Sommaire
Préface
Quittez un monde bon
Vivre la foi dans le siècle
Présence de l’Église au monde
Église en dialogue avec le monde
Itinérance : une quête du sens
Croire au-delà des perplexités
En écoutant l’Alléluiah d’Hændel
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À l’instant où se fixent les imites d’un choix de textes significatifs du moment d’une recherche et d’une action sous le signe de l’Évangile, un mot encore doit être dit. Rien de ce qui fut ainsi pensé et écrit au fil de six années (de 1962 à 1968), ne le fut hors du mouvement quotidien de l’existence. En l’occurrence, au hasard des occasions ou dans le commerce quotidien, l’événement des rencontres et des actions communes avec des hommes, incroyants et chrétiens des Églises et des zones indécises entre la foi et l’incroyance, préparait toujours une surprise dans les cheminements des multiples perplexités vécues, des doutes naissants, des déceptions et des attentes insatisfaites.
Quelques exemples d’expériences réalisées entre 1966 et 1968 en équipe avec l’auteur, alors pasteur à Tourcoing (Nord), illustrent un mode de recherches inspirées par les questions posées « sur le tas », à l’intérieur de la petite communauté protestante, aux structures figées, et aux frontières de l’Église et du monde dans des groupes de dialogue.
À l’intérieur, le culte dominical s’enlisait dans la monotonie d’une liturgie ritualiste et le monologue pastoral de la prédication. Dès 1965, avec l’accord de la petite communauté protestante de Tourcoing, une expérience de renouvellement de la séquence des quatre cultes mensuels permettait d’élargir l’horizon des chrétiens, en diversifiant la forme et le contenu de chaque assemblée : service traditionnel, information sur les grandes orientations de l’Église universelle, étude biblique, information sur l’actualité mondiale (1).
En 1965 et 1966, la catéchèse, renonçant à la forme « enseignante » traditionnelle et doctorale, entraînait jeunes et adultes par une dynamique de groupe dans une recherche et un partage sur des thèmes et des questions élaborées et approfondies en commun, chacun donnant à l’autre et recevant de lui.
À la frontière de l’Église, des groupes, dont plusieurs sont significatifs de cette ouverture au dialogue, virent le jour sous la pression de l’événement.
Un groupe pour la paix (2), dont les membres déclaraient dans un communiqué de presse : « Il rassemble à titre personnel des hommes et des femmes de tendances philosophiques, religieuses ou politiques très diverses. Le groupe ne veut pas devenir un mouvement structuré ou se confondre avec un mouvement existant, afin qu’un meilleur dialogue s’instaure et aide à une prise de conscience des responsabilités concernant la paix entre les hommes ». Pendant plus de trois années, des représentants des Amis de Témoignage Chrétien, de Pax Christi, du MCAA, de la Convention des Institutions Républicaines, du Parti Communiste, du Mouvement de la Paix, de la communauté protestante locale, s’attachèrent à offrir à la population de la cité des occasions de dialogue et d’actions en faveur de la réconciliation et de la paix entre les hommes.
Un groupe œcuménique (3) réunissait aussi, dès 1964, des chrétiens – protestants et catholiques – après une grande conférence (4) où 1.200 personnes trouvaient place à grand peine dans un cinéma de la ville, cité où le catholicisme avait longtemps été hostile à toute ouverture œcuménique.
Un groupe de recherche biblique (5), né en 1965 de la conversation amicale avec une famille détachée du catholicisme, fournit pendant trois années, indépendamment de toute attache ecclésiastique ou paroissiale et sans intention de prosélytisme, un carrefour de dialogue à une vingtaine de participants, croyants ou incroyants, autour d’une lecture commune de la Bible, en quête d’un sens à découvrir pour l’homme.
Enfin, à la frontière de l’Église traditionnelle et des engagements dans la vie sociale et politique, la pression de chrétiens protestants marginaux, contestant la sclérose et l’intemporalité de leur Église, donna naissance en 1967 au groupe des « dialogues du dimanche » (6), expérience dominicale d’un style nouveau, imaginée à la suite d’une émission protestante de télévision présentant un dialogue entre Roger Garaudy et le pasteur Albert Gaillard, alors Secrétaire général de l’Église réformée de France. Toutes les trois semaines, un dimanche matin, dans l’une ou l’autre maison amie, des « dialogues » réunirent croyants et incroyants sur un thème proposé par les participants et selon un schéma élaboré par une équipe, avec l’intention de renouveler sans cesse le contenu et les formes du service aux autres, afin d’éviter la double tentation de l’évasion dans la mystique cultuelle et le « religieux » comme l’agitation dans l’activisme ; de redécouvrir toujours à nouveau le sens à donner aux recherches et aux actions parmi les hommes d’aujourd’hui ; de trouver enfin un temps de « repos » et de « reprise de conscience ». Parmi les thèmes abordés ont pris place : Mort individuelle et mort des autres (7) – Révolution et amour (8) – Travail et création (9) – Humaniser la nature – Péché et aliénation – Paix et justice – Prière et acte – Foi et histoire (10).
La perfide accusation de « troubler les consciences » fut lancée autour de ces groupes par certains croyants traditionnels ou intégristes, alors que des consciences déjà troublées interpellaient et contraignaient chacun à une recherche plus exigeante, à un approfondissement délaissant les domaines interdits par les âmes bien-pensantes, et aux clarifications libératrices d’aliénations.
Bien souvent, les interrogations et les mises en question de ces amis devinrent les propres interrogations et des attentes nouvelles de l’auteur. Les thèmes interrogatifs, parfois timidement parfois brutalement, devenaient de plus en plus importuns : vivre la « foi » traditionