Sommaire
Introduction
La religion, idéologie constituante
- Introduction
- Objections chrétiennes
- Objections marxistes
Dialectique de la religion
La crise de la civilisation romaine
Jésus-Christ
Périodisation historique
Attitude des Églises
Christianisme et marxisme
Une solution à la crise
Jésus de Nazareth
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Les objections chrétiennes
Les chrétiens pourraient difficilement s’adapter à un schéma qui, d’une part, les obligerait à renoncer au caractère unique du christianisme, et d’autre part ne prendrait pas en considération l’essence « numineuse » de la religion.
En effet, pour eux, l’homme ne pourrait se porter vers une divinité s’il n’était motivé par la prise de conscience de la transcendance (thomisme) ou par l’intuition de Dieu lui-même (platonisme chrétien), par le sentiment de l’absolu (Schleiermacher) ou par la représentation confuse de l’idée (idéalisme), par l’irruption de la parole (Barth) ou par la saisie de « l’inconditionné » (Tillich).
Sans doute la religion – toute religion – implique-t-elle une prise de conscience typique et originelle, que je ne me refuserai pas à appeler « numineuse ». Toutefois il faut qu’elle soit comprise dans le cadre de son contexte phénoménal. Je préciserai avant tout que le « numineux » n’apparaît comme tel à la conscience qu’au sein d’un processus mythique, qui le constitue Dieu parce qu’il projette sur lui l’image de l’homme lui-même. Si on lui ôte cette image qui le détermine dans son être, le « numineux » n’est qu’une pure situation d’altérité au sein du processus d’existence de l’homme. Il s’ensuit que l’enjeu de cette altérité n’est pas la manifestation de dieu, mais celle de l’homme lui-même. Si celui-ci ne la comprend que dans le cadre de la transcendance et s’aliène, c’est en raison d’une méprise, que le « transfert » propre à la représentation mythique trahit d’ailleurs.
Je sais que les philosophes chrétiens n’ont pas été à court d’imagination pour expliquer ce phénomène d’altérité et d’identité de l’homme avec lui-même. Ils se sont tous trouvés d’accord pour y voir la marque d’une rupture tragique de l’homme avec lui-même, à cause du péché. La religion ne serait donc que la reconquête par l’homme de son unité, par la réconciliation que Dieu établit avec lui.
Quant à moi, je ne vois dans cette opposition que le reflet du processus dialectique qui mène l’homme à exister comme sujet.
Par son origine, l’homme se trouve inscrit dans le processus de causalité de la nature et il ne serait qu’un maillon de cet enchaînement, objet parmi les objets, s’il ne s’opposait à la nature en la transformant pour ses fins. Transformation et opposition coïncident, mais elles se placent à des niveaux différents car l’homme ne pourrait produire ni des objets ni sa propre image si, en s’opposant à la nature, il ne se trouvait situé dialectiquement dans une perspective de liberté à l’encontre de la nécessité. Ce champ de liberté n’est pas, à proprement parler, son propre produit, mais l’aboutissement du processus dialectique qui soutient son acte de production et le rend possible. Il s’offre donc à lui sans qu’un donateur apparaisse. La liberté ne s’ouvre à lui comme horizon que par la négation de la nécessité (quelle que soit sa causalité) qui le déterminerait dans son être.
L’homme est victime d’une méprise à l’égard de sa liberté parce que le processus dialectique, se situant au niveau de l’inconscient, lui demeure inconnu. Ne prenant donc conscience de soi que par l’acte de production, l’homme s’aperçoit que la perspective de liberté qui s’offre à lui n’est pas produite par lui-même : elle lui reste étrangère. Il ne peut en participer que dans la mesure où, par le transfert de lui-même, il crée un personnage qui puisse le supporter et auquel il puisse se soumettre. Ainsi le dieu, en dépit de sa transcendance et de son altérité illusoires, ne fait-il que représenter le drame de l’existence humaine.
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