CULTURE SÉMITIQUE,
OU ARCHÉOLOGIE DE L’ÉCRITURE ?
« Racisme-pro »
et « ethno-décentrisme »
Dans d’autres contextes, j’appellerais ce discours du « racisme-pro » ; ici je parlerai d’« ethno-décentrisme ». Ce dernier se distingue de l’ethnocentrisme (le « racisme-anti ») en ce qu’il pose « l’autre » non pas comme un absolu négatif, mais comme un absolu positif : «
Nous devons admettre le point de vue des rédacteurs des Évangiles ».
L’ethnocentrisme et l’« ethno-décentrisme » sont tous deux basés sur une absolutisation de la « différence » : «
Deux cultures antagonistes, deux façons radicalement autres de penser le monde... des armes de nature différente » (livret
Christos, p. 42). Ils sont en quelque sorte symétriques l’un de l’autre et le discours glisse, hélas, très facilement d’une forme à l’autre.
Ainsi, le livret
Christos cite
Hengel : «
Il ne faut pas superposer notre pensée analytique sur les modes de pensée qui pouvaient être ceux de la Palestine au début de notre ère. On y pensait la multiplicité pour une même chose, on donnait plusieurs noms au même concept » (p. 28). Pourtant ce que
Hengel dit dans cette cinquième partie est : «
Il ne faut pas plaquer notre mode de pensée analytique sur la mentalité des juifs de Palestine. On y conservait une multitude de perspectives, d’approches différentes pour une même chose, on pouvait aussi lui donner plusieurs noms ». Le contenu du propos oral est tout à fait semblable à celui de la citation écrite ; leurs connotations, au contraire, sont très différentes. L’écrit donne dans l’admiration béate de l’ethno-décentrisme, l’oral frise le mépris de l’ethnocentrisme. Les deux parlent d’une différence non mesurable donc non mesurée, démesurée, inhumaine.
De fait, l’impératif tel qu’il est formulé – «
comprendre » l’autre et «
admettre » son point de vue – est irréalisable car contradictoire. L’autre reste forcément incompris car il est tellement « autre » qu’il en devient incompréhensible : «
Nous devons chercher à comprendre [leurs critères]
sans vouloir à toute force les harmoniser avec notre système d’écriture et de pensée », mais, hélas, ils «
écrivent selon des critères radicalement autres ».
Malgré leur caractère «
radicalement autre », les critères des
évangélistes peuvent-ils être un peu précisés ? Peut-on au moins dire comment les
évangélistes eux-mêmes les comprenaient ?
De fait, ceux qui qualifient de «
différents » ces critères, cette culture, cet art et même ce «
savoir », ne précisent pas en quoi ils sont différents, mais seulement pourquoi ils le sont : à cause de conceptions du temps radicalement autres, selon qu’on parle une «
langue sémitique » ou une «
langue indo-européenne ».
Mais pourquoi les rédacteurs des livrets semblent-ils si sûrs que la conception «
sémitique » du temps joue un rôle essentiel dans la structure même des évangiles ? dans ce que les
évangélistes pouvaient considérer comme la «
cohérence d’un texte » ? dans ce que d’autres – ou plutôt eux-mêmes, en l’occurrence – nomment «
incohérence du texte », «
contradictions », «
mépris de l’Histoire » ?