AMBIVALENCE ENVERS
LA MODERNITÉ
Le « Jésus de l’histoire
(des croyants) »
C’est en revoyant mon propre parcours de « croyant » (d’abord « ordinaire », puis scientifiquement « exigeant ») que j’ai été amené à cette difficile remise en question, débutée par une réflexion sur l’histoire de
Jésus et l’expression «
le Jésus de l’histoire (des croyants) ».
Un commentateur du
livre de
Floris avait écrit à ce dernier : «
Partant d’un point de vue très rationaliste, pouviez-vous aboutir à autre chose qu’une des innombrables positions critiques déjà trouvées sur et contre le Jésus de l’histoire (des croyants) ? J’en doute. » (lettre, 12 juin 1987). Tentant de répondre (dix ans après...) à ses divers arguments, cette phrase m’a fait sursauter, et je lui ai écrit :
«
Quel que soit le point de vue épistémologique adopté, l’expression "le Jésus de l’histoire (des croyants)" contient une contradiction interne. À ce titre, elle ne devrait jamais être soutenue par un intellectuel de valeur, qu’il soit croyant ou non. C’est à mes yeux le plus grand crime du christianisme, de ramener à ce niveau la capacité humaine de pensée rationnelle (et ici le "rationalisme" n’est pas en cause). »
Ce jugement était-il trop rapide ?
En effet, je comprends que l’on parle du «
Jésus de l’histoire de telle époque » (ou « dans tel état de la science historique ») au sens où toute reconstitution historique – hypothétique – comporte inévitablement des présupposés métaphysiques (propres à la culture qui la produit) et s’inscrit dans des limites dues aux archives disponibles (la découverte des rouleaux de
Qumrân modifie notre connaissance du contexte) ainsi qu’à l’état des techniques (l’emploi des CD-rom va faciliter l’exploration de gros volumes de texte), etc. De même on parle de la conception du temps, de la matière et du cosmos à telle époque, ou même dans telle civilisation.
Pour des raisons semblables, pourrait-on parler aussi du «
Jésus de l’histoire (des croyants) » ?
En réalité, le fait de croire (ou de ne pas croire) ne me semble pas être du même ordre. C’est un choix, au moins en partie conscient, depuis que l’humanité est sortie d’une culture totalement mythique, et qu’ainsi l’incroyance est devenue possible. Les « croyants » ne constituent pas une entité culturelle suffisamment « consistante » pour avoir son propre « état de la science », même quand il s’agit de l’étude historique sur
Jésus.
Ainsi la contradiction logique que j’ai relevée ne trouve pas sa justification dans un relativisme épistémologique. Et c’est à juste titre que je la refuse.
De même l’expression utilisée par
Michèle Duflot dans
Témoignage Chrétien à propos de
Corpus Christi est irrecevable : «
Quel que soit notre degré de croyance ou même notre absence de foi... tenter de mesurer... ce qui sépare le Jésus historique du Jésus fondateur du christianisme » (21/3/97). Soit le «
Jésus historique » a lui-même été le «
fondateur du christianisme » et dans ce cas rien ne «
sépare » ces deux personnes. Soit il ne l’a pas fondé et il n’y a jamais eu de «
Jésus fondateur du christianisme » ; le christianisme s’est fondé sur l’affirmation «
Jésus est le
Christ » mais a été fondé par d’autres.
Il n’y rien d’autre que nous puissions dire «
quel que soit notre degré de croyance ou même notre absence de foi ». Ou alors nous restons dans un très fort «
degré de croyance » et du coup dans une sorte de « double pensée » où la foi et la raison se juxtaposent sans cohabiter, l’une tendant toujours à repousser ou à dominer l’autre.