ANALYSE  RÉFÉRENTIELLE
ET  ARCHÉOLOGIQUE


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Michel Bruston

Corpus Christi







L’EFFET  ANALYSEUR 
de  CORPUS  CHRISTI



Un événement culturel


Effet analyseur de Corpus Christi

- Un révélateur
- Réactions spécifi-   ques
- Louanges et critiques
  . Louanges
  . Terrain religieux ?
  . Écrits de propa-
    gande ?

- Analyseur des évolu-   tions récentes
- Exemple d'évolution

Stratégies de Corpus Christi



. . . . . . - o 0 o - . . . . . .

THÈMES  DES  LOUANGES  ET DES  CRITIQUES

Écrits de propagande ?




    Certains ecclésiastiques en viennent à des appré­ciations inattendues, que l’on croyait spécifiques à ces historiens « rationalistes » dont Mordillat et Prieur ont pris bien soin de se démarquer. Ainsi un exégète, spécialiste de l’évangile de Jean – le Père Jean Camus – se réjouit de la « qualité de la série » mais soutient que « sans doute il aurait été plus simple de prendre acte, dès le début, que les Évangiles sont des "écrits de pro­pagande", que Jean a un style bien particulier, et les analyser comme tels, sans complexes » (« Point de vue sur Corpus Christi » dans La Croix, 22/3/97). Publica­tion surprenante dans ce journal catholique, d’autant que la partie que j’ai soulignée est reprise en sous-titre, donc nettement mise en évidence. Est-ce une position paradoxale, venant d’un prêtre ? Est-ce de l’honnêteté intellectuelle, venant d’un scientifique ? Point du tout, me semble-t-il, si l’on examine bien tout l’article :

    N’est-ce pas le « Père » qui continue d’affirmer dans le même article : « Il s’agit de retrouver les faits historiques bruts à travers ce témoignage qu’est l’Évan­gile de Jean » ? Alors que tout le documentaire montre que cet évangile est un « témoignage » certes, mais pas directement sur les « faits historiques bruts », même si sa chronologie est un peu plus fiable que celle des synoptiques. Et alors que lui-même le qualifie « sans complexe »... d’« écrit de propagande » !
    Illustrant la parabole de la paille et de la poutre, n’est-ce pas en catholique anti-moderne (1) qu’il avance le mot « mythe » à propos de Corpus Christi ?... tout en se gardant bien de préciser sa critique : « Il n’est pas sûr que les auteurs ne poursuivent pas, de temps en temps [sic], le mythe de la séparation entre le fait historique et son interprétation ». Alors que le travail de l’historien est précisément de s’efforcer autant qu’il en est capable – et par des méthodologies qui lui servent de « garde- fou » – de démêler les faits de leurs interprétations (au pluriel), notamment en s’appuyant sur la pluralité de ces interprétations. (2)
    C’est en tout cas l’exégète croyant qui prétend, comme d’autres, qu’« à cette époque » il existait une « manière d’écrire l’histoire » tout à fait différente de celle à laquelle « nous » sommes habitués aujour­d’hui (3) et ajoute qu’« en matière biblique, un écrit » est... encore autre chose, parce qu’« il a presque toujours commencé oralement ». Comme si ce n’était vrai que de la Bible. (4)
    Enfin, c’est bien le prêtre qui prétend que sa propre analyse est « plus simple », puis rappelle (en tout simplicité...) aux non-croyants qu’un texte biblique « ne prend son sens qu’à l’intérieur même de la communauté vivante qui lui a donné naissance » (5). Camus parle encore ici « comme si on ne pouvait pas toucher à ces textes si on n’a pas la foi », ainsi que l’ont souvent remarqué Mordillat et Prieur (Libération, 25/3/97).

    Je ne vois dans tout cela que le désir « simple » et « sans complexes » de ne pas examiner méthodiquement et scientifiquement les rapports entre les textes évan­géliques et l’histoire.
    Les réalisateurs de Corpus Christi ont sauté sur l’oc­casion pour affirmer : « La Croix a reconnu que les Évangiles sont des écrits de propagande » (interview sur Europe 1, 31/3/97). Un auditeur a répondu : « Propa­gande, pour le P. Jean Camus, signifie évidemment, con­formément à l’origine de l’expression, "pour propager la foi" » (lettre de Lucien Kieffer, La Croix, 24/2/97). Vu la présence de guillemets autour de « écrits de propagan­de » dans le texte de Jean Camus, c’est probablement Kieffer qui a raison (d’ailleurs La Croix a publié sa mise au point). Mais son argument étymologique peut se retourner comme un gant...

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(1) Voir Troisième partie.
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(2) Je ne veux pas dire qu’il ne pourrait en aucun cas y avoir du mythe dans Corpus Christi, que ce soit dans certains propos des intervenants ou en voix off. Mais il faudrait alors que J. Camus précise où et en quoi. En suspectant a priori du « mythe » dans les études scientifiques des évangiles (sauf peut-être celles effectuées par des catholiques patentés, dont lui-même ?) il se place dans une position en quelque sorte « sur-rationalisante » vis à vis des travaux qu’il critique, sans que lui-même remette en question ses propres préjugés (mythiques ou autres). Or il en­tretient, lui, la légende que les historiens devraient se méfier de « la séparation entre le fait historique et son interpréta­tion » ; ce qui contredit le projet même de tout travail d’his­torien.
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(3) Voir Troisième partie, Comment on écrivait l’histoire à l’époque des évangélistes et Une différence radicale… dans le style du texte.
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(4) Les grands mythes antiques sont nés avant l’invention de l’écriture, et n’ont pu être transcrits qu’ensuite sous la forme que nous leur connaissons. Les grands récits des cultures africaines, ceux des Indiens d’Amérique sont d’abord transmis oralement. Il en a été longtemps de même en Europe pour les contes populaires.
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(5) Dans cette phrase, les expressions « intérieur même » et « communauté vivante » sont deux pléonasmes. Tant qu’à faire simple, Camus aurait pu se contenter d’écrire : « Un texte n’a de sens que pour ceux qui l’ont produit et la communauté qui en hérite ». Ce qui dévoile deux problèmes. Premièrement, concer­nant la Bible hébraïque (l’Ancien Testament) on peut se deman­der pour qui elle a du sens, car plusieurs communautés en ont hérité : les juifs et les chrétiens, et parmi ces derniers les orthodoxes, les catholiques, les protestants (et on peut encore subdiviser à l’infini). Deuxièmement, nous avons là un magnifi­que paradoxe logique. Car tout texte (même liturgique) est écrit afin de transmettre du sens, et pas seulement à ceux qui ont produit le texte ou qui en héritent – les mieux placés pour connaître déjà au moins un de ses sens.
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Paris, le 21 juin 1997




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tb012033 : 29/12/2017