, c’est-à-dire un système de sens.
La valeur méthodologique de la définition que j’ai donnée de la religion est ainsi confirmée. La religion se place, dans ma perspective, non pas au niveau des superstructures mais précisément de la structure qui détermine le choix et la vie de la société. Pour la comprendre, il est nécessaire de renoncer à toute définition ontologique de l’homme pour saisir celui-ci dans le concret de sa genèse et de son développement historique : non pas un être objet, créé par une toute puissance transcendante, ni un produit de la matière, mais l’être sujet, l’étant, qui se pose en producteur.
Vico avait insisté sur le caractère créateur de cette production (poièsis), en ayant sous les yeux le premier chef d’œuvre que l’homme avait construit par la fable du mythe, porteuse de sa propre image (4). Par contre Marx a d’abord vu en lui le travailleur, transformateur de la nature et du conditionnement de son existence. Il serait faux cependant de chercher à séparer les deux productions, puisqu’elles ne constituent que les deux pôles d’un même processus, où les hommes produisent les moyens d’existence en même temps que ses fins, les rapports techniques et les relations de valeurs, bref les objets et leur propre image d’homme. Entre ces deux pôles existe une interaction dialectique, qui les constitue en bloc historique.
La religion exerce donc une fonction historique au niveau du sens. Elle est productrice du processus historique de la conscience. Sans doute demeure-t-elle conditionnée par les modes de production, mais elle y répond en les inscrivant dans une visée d’existence, au moyen d’une image d’homme globale avec laquelle les modes de production et les structures de la société doivent constamment se mesurer. D’où l’éclosion de tendances opposées qui visent soit à mieux adapter le système aux conditions économiques, soit à modifier celles-ci toutes les fois qu’un choix fondamental de société est en jeu.
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(1) « De ce fait la morale, la religion, la métaphysique et tout le reste de l’idéologie, ainsi que les formes de conscience qui leur correspondent, perdent aussitôt toute apparence d’autonomie. Elles n’ont pas d’histoire », Marx, L’idéologie allemande – Feuerbach, p. 5. 
(2) « Ce n’est pas la conscience qui détermine la vie, mais la vie qui détermine la conscience », Marx, L’idéologie allemande, p. 51. 
(3) Cette remarque a constitué le « cheval de Troie » dans la polémique qui a opposé à l’orthodoxie marxiste aussi bien les révisionnistes (Plekhanov) que les marxistes critiques (Labriola et Gramsci). 
(4) G.-B. Vico, La science nouvelle, Nagel, n. 401. 
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