CULTURE SÉMITIQUE,
OU ARCHÉOLOGIE DE L’ÉCRITURE ?
De quelle différence s’agit-il ?
En fin de compte, ne s’agit-il pas plus simplement d’une différence d’objectif ? Si les
évangélistes écrivent «
en fonction des objectifs qu’ils se sont fixés et de l’usage auquel sont destinés leurs textes », il devrait au moins être possible de cerner ces objectifs et cet usage. Et dans des termes compréhensibles pour «
nous », au moins autant qu’ils semblent l’être aux auteurs de cette phrase.
Car enfin, «
nous » – spectateurs et lecteurs de
Corpus Christi – avons réussi à comprendre le rôle des
grands prêtres de
Jérusalem, les raisons qui les ont sans doute conduits à craindre l’action de
Jésus et à souhaiter sa mort. De personnages qu’ils étaient pour «
nous »,
Caïphe et
Anne sont devenus des hommes avec leurs motivations et leurs problèmes, des hommes à la mesure de «
nos » capacités intellectuelles bien qu’ils aient été de culture et de langue essentiellement «
sémitiques ».
Et «
nous » ne pourrions pas comprendre les
évangélistes dont la culture n’était pas seulement sémitique mais aussi grecque, et dont la langue était «
indo- européenne » comme les «
nôtres » ? Il y a là une contradiction difficile à admettre.
Cette différence radicale signale ici une difficulté intellectuelle non résolue, soit par stratégie des rédacteurs des livrets, soit à cause des limites des méthodes exégétiques elles-mêmes (limites qui ont pu s’imposer à leur écriture), car dans leurs interviews
Mordillat et
Prieur s’expriment très différemment :
«
Les Évangiles ont été écrits... par de véritables écrivains » (
Télérama, 19/3/97). «
Ce texte sacré contient d’ailleurs tous les procédés littéraires qui sont devenus ceux de l’avant-garde du XX° siècle » (
Libération, 25/3/97). «
Notre intérêt est parti des textes. À partir du moment où on a compris à quel point ils étaient l’œuvre d’écrivains, on se trouvait presque de plein pied avec eux. Écrivains nous-mêmes, nous pouvions reconnaître des formes, des astuces, des procédés pas si éloignés des nôtres » (
Le Monde, 24/3/97).