ANALYSE  RÉFÉRENTIELLE
ET  ARCHÉOLOGIQUE


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Michel Bruston

Corpus Christi







STRATÉGIES 
de  CORPUS  CHRISTI



Un événement culturel


Effet analyseur de Corpus Christi


Stratégies de Corpus Christi

- Introduction
- Limites des métho-
  des exégétiques
- Critique de l’anti-
  judaïsme chrétien
- Historique ?
- Archéologie de
  l'écriture
- De la modernité
  . Critères modernes
    d’analyse
  . Ambivalence
    chrétienne

  . Jésus de l’histoire
- Le sens et les faits
- Conclusions


. . . . . . - o 0 o - . . . . . .

AMBIVALENCE  ENVERS 
LA  MODERNITÉ

Ambivalence chrétienne vis à vis de la « modernité »




    Le christianisme n’est pas un panthéon d’idoles, qui serait balayé sans peine par les progrès de la « raison ». Il ne s’agit pas non plus d’un vague déisme, facilement compatible avec ces progrès, que ce soit en philosophie, en astronomie, en biologie ou en histoire (1). C’est une croyance qui se place sur le terrain de la « connais­sance » et du « savoir vrai » (en cela elle est mythique) sans pour autant assumer d’être remise en question de manière naturelle par d’autres « savoirs » – qui se dé­velop­pent de manière autonome dans une civilisation qui n’est pas mythique. Ainsi, le christianisme fonctionne d’une manière quasiment mythique – pour les « croyants ordinaires » en tout cas – mais reste comme « étranger » dans l’univers culturel au sein duquel il est plongé. Car la culture gréco-latine elle-même n’était déjà plus com­plète­ment mythique lors de la naissance du christia­nisme.

    Quand on est très jeune, ou profondément mystique, cela ne pose pas de problème, car ni la foi enfantine ni l’extase ne se placent sur le même plan que la connais­sance rationnelle. Mais quand on devient adulte, que l’on partage l’héritage culturel de notre civilisation (chrétien mais aussi juif, latin et grec notamment), on ne peut maintenir sa foi intacte que dans un sentiment de « différence radicale » vis à vis des « non-croyants » d’une part, et du développement de la « rationalité » d’autre part.
    En milieu protestant cette « différence » est particulièrement forte au niveau de la morale personnelle et de l’engagement politique. Elle est plus forte au niveau économique et social du côté catholique.

    En tant que protestant, on reste déchiré entre l’appartenance à l’humanité et le retrait à l’écart, entre l’adhésion à la modernité et son rejet. Ainsi, le grand théologien Karl Barth a défendu d’abord « l’altérité radicale de Dieu » puis il a « renversé la vapeur » et proclamé « l’humanité de Dieu ».
    En sens inverse, Jacques Ellul a d’abord affirmé : « L’Écriture nous dit du chrétien qu’il est dans le monde. Le chrétien n’est pas fait pour se séparer, se mettre à part » (Présence au monde moderne. Problèmes de la civilisation post-chrétienne, ed. Roulet, 1948). Étant ainsi « dans le monde » mais n’étant pas « du monde », le chrétien devait être une sorte de « révolutionnaire » dans ses choix sociaux et politiques, dans son attitude vis à vis de la « technique », et surtout dans son « style de vie » (2). Une quinzaine d’années plus tard, Ellul faisait « volte-face » dans Fausse présence au monde moderne (ed. Les Bergers et Les Mages, 1963) puis dans Exégèse des nouveaux lieux communs (Calmann-Levy, 1966). Il y calomniait outra­geuse­ment les protestants – notamment les membres de « l’Alliance des Équipes Unionistes de France » – qui suivant en quelque sorte ses conseils s’étaient engagés contre la torture pendant la guerre d’Algérie et tentaient de mener une « critique politique de la vie quotidienne » dans la revue Le Semeur, puis dans Hermès (revue qui s’est par la suite appelée Hérytem).
    Le problème est encore actuel, comme le montre la publication récente de Protestantisme et Modernité par Pierre-Olivier Monteil, directeur de la revue Autres Temps.

