AMBIVALENCE ENVERS
LA MODERNITÉ
« Critères modernes d’analyse », « Grille moderne d’interprétation »
Dans le livret
Christos, une citation de
Marguerat parle du «
choc que représente l’invasion de la Palestine par les troupes de Pompée et la profanation du Temple de Jérusalem par les Romains (en l’an -63) » et explique qu’à ce moment «
le judaïsme doit construire une contre-symbolique aux moyens mis en place par ceux qui, au fond, cherchent à introduire la modernité [latine et hellénistique]
dans la société juive : les Romains mais aussi les hérodiens qui sont leurs clients et leurs alliés » (pp. 33-34).
Marguerat décrit ici la situation typique d’un peuple occupé qui résiste à l’emprise culturelle d’un colonisateur «
moderne », quand celui-ci a su mettre de son côté une partie des élites locales.
Pourtant, un peu plus loin, les rédacteurs répètent : «
Sans pour autant négliger le poids des violences, des humiliations, des contraintes, il ne faut pas analyser la situation en Palestine au temps de Jésus selon les critères modernes d’un pays sous l’emprise d’une troupe d’occupation » (livret
Christos, p. 41).
(1)
Il y a là encore une contradiction, ou bien quelque chose m’échappe. Comment faut-il entendre ici l’expression «
critères modernes » dans l’analyse de la résistance – culturelle notamment – d’un pays occupé ? Certes, il est nécessaire d’appréhender la question historique dans toute sa complexité, mais pourquoi «
non selon une grille moderne d’interprétation » comme le précisent
Mordillat et
Prieur dans l’introduction des livrets ? Les historiens d’aujourd’hui peuvent-ils travailler autrement qu’en forgeant – même quand ils s’en défendent – des grilles modernes d’interprétation ?
Que signifie donc pour les rédacteurs un «
jugement contemporain » ? un «
critère moderne d’analyse » ? une «
grille moderne d’interprétation » ? Ces expressions beaucoup trop vagues – prises ici dans un sens péjoratif – renvoient-elles aux méthodes historiques « modernes » ? aux analyses « marxistes » ? ou bien à un rejet implicite du « monde moderne », du « monde contemporain » lui-même ?
Je penche pour cette dernière hypothèse, car un tel rejet (plus ou moins conscient) est très enraciné dans la religion chrétienne.
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(1) De même, les rédacteurs des livrets notent que « la lecture de Flavius Josèphe ou de Philon d’Alexandrie pourrait être analysée (hors a priori) comme décrivant la lutte d’un colonisateur [romain] de bonne foi contre une population [juive de Palestine] impossible à moderniser, enfermée dans son intégrisme » (livret Procès, p. 46). Mais ils font aussitôt remarquer que ces deux auteurs juifs étaient intégrés à la culture de l’empire romain et que, de plus, si « Flavius Josèphe a été le témoin oculaire de nombreux faits qu’il décrit... il ne faut jamais perdre de vue que les Romains gouvernent sa plume » (livret Christos, p. 8).