ANALYSE  RÉFÉRENTIELLE
ET  ARCHÉOLOGIQUE


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Michel Bruston

Corpus Christi







STRATÉGIES 
de  CORPUS  CHRISTI



Un événement culturel


Effet analyseur de Corpus Christi


Stratégies de Corpus Christi

- Introduction
- Limites des métho-
  des exégétiques
- Critique de l’anti-
  judaïsme chrétien
- Historique ?
- Archéologie de
  l'écriture
- De la modernité
- Le sens et les faits
  . Vérité et Histoire
  . Vérité et significa-
    tion
  . Vérité et liberté
  . Liberté de con-
    science
- Conclusions


. . . . . . - o 0 o - . . . . . .

RÉCIT  VÉRIDIQUE  :
LE  SENS  ET  LES  FAITS


    Prenons par exemple cette parole attribuée à Pilate : « La vérité, qu’est-ce que c’est ? ».
    Non pas pour clore comme lui la question et « s’en laver les mains » (tout homme politique, surtout s’il est Romain, vous le dira : la vérité, ça n’existe pas !), mais comme des Grecs, pour l’ouvrir : un récit est-il « véridique » quand il est fidèle aux faits, ou bien quand il est chargé de sens ? peut-il être les deux à la fois ? En tant que croyant et en tant qu’historien, est-ce que l’on recherche la même sorte de « vérité » ?


Vérité et Histoire

    Je cite encore Boismard et Grappe :
    « On ne peut pas accuser les Évangiles… d’être allés contre la vérité historique »
    « [Ce] qui les préoccupe, c’est la signification, le sens, la vérité de cet événement… donc, pour eux, c’est vrai, ce n’est pas de la falsification historique... ».

    L’Histoire, en tant que reconstitution hypothétique, ne peut certes pas prétendre à la « vérité absolue et éter­nelle »; mais elle ne peut pas non plus nier sa raison d’être : tendre vers la vérité, et être en cela « vérité féconde ». Ainsi la « vérité historique » reste une visée, une utopie aussi indispensable qu’inatteignable. En histoire comme dans tout autre domaine, la science se doit d’être, au moins potentiellement, description véridique du réel, alors même qu’elle n’apporte qu’une « vérité » intrinsèquement provisoire et dialectique. Par contre, les expressions ci-dessus : « falsification historique », « aller contre la vérité historique » ont un sens tout à fait concret, vérifiable (« Une relecture de l’histoire qui, à mon avis, va contre l’Histoire », selon Puech dans la partie Crucifixion).

    Par exemple, pour Bauberot, « le chercheur en sciences humaines... sait très bien qu’il ne parviendra pas à l’objectivité absolue, mais... il progresse dans la connaissance de son objet d’étude et il espère contribuer à l’avancement du savoir » (La morale laïque contre l’ordre moral, p. 315). Il ajoute, de manière plus polémique : « Je sais bien que certains chercheurs, sous prétexte que l’objectivité est toujours relative, affirmeront que l’objectivité n’existe pas ; vous pouvez les croire : elle n’existe effectivement pas... dans leurs travaux, puisqu’ils ont renoncé dès le départ ! » (ibid. p. 315, note 1). (1)

______________

(1) Cette « pique » de Bauberot s’applique très exactement au livre d’Arthur Kœstler, Les Somnambules. Essai sur l’histoire des conceptions de l’univers, Calmann-Levy, coll. "Poche", 1960. Pour cet auteur, « l’objectivité est un idéal abstrait ». Et effectivement, quand il parle de l’œuvre de Galilée (pp. 432-433) il se permet des « sous-entendus discrets », des « mensonges grossiers », et même une citation amputée de ses mots essentiels.