    De même le 24/4/97, La Croix mettait bien en évidence l’expression suivante : « La nécessité d’entrer en dialogue avec le monde contemporain », extraite d’un texte important que ce journal publiait sur Corpus Christi. L’article, intitulé « Retour sur Corpus Christi » par Édouard Cothenet (« professeur émérite de l’Institut catholique de Paris ») venait en réponse aux lettres reçues par le journal : « Compte tenu des nombreuses réactions écrites ou entendues, il n’est sans doute pas inutile de revenir sur quelques aspects de ces émissions, en tenant compte du livret d’accompagnement ».
    Ayant admis que certaines thèses de Mordillat et Prieur pourraient conduire « certains » à « condamner purement et simplement l’émission » (voir supra), Cothenet répond cependant : « Une telle attitude mé­connaît la nécessité d’entrer en dialogue avec le monde contemporain, comme nous y invite la Lettre aux catholiques de France : "Proposer la foi dans la société actuelle" ». À propos de cette foi, il écrit plus loin : « L’évangéliste résume la mission de Jésus par ces paroles : "Je suis né et je suis venu dans le monde pour rendre témoignage à la vérité". Tel est l’essentiel du message chrétien, proclamé devant le représentant de l’Empire. Le procès d’un jour devient le procès du monde ».
    Ainsi Cothenet « dialogue avec le monde contem­porain » pour lui signifier... son « procès ».

    Les ecclésiastiques ont longtemps combattu pour que la théologie reste la « reine » des sciences, et ce n’est pas de leur fait si elle ne l’est plus. Ils s’efforcent encore de conserver un monopole sur certains progrès de la connaissance, tel le déchiffrage des textes de Qumrân.
    De même, « les croyants » tentent de se maintenir comme une unité culturelle à part, ayant sa manière spécifique d’assimiler ou de rejeter les progrès scien­tifiques et techniques. Or ce n’est pas une position tenable, dans un monde où « croire » n’est pas une condition de survie, où l’héritage culturel est en grande partie non-chrétien, où l’héritage scientifique est même essentiellement grec (donc païen) et hindo-arabe.
    Il est très difficile de vivre cette incohérence, entre une contrainte psychologique de rester culturellement et scientifiquement « chrétien » – en parlant par exemple du « Jésus de l’histoire (des croyants) » (voir la page suivante) – et la réalité de l’insertion dans une civili­sation qui n’a de « chrétien » qu’une part de ses racines culturelles et dont l’« état de la science », s’il comporte des présupposés métaphysiques, n’est en tout cas pas lié par des préjugés spécifiquement chrétiens – même en ce qui concerne l’histoire de Jésus.

______________

(1) En philosophie, voir les histoires de Giordano Bruno, Pic de la Mirandole et Michel Servet. En astronomie, celles de Copernic et Galilée. En biologie, qu’on pense à l’emploi de médicaments contre la douleur ou contre la toxicomanie, à la contraception, à la procréation médicalement assistée (PMA, ou plutôt AMP pour Assistance Médicale à la Procréation). Quant à l’histoire, c’est notre sujet principal (voir en particulier ci-dessus).
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(2) En 1948, Jacques Ellul écrivait dans Présence au Monde Moderne :
    « Le premier acte d’une prise de conscience, c’est une destruction féroce et passionnée des mythes artificiels, des idoles intellectuelles. »
    « Le second c’est la volonté de trouver la réalité objective des faits, de la vie menée par les hommes. »
    « Le troisième est que cette réalité doit être saisie d’abord au niveau des hommes. L’intellectuel qui veut faire son travail doit aujourd’hui repartir du point de départ : l’homme qu’il connaît, et d’abord lui-même. C’est à ce niveau, et à nul autre, qu’il doit commencer à penser la situation du monde. »
    « Le quatrième consiste à envisager les problèmes actuels dans leur profondeur : derrière les aspects démocratiques ou totalitaires, la réalité de l’état technicien. Ce qui convient, c’est, par un décapage extrêmement difficile et prudent, de trouver la structure vraie de notre civilisation moderne – cette réalité spirituelle qui conditionne la réalité matérielle – de retrouver l’événement, son sens et sa portée aujourd’hui. »
    « Le dernier élément composant la prise de conscience, c’est que celle-ci ne saurait en aucune façon être objective. Elle doit être un engagement. »
    « Si nous renonçons à cette prise de conscience qui exige la totalité de nous-mêmes, nous trahissons Dieu, et la vocation qu’ils nous a adressée, mais nous trahissons aussi le monde dans lequel nous sommes. »
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Paris, le 21 juin 1997




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tb013062 : 04/01/2018