n devoir persévérant est fait aux Protestants de « lire, étudier, méditer la Bible » A. Cette invitation pressante crée dans la meilleure des hypothèses, une attitude et un comportement de respect à l’égard de cet objet sacré qu’est la Bible, puisqu’on affirme, tout ensemble, que la Bible est un livre humain A par le moyen duquel la parole de Dieu est révélée A.
Déjà, cette obligation A à l’égard d’un livre si spécifique introduit dans l’esprit du lecteur une « idée totalisante », une certaine « idéologie » : la Bible, livre humain, ne pourra pas, cependant, être traité comme les autres. Entre lui et les autres, il y aura toujours une frontière infranchissable, un seuil.
Certes, on pourra utiliser pour mieux la comprendre (pour mieux atteindre le « signe » en lui-même) les moyens littéraires, linguistiques, scientifiques, archéologiques, etc. pour réaliser cette « rigoureuse étude » A ; néanmoins, « la lumière de l’Évangile » A, « l'illumination du Saint-Esprit » A révèlera la signification derrière le sens, le sur-sens derrière le sens, et situera toujours la véritable compréhension à un niveau inaccessible à la saisie par les méthodes humaines. À cela, il n’y aura jamais rien à répondre : ce sera à prendre ou à laisser ! Mais voilà bien l’idéologie religieuse de la Bible qui, toujours, à ce « seuil de lecture », interdira de franchir certaines limites.
À titre d’exemple, une critique fondamentale de la mythologie biblique sera toujours, d’une certaine manière, difficilement recevable si l’on veut demeurer dans « la communion de l’Église » A. De même, une mise en question des récits d’apparitions, des miracles, de la résurrection, etc. sera toujours un terrain glissant. Tels sont quelques « seuils-limite » que garde jalousement l’idéologie de la lecture sacralisée de la Bible. Le « devoir » A ainsi fait aux Protestants entretient chez eux cette attitude de « respect sacré » de la Bible.
Ceci trouve sa confirmation quand on essaie de préciser l’illumination de l’Écriture par l’Esprit dans le croyant. À ce propos, le Texte d’accord reste muet. Le caractère littéraire et concis de ce texte n’en est pas, à notre avis, l’unique raison. En effet, des études théologiques très approfondies sur cette question n’apportent en définitive pas d’autres éclaircissements que l’affirmation « d'un miracle », ce qui est à l’opposé d’une explication sociologique.
C’est pourquoi, il faut bien mettre une parenthèse à cette affirmation a prioristique et péremptoire qui résout le problème en le posant, et chercher des comparaisons avec des situations analogues afin d’essayer de mettre en lumière les mécanismes psychologiques et psycho-sociologiques de cette « lecture » personnelle et communautaire. Une clé semble offerte dans le Texte d’accord au moyen du concept de « communion de l’Église » A. Dans la lecture personnelle de la Bible, comme dans celle qui est communautaire, les Protestants français (luthériens et réformés) sont, en effet, replacés dans la « communion de l’Église ».
La lecture personnelle A
Aujourd’hui, en effet, les Églises protestantes ne laissent pas leurs fidèles livrés à leur imagination devant le texte de la Bible. Elles leur offrent un certain nombre de moyens, parfois de méthodes de lecture.
Par exemple, elles proposent des listes de lectures quotidiennes, accompagnées de livrets de commentaires particuliers ; elles recommandent un certain nombre de références à des théologies « accessibles » au grand public et des ouvrages de vulgarisation, généraux ou particuliers aux textes bibliques proposés. À des catéchumènes auxquels est rappelé ce « devoir persévérant » A, le catéchète protestant donne aussi une « clé de lecture ».
En ce cas, même si l’on tente d’éliminer la part d’imagination et d’interprétation personnelles, est-on certain de ne pas nommer « inspiration de l’Esprit » ce qui n’est, peut-être, que directions (sinon directives) dogmatiques (orthodoxes, barthiennes, libérales, fondamentalistes, piétistes, etc.) des commentateurs bibliques auxquels on se réfère ? à moins, sans doute, de dire que ces commentateurs sont inspirés directement par Dieu. Auquel cas, le problème est, une fois de plus, résolu en même temps que posé ! La prière consistera alors, de la part du fidèle, en une attitude de confirmation intérieure que la « parole » ainsi entendue et nourrie des connotations des commentateurs, à leur tour appropriée plus ou moins inconsciemment par le lecteur était bien la « parole de Dieu » A. Cette fois encore, il y aura eu un transfert idéologique.
La lecture communautaire A
La lecture communautaire (ou « l’échange communautaire » A) est aussi fréquemment entreprise par les Protestants français dans des groupes d’étude biblique. Deux cas sont possibles, selon que ces groupes s’expriment avec ou sans une présence pastorale, « le spécialiste de la Parole ».
De toutes façons, dans la pire hypothèse, il s’agira d’une présentation ou d’un commentaire doctoral du texte par le « spécialiste des choses sacrées » (ou par un « laïc cléricalisé » qui fera passer, avec plus ou moins de compétences un certain nombre de schémas dogmatiques vulgarisés (ceux de la tendance théologique à laquelle il se rattache) ; les questions posées par les auditeurs ne servant qu’à mieux assimiler ce processus idéologique, ce système de croyances.
Dans la meilleure hypothèse, ce groupe réagira selon la dynamique de groupes. La méthode préconisée, il y a quelques années, par le pasteur André de Robert a été significative à cet égard. Autour d’un texte particulier de la Bible (relativement bref), le groupe établit un partage où chaque membre, à tour de rôle, explicite ce qu’il a lu dans le texte comme une promesse, un avertissement et un enseignement à apporter à autrui. Enfin, l’ensemble du groupe recherche dans ce texte le « capitule » (le mot, le groupe de mots ou le verset) qui, reçu par chacun, inspirera les attitudes et les comportements du groupe dans sa journée. Il est relativement aisé de démonter le mécanisme psycho-sociologique de cette méthode de lecture communautaire, comment une idéologie de groupe s’établit, intégrée en chaque membre en vue de comportements religieux, éthiques, sociaux, même politiques, personnels ou communautaires. Mais là aussi, peut-être aura-t-on appelé « Parole inspirée par Dieu » au groupe (et à chaque membre du groupe) ce qui n’aura été que la cristallisation, à un moment donné, dans des circonstances et un contexte précis, d’un consensus capable de susciter une action.