ANALYSE  RÉFÉRENTIELLE
ET  ARCHÉOLOGIQUE


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Pierre Curie


Au risque de croire





Vivre la foi dans le siècle


Sommaire

Préface
Quittez un monde bon
Vivre la foi dans le siècle

Présence de l’Église au monde

Église en dialogue avec le monde

Itinérance : une quête du sens

Croire au-delà des perplexités

En écoutant l’Alléluiah d’Hændel




. . . . . . . . - o 0 o - . . . . . . . .

   J’ai été barthien et je ne le renie pas. Toujours, depuis l’âge des prises de consciences juvéniles, j’ai tenu en suspicion l’introspection spirituelle et le piétisme sentimental ; je me suis toujours refusé à la « confession publique » et à « donner mon témoignage ». Le barthisme m’avait séduit par ce qu’il affirmait dans « l’objectivité » de la parole et par sa condamnation du psychologisme introspectif.
   Dès le début, le Christ avait pris une dimension totale et universelle : Seigneur de l’Église et du monde (non de l’Église ou de ma foi seules), et ceci à la suite d’une double prise de conscience : le problème colonial dès l’Afrique du nord dont je suis originaire, et le monde ouvrier, étant étudiant à Paris puis en stage dans le bassin minier du Nord-Pas-de-Calais (1). Prise de conscience, dans le même temps, de la rupture de l’Église avec ces deux réalités du monde : les colonisés et les ouvriers. Cependant, une conviction et une certitude : l’Évangile est pour l’homme dans sa dimension totale ; il est une possibilité libératrice de l’homme, des hommes et des peuples ; il est puissance de libération des servitudes et des oppressions, de tout signe mortel dans le monde.

   En 1952, j’exprimais cette conviction et cette certitude dans cette confession de foi christo­centrique :

   « Au moment de recevoir la consécration au Ministère pastoral… je suis heureux de confesser ma foi.

   JE CROIS EN JÉSUS-CHRIST, centre unique de toute révélation et de toute vérité de Dieu et de l’homme, de l’Église et du monde.
   Je crois en Jésus-Christ, révélation et incarnation du vrai Dieu, Père de toutes créatures, mon Père (Jn 1:18 ; Col 1:15). En écoutant Jésus-Christ et en contemplant ses œuvres, je sais que je ne puis pas « imaginer » et « idolâtrer » Dieu. En Jésus-Christ, je connais l’amour qui s’est donné pour tout homme et pour moi. En Jésus-Christ, je confesse le mystère de Dieu.
   Je crois en Jésus-Christ, révélation et incarnation de la véritable condition humaine. En écoutant Jésus-Christ et en contemplant son œuvre, je sais que je ne puis pas « idolâtrer » l’homme. En Jésus-Christ, je rencontre Dieu solidaire de l’homme, dans l’homme. Je sais aussi que la gloire de l’homme, c’est l’élévation de la croix de Jésus-Christ, car la gloire de Jésus-Christ est celle de l’obéissance et du service de l’homme. En Jésus-Christ, je sais enfin que la gloire de Dieu est l’abaissement du Père jusque dans l’Ascension ; c’est-à-dire en l’homme ressuscité, auquel aujourd’hui tout pouvoir et toute domination sont remis, et qui ne nous laisse pas orphelins, car il nous envoie le Saint-Esprit, consolateur et donateur de la Vie.

   JE CROIS L’ÉGLISE ŒUVRE DU SAINT-ESPRIT.
   Je crois l’Église œuvre du Seigneur crucifié. «
Le serviteur n’est pas plus grand que son seigneur » (Mt 10:24). Je crois l’Église communion des frères et lieu de la rencontre et de la réconciliation de tous les hommes.
   Je crois l’Église œuvre du Seigneur ressuscité et présent. Je crois l’Église lieu de la présence de Jésus-Christ, agissant dans le Monde et signe prophétique du Royaume de Dieu, Cité dernière de la paix, de la justice et de la joie. Je crois l’Église qui, dans cette attente et cette perspective, dénonce le jugement de Dieu dans le tremblement contre la guerre, l’injustice, la haine, la puissance corrup­trice du mensonge et de l’argent-idole. Je crois l’Église qui, dans le même temps, annonce la parole de repentance et de pardon, et qui recherche dans le combat de la prière et dans la faiblesse de sa condition pécheresse les signes de la libre et souveraine grâce de Dieu : signes annonciateurs de paix, de justice et de joie, annonciateurs de cette cité dernière où Dieu – l’unique Dieu vivant – sera en tous !