    L’auteur annonce d’emblée qu’« aucune discipline scientifi­que, ancienne ou moderne, ne peut se vanter d’être absolument libre de préjugés métaphysiques » et il ajoute : « Tous les systèmes cosmologiques reflètent les préjugés inconscients, les partis pris philosophiques et même politiques de leurs auteurs » (p. 8).
    En effet, les historiens – notamment les épistémologues et les historiens des sciences – ont montré qu’aucun « état de la connaissance », même scientifique, n’est « absolument libre de préjugés métaphysiques ». Il s’agit cependant du résultat d’une étude rationnelle, scientifique et « moderne » (ainsi ce résultat, s’il est juste, n’est point exempt lui-même de préjugés méta­physiques ; préjugés certes totalement inconscients, qui ne pourront être reconnus comme tels que plus tard, mais préjugés tout de même).
    De ce fait, le dit résultat ne peut être ni utilisé comme une « Vérité » supérieure à tout discours rationnel, scientifique et « moderne », ni brandi pour les disqualifier. Or c’est exacte­ment ce que fait Kœstler, quand il veut en déduire une féroce critique du « déterminisme moderne » et de la « mythographie scientifi­que ». Il exige des autres une rationalité absolue (il les prend au piège de leur prétention rationaliste, il les juge à partir d’un point de vue encore plus rationaliste) alors que lui-même se permet des raisonnements douteux et même des procédés malhonnêtes.

    C’est seulement à la page 503 qu’il précise sa pensée. D’abord « l’objectivité est un idéal abstrait à l’époque de la "maison divisée" entre foi et raison ». Et ceci « surtout quand il s’agit d’une des causes historiques de cette division » c’est-à-dire le procès de Galilée, « conflit tragique qui éclata entre la Cosmologie et l’Église [catholique] ». Ainsi, la littérature sur la question « généralement partisane (la chose était inévitable) » n’est au pire que « mensonges grossiers ou sous-entendus discrets » et au mieux qu’« efforts d’impartialité ruinés par des préjugés inconscients ».
    Et « puisqu’il serait fou de prétendre faire exception à cette règle » Kœstler propose cette « solution » apparemment séduisante qui lui permettra – espère-t-on – de faire mieux que les autres :

    « Mieux vaut avouer mes préjugés... » Effectivement, il explique un peu plus loin :
– « S’il y a du préjugé dans ces pages, il ne se fonde pas sur quelque préférence pour l’une des parties en cause [il n’entend plus par là "la Cosmologie" et "l’Église" catholique, mais "l’Inquisition" et "la personnalité de Galilée"] mais sur la répulsion que m’inspire le conflit lui-même » (C’est en quelque sorte un « préjugé conscient »).
– Puis il présente ce qu’il appelle « ses thèses » : « la source unique des modes d’expérience mystique et scientifique, et les conséquences désastreuses de leur séparation » (Cela fonctionne plutôt comme un « présupposé métaphysique conscient » dans tout le livre).
– Il annonce enfin : « La conviction (ou le préjugé) qui animera mon récit [sera que] le conflit de l’Église et de Galilée n’était pas inévitable... Il est naïf et faux de voir dans le procès de Galilée un combat singulier entre la "foi aveugle" et les "lumières de la raison" » (C’est apparemment la « thèse » qu’il veut défendre). Il n’est évidemment pas fait mention d’éven­tuels « préjugés inconscients », mais jusqu’ici je suis plus qu’intéressé.

    «... avant de prier le lecteur de se fier à ma sorte d’objecti­vité. » Et là, quand je vérifie « à la source » ses commentaires sur la première œuvre célèbre de Galilée (le Sidereus Nuncius) je découvre chez lui exactement ce qu’il décrit de pire chez les autres : « sous-entendus discrets » et « mensonges grossiers ». Il avait prévenu : « la chose était inévitable »... il n’a pas cherché à l’éviter dans son propre travail !

