CULTURE SÉMITIQUE,
OU ARCHÉOLOGIE DE L’ÉCRITURE ?
Comment ces contradictions subsistent-elles ?
Par des distinctions d’apparence scientifique, jouant habilement de «
notre » refus de tout ethnocentrisme (le « racisme-anti ») mais traversées d’un « ethno-décentrisme » – un « racisme-pro » – qui s’ignore,
Grappe,
Boismard et
Hengel tentent de nier les caractéristiques essentielles du texte évangélique qu’eux-mêmes préfèrent nommer «
incohérences du texte » et «
contradictions », alors que ce sont en fait des incohérences de la narration (le texte trouve sa cohérence sémantique ailleurs).
Ces «
apories » comme les nomme
Floris, ces «
incohérences qui nous permettent de remonter le temps » d’après
Mordillat et
Prieur (d’accord en cela avec
Floris), ces «
effondrements du texte » selon
Jean-Louis Schlegel – ce sont
Grappe,
Boismard et
Hengel eux- mêmes qui croient (ou préfèrent croire) qu’ils ne peuvent être perçus que comme un «
mépris de l’Histoire ».
Dans l’introduction aux livrets,
Mordillat et
Prieur ont écrit : «
Ce qu’il faut sans cesse rappeler, c’est que les Évangiles... poursuivent d’autres buts que de dire l’histoire ».
(1)
En allant dans le même sens que
Grappe et
Boismard, les rédacteurs de la fin du livret
Pâque ont été amenés à contredire cette position : «
Nous devons admettre le point de vue des rédacteurs des Évangiles qui, selon leurs critères, écrivent l’Histoire en fonction des objectifs qu’ils se sont fixés » (p. 48). Ainsi, ce livret circonscrit le problème à la manière des exégètes croyants : «
Reste à analyser comment ont été résolues ou du moins surmontées » ces «
divergences », ces aspects «
apparemment contradictoires » du texte, ce que «
nous » appelons à tort des «
incohérences » (p. 48).
La recherche spécifique de
Mordillat et
Prieur s’y ajoute cependant : «
Surtout, reste à comprendre ce qui est sans doute le plus surprenant : comment ces contradictions subsistent définitivement, comment elles n’ont jamais été effacées du texte » (p 48-49).
(2)
Puis-je – non pour dévaloriser leur travail, au contraire – renvoyer à
Gérard Mordillat et
Jérôme Prieur leurs propres questions ? et ainsi les remercier – à ma manière – de tout ce qu’ils m’ont appris, comme je l’ai souvent fait pour
Ennio Floris ? Il me semble que ces mêmes «
comment ? » restent à analyser et à comprendre à propos du livret
Pâque : comment surmontent-ils la divergence entre le point de vue de
Grappe et
Boismard, et celui qu’eux-mêmes ont exprimé dans
La Croix et
L’Humanité ? Comment cette contradiction subsiste-t-elle dans le même livret, entre l’introduction et les dernières pages, puis à l’intérieur de celles-ci ? Comment voient-ils son effet sur le lecteur, compte tenu de la puissance que le succès de
Corpus Christi a pu donner à leur propre écriture ?
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(1) À Libération, Mordillat et Prieur racontent ainsi leur expérience : « Il y a deux idées contre lesquelles il nous fallait nous révolter. La première, c’est que le texte est clair, il ne l’est jamais. La seconde c’est que parce que c’est écrit, c’est la vérité, l’Histoire » (25/3/97).
(2) Les réalisateurs emploient ces mots dans leurs interviews: « Ce qui est passionnant avec ces textes, c’est que les choses soient si contradictoires, si pleines de trous noirs, d’incohérences » (Sud-Ouest, 23/3/97). Mordillat déclare aussi : « Les contradictions du texte, c’est la chose la plus difficile à admettre pour un homme d’église », et Prieur : « Il nous fallait empêcher les spécialistes de sous-estimer les silences et les contradictions des textes reconnus par le canon » (Libération, 25/3/97).