   JE CROIS, SEIGNEUR ! VIENS AU SECOURS DE MON INCRÉDULITÉ !
»

   Certes, j’aurais pu simplement déclarer que je m’associais aux diverses Confessions de foi de l’Église, du Ier et du IVème siècles, ou à celles de la Réforme. J’aurais, peut-être, évité le reproche de la part de certains, déjà, qualifiant de prétentieuse cette initiative. Quant à moi, je pensais que la confession de foi devait avoir un caractère contingent, exprimée « hic et nunc ».
   « Je crois que l’Église de Jésus-Christ doit attendre davantage de moi la confession « hic et nunc » de ma foi que les toujours relatives et parfois trompeuses influences sur la vocation divine » écrivais-je en demandant l’autorisation de « proposanat » (21 novembre 1950), précisant, en outre, mon attitude devant l’engagement réclamé à la discipline de l’Église : « Je m’engage à observer la discipline de l’Église réformée de France dans la mesure où celle-ci demeure sans cesse une œuvre humaine, toujours révisable ; dans la mesure aussi où elle ne deviendra pas un obstacle majeur à une fidélité vécue « hic et nunc ». La discipline est bonne et nécessaire, car la communauté chrétienne n’est pas anarchique : elle est un corps – celui de Jésus-Christ. Mais la discipline ne peut, en aucune manière, devenir la forme définitive, statique, de ce corps. Elle ne peut pas être un cadre étriqué ou devenir une fin en elle-même. »

   Enfin, j’exprimais ainsi mon souhait quant à la forme du ministère : « Je reconnais la difficulté de découvrir par soi-même ses propres charismes… Cependant, je suis attiré par le ministère paroissial, puisqu’aujourd’hui et ici la paroisse est le lieu où Dieu a réuni géographiquement, socialement, économiquement et politiquement, les hommes appelés à vivre d’une commune existence ; ensuite, puisque la paroisse est aussi le lieu où Dieu a appelé plus spécialement des hommes et des femmes, dans ce cadre géographique, social, économique et politique, pour déclarer son amour et sa justice, son pardon et ses avertissements à l’Église visible, à chaque chrétien en qui les deux hommes – le croyant et l’athée, l’élu et le pécheur – cohabitent ; ainsi qu’à ceux qui vivent à la périphérie de l’Église, puisque la paroisse doit être missionnaire au risque de ne plus être l’Église de Jésus-Christ, d’être sel sans saveur. Mon désir serait de vivre dans une telle paroisse au milieu du monde, non pour faire du prosélytisme, mais pour être avec les hommes au milieu de leurs souffrances, de leurs combats ou de leurs espérances » (31 janvier 1950).

   Ainsi, la christologie du Seigneur serviteur a exprimé le contenu de ma période barthienne. Le barthisme, en effet, m’a aidé, dans cette première critique fondamentale de la religion, à coller au réel et à l’histoire des hommes. Il m’a offert le cadre de pensée pour vivre l’Évangile dans un véritable engagement au service des hommes, parce que, précisément, sa christologie s’affirmait comme le lieu de la rencontre et de la connaissance de Dieu et de l’homme, non pas dans le ciel, mais « hic et nunc », aux coordonnées de l’histoire, dans un homme de la terre. Alors, déjà, Dieu était, pour moi, un seigneur abaissé, et l’homme trouvait sa raison d’être en Jésus, le Christ, homme serviteur des hommes. Désormais, la véritable élévation à Dieu s’exprimait dans le servie des hommes, à cause de Jésus-Christ.
   Le barthisme devenait ainsi pour moi (mais aussi pour un bon nombre d’autres qui, déjà, troublaient le conformisme théologique et ecclésiastique de la plupart) presque la justification « idéologique » de l’engagement au service des hommes, dans le social et le politique (et notre cœur était à gauche). S’il fallait préciser dans le temps, je dirais entre 1950 et 1957 (Clermont-l’Hérault, le faubourg d’Isle à Saint-Quentin, Bruay-en-Artois) (2).