    Ainsi, Kœstler affirme que le « télescope » – c’est à dire une lunette grossissant au moins 20 fois, que Galilée avait fabriquée et avec laquelle il observait le ciel pour étudier la Lune, le Soleil, les étoiles et les planètes – « n’avait apporté aucun argument important en faveur de Copernic » (alors qu’il avait au moins permis de montrer la fausseté définitive du système de Ptolémée, ne laissant en lice que celui de Copernic et un système intermédiaire dit « de Tycho Brahe ») et surtout « ne provoqua à ce propos [en faveur de Copernic] aucune déclaration nette de Galilée » (Les Somnambules, pp. 432-433).
    Or au début du Sidereus Nuncius, en annonçant la découverte de quatre satellites de Jupiter, Galilée a écrit : « Ces astres, décrivant entre eux d’inégaux mouvements autour de Jupiter... accomplissent leurs courses et leurs cercles à une vitesse merveilleuse, tout en achevant cependant, en une concorde unanime, autour du centre de monde, je veux dire autour du Soleil en personne, tous ensemble, chaque douzième année, de grandes révolutions ». Et Hallyn commente : « Jupiter et ses satellites tournent autour du Soleil : le copernicianisme est affiché dès l’épître dédicatoire » (Le Messager des étoiles, p. 111). De plus, dans le corps du texte, Galilée annonce une œuvre plus approfondie « à l’intention de ceux qui prétendent exclure la Terre du chœur des Étoiles [par là il faut entendre les planètes] ». Et à propos de ce futur Système du monde (qui s’appellera en fait Dialogue des deux grands systèmes du monde et ne sera écrit que vingt ans plus tard) il affirme on ne peut plus clairement : « Que la Terre soit errante [c’est à dire ait un mouvement, comme les planètes]... nous le démontrerons et nous le confirmerons aussi par d’innombrables raisons naturelles » (Le Messager des étoiles, p. 137).
    Kœstler affirme pourtant que la « seule et unique référence à Copernic » dans ce texte serait la suivante : « Nous avons un argument excellent et extrêmement clair pour apaiser les scrupules de ceux qui peuvent tolérer la révolution des planètes autour du Soleil mais sont tellement troublés par la révolution d’une unique lune autour de la Terre, l’une avec l’autre décrivant une orbite annuelle autour du Soleil, qu’ils considèrent impossible cette théorie de l’univers ». Et il remarque que cette allusion « n’avait rien d’un engagement explicite » en faveur de Copernic. (Les Somnambules, p. 432). Et certes, une telle allusion à Copernic aurait été peu explicite, du moins aux yeux des non spécialistes ; mais en réalité Kœstler a opéré une coupure dans le texte qu’il cite. En effet Galilée a écrit sans aucune équivoque: « ceux qui, tout en acceptant tranquillement la révolution des Planètes autour du Soleil dans le Système copernicien, sont tellement perturbés... » (Sidereus nuncius, Le Messager des étoiles, p. 164).

    Vu les procédés utilisés par Kœstler, que reste-t-il de la thèse réellement défendue dans Les Somnambules ? Celle-ci n’apparaît que très progressivement mais exprime une haine absolue de Galilée : ce dernier serait le vrai, le seul responsable de « l’un des épisodes les plus désastreux de l’histoire des idées » car sa « croisade irréfléchie » pour la liberté de pensée aurait « précipité le divorce de la Science et de la Foi » (p. 592). Et même : « Le seul, le vrai châtiment de Galilée fut de devoir abjurer ses convictions. Cependant jusqu’à l’âge de cinquante ans il les avait cachées ces convictions » (p. 591) « Le condamné passa les dernières années de sa vie dans sa maison de Florence » où « il recevait un flot de visiteurs » (autres contrevérités, pp. 589 et 592). Enfin « l’Inquisition – sans le vouloir – avait ainsi sauvé l’honneur de Galilée aux yeux de la postérité » (p. 591).

    De cette thèse, il ne reste rien... Tant mieux !
    Mais sa « thèse » apparente se retrouve discréditée, elle aussi. Et là c’est dommage !
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Paris, le 21 juin 1997




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tb013071 : 04/01/2018