Sommaire
Préface
Quittez un monde bon
Vivre la foi dans le siècle
Présence de l’Église au monde
Église en dialogue avec le monde
Itinérance : une quête du sens
- Servitude et libération
- Dieu contesté par Job
. Introduction
. Le "Pourquoi ?" de Job
. Le Dieu des "amis"
. Job et la "mort de Dieu"
. Dieu... au-delà de Dieu
Croire au-delà des perplexités
En écoutant l’Alléluiah d’Hændel
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Le « pourquoi ? » de Job
Qui est Job ? un personnage réel, historique ? ou seulement un type d’homme ? Étymologiquement, « Job » (Iyyob) est probablement le passif du verbe hébreu « ayab », qui signifie « haïr, attaquer ». Ainsi « Job » désignerait celui qui est haï, en butte à la malveillance et à la persécution. Serait-il un nom symbolique, reflet du contenu du poème ?
Il fut un temps où on ne mettait pas en doute l’historicité des événement rapportés dans le livre de Job ; on affirmait même que les discours de Job et de ses interlocuteurs avaient été prononcés dans leur intégrité. On trouve cependant, dans le Talmud, la trace d’une opinion différente, selon laquelle il s’agirait d’un poème.
Toutefois, le héros du livre est-il un personnage réel ? Une seule mention de Job est faite dans l’Ancien Testament, au livre du prophète Ézéchiel (Éz 14:14) : « S’il y eut dans ce pays (le pays infidèle) ces trois hommes, Noé, Danel et Job, ces trois hommes sauveraient leur vie grâce à leur justice ». Cela est peu, évidemment, pour affirmer la réalité historique de Job, puisqu’il est placé au niveau d’un personnage légendaire (Noé) et d’un autre (Danel) dont on ignore s’il s’agit du livre de Daniel (ce livre étant d’ailleurs aussi de circonstance). Peu importe, en définitive.
Et les « amis de Job » ? Ils s’appellent Éliphaz, Bildal et Tsophar ; ce sont les interlocuteurs de Job dans les trois cycles du discours.
Éliphaz semble le plus âgé des trois. Il est le plus calme et le plus modéré, son langage est d’une dignité grave et souvent d’une grande courtoisie (surtout dans le premier cycle du discours). Il lui arrive, toutefois, de se passionner sans se départir de ses allures solennelles ; il prend même le ton de l’adjuration, à cause de l’expérience dont il pense pouvoir se prévaloir.
Bildal parle avec simplicité, mais avec une certaine animosité. Il proteste avec vivacité auprès de Job ; il utilise parfois l’insinuation, le sous-entendu.
Tsophar, le cadet sans doute, est le plus véhément des trois « amis ». Il s’émeut, s’indigne facilement des longs discours de Job. Il donne le sentiment de défendre l’honneur de Dieu et sa gloire. Il lui arrive de généraliser ses affirmations, voulant être « objectif » et « dépersonnaliser » le débat.
Les discours des trois interlocuteurs de Job reflètent très certainement l’opinion courante, populaire, des milieux juifs traditionnels de l’époque.
« Pourquoi ne suis-je pas mort dès le sein, n’ai-je péri aussitôt enfanté ? Pourquoi s’est-il trouvé des genoux pour m’accueillir, deux mamelles pour m’allaiter ? … Pourquoi donner à un malheureux la lumière, la vie à ceux qui ont l’amertume au cœur ? ... Pourquoi ce don à l’homme qui ne voit plus sa route et que Dieu cerne de toutes parts ? » (Jb 3:11 ; 12 ; 20 ; 23).
Le poème de Job est une suite de variations sur le thème du « pourquoi ? » de l’homme : non seulement la quête du sens de la vie humaine en général, mais de la signification existentielle, presque charnelle, du malheur qui s’abat sans raison sur l’homme. On peut dire, pour cette raison, que ce thème n’est pas particulier au peuple d’Israël mais qu’il s’élargit à la dimension de tous les peuples de la terre. Job est le témoin de l’homme et de l’humanité, alors que les « amis de Job » chercheront toujours une raison théologique, dépendant des conceptions particulières, voire particularistes, du peuple d’Israël.
Cette question première, originelle, de Job ne supporte pas de réponse facile : elle révèle tout le drame de Job. À cause d’elle, entre Job et ses faux amis un dialogue de sourds s’établira. Pourquoi le don de la vie, si l’homme doit ensuite connaître un tourment intérieur quotidien, fruit d’une situation de malheur qui l’atteint jusque dans sa chair ? Pourquoi être homme, si les conditions de son existence s’acharnent à nier cette humanité sur la terre ?
Et Dieu ? Qui peut-il être pour cet homme aliéné, jeté sans but et sans avenir sur ce sol ingrat ? Dieu ne peut être que l’ennemi qui « cerne l’homme de toute part ». Pour vivre, l’homme devra se dégager de cette étreinte écrasante.
« Pourquoi ? » demande Job. Comment résoudre cette énigme contradictoire et fondamentale de la vie de l’homme sur la terre : il a reçu la vie, cependant elle est devenue impossible à supporter, à réaliser. À quoi cela sert-il de vivre ainsi, si l’homme doit connaître une perpétuelle angoisse, le non-sens d’être ? N’aurait-il pas été préférable de ne jamais voir le jour, puisque cette condition humaine sur terre n’est qu’absurdité ?
Job pose la question de la « mort de Dieu ». Certes, il convient d’avancer prudemment, car le poème ne pose pas cette question dans les termes de la théologie contemporaine. Job n’est pas Nietzsche, il n’est même pas Dietrich Bonhœffer ! Le poème de Job n’a pas été écrit dans un monde où « Dieu » ne jouait plus aucun rôle et n’avait plus aucun sens, comme dans notre siècle. Cependant, à travers Job, un certain nombre de lignes traversent les temps et les lieux pour atteindre notre époque, notre temps où « Dieu est mort ».
– Job manifeste une certaine démystification de la toute-puissance, dans la contestation du « Shaddaï » hébraïque, le Dieu tout-puissant.
– Job est aussi le refus des idoles, même si l’idole prend la figure et l’expression du Dieu traditionnel de la théologie la plus orthodoxe.
– En ce sens, Job a ouvert la voie à une insertion de Dieu dans le monde et dans l’histoire des hommes. Il devient la contestation de toute parole dogmatique, systématique, la contestation d’une théologie de l’être et de l’essence ; il annonce au contraire une théologie de l’exister humain et du devenir.
– Par son interrogation fondamentale qui ne trouvera de réponse que dans l’affrontement et le dialogue avec d’autres questions du monde, Job conteste la culpabilité foncière de l’homme et il atteste la possibilité pour l’homme d’être pleinement le sujet de son exister et de ses actes. Pour lui, comme pour l’évangile de Jean plus tard, la parole de Yahvé, le Logos, n’est pas « au ciel » mais dans le monde, « au sein de la tempête ». L’homme devient humain dans le combat qu’il livre à Dieu en contestant sa toute-puissance. Ce combat d’une parole n’est pas discours ou langage religieux et pieux, mais il est fait « de chair et de sang ».
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