   Puis il y eut une seconde période, entre 1957 et 1966 environ : du barthisme à la théologie du monde, au cours de laquelle s’élabora vraiment la question de la présence de l’Église au monde. Ce fut l’époque de la guerre d’Algérie, du coup d’État gaulliste en 1958, et de la seconde guerre du Vietnam. Ce fut aussi l’espoir suscité chez beaucoup par l’assemblée du protestantisme français à Montbéliard. Parler aujourd’hui du décalage entre l’Église et le monde moderne est devenu un lieu commun, de même que parler de l’inactualité de la prédication de l’Église, du caractère abstrait de la catéchèse, de la crise des œuvres de l’Église, de la confusion dans l’évangélisation, etc.
   Néanmoins, alors, cette lutte au nom de l’Évangile ne fut pas sans risque ou incompréhension. Combler le fossé entre l’Église et le monde moderne fut le souci prédominant de ces années, au niveau du culte et de la prédication, de la catéchèse et de l’évangélisation. La réalité évangélique du « fils de l’homme » devenait ainsi la notion centrale, le « point focal » de la relation entre Église et monde.
   Plusieurs expériences témoignent de cette période : recherche de formes nouvelles de culte insérant la parole dans la vie, suscitant la Parole à travers les événements (3) ; expérience catéchétique pendant deux années, où l’enseignement n’était pas donné comme « vérité transcendante », mais dans un partage et une participation, suscitant davantage de questions qu’il n’apportait de réponses pré­fabriquées ; recherche de nouvelles structures ecclésiales appelant l’ouverture contre le conserva­tisme (4)

   Autour de 1965-1966, la signification de la souveraineté de Dieu dans le monde exprima un approfondissement de la théologie du monde. Il me devint plus clair que le monde est le lieu de la souveraineté de Dieu. Dieu est amour, il a tellement aimé le monde… Cette théologie s’approfondit dans la dynamique de la relation, la dynamique du Christ dans le monde à travers le dialogue entre l’Église et le monde. Confesser la foi ne signifie pas « présenter une vérité dogmatique » aux hommes d’aujourd’hui, mais vivre avec eux le dialogue, signe d’amour libérateur et source de désaliénation.

   Enfin, la théologie du monde aboutit à la théologie de la mort du Dieu « tout autre », du « Seigneur tout-puissant ». Avec de nombreux autres chercheurs j’atteignais, semble-t-il, la « limite » (5), le point ultime au-delà duquel le fondement chrétien était ébranlé, où « confesser la foi » devenait une impossible hérésie…
   Cependant, la « limite » a-t-elle alors été dépassée ? Ce qui, il y a dix ans, était considéré comme la limite ultime (par exemple, la notion de « fils de l’homme », de Jésus l’homme) est devenu aujourd’hui la référence justificatrice de la foi et de l’engagement. Pourquoi le point critique actuel ne serait-t-il pas la référence des cinq ou dix années à venir ? Que signifie une lecture théologique à l’heure de l’histoire ?

   Pour moi, y a-t-il eu rupture, inconséquence, ou renoncement de foi ? N’est-ce pas, plutôt, la recherche d’une réponse à la même et unique question posée de la rupture entre l’Église et le monde ? Les hérétiques ou les « négateurs » d’aujourd’hui ne seront-ils pas parmi ceux qui auront cherché à confesser leur foi dans la réalité d’une histoire en devenir ?
   Je ne me sens donc nullement en rupture dans un cheminement de vingt années, mais dans une évolution s’approfondissant : la christologie a fondé l’engagement social et politique ; dans le même mouvement, elle réalisait la critique de la religion, y compris dans son aspect le plus aliénant : le Dieu « tout puissant », le Dieu des « amis de Job ». Dans ces vingt dernières années, je découvre seulement cet approfondissement allant du politique au théologique pour retrouver l’histoire des hommes (le social et le politique) au travers de la christologie du « fils de l’homme ».




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(1) Voir le développement de cette prise de conscience dans Le roman inachevé d’un utopiste : « Éveils de conscience » tc402100.   Retour au texte


(2) Voir la présentation détaillée, rédigée par Pierre Curie en 1992, des périodes de Clermont-l’Hérault, de Saint-Quentin, et de Bruay en Artois.   Retour au texte


(3) Quelques exemples de ces nouvelles formes de culte dans Le roman inachevé d’un utopiste : « Parole d’utopie » tc434000.   Retour au texte


(4) Sur cette recherche, voir Le roman inachevé d’un utopiste : « Tourcoing à la recherche de structures nouvelles ».   Retour au texte


(5) Voir l’étude d’Ennio Floris Liberté d’expression et limite de foi.   Retour au texte




juin 1971




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tc500040 : 30/11/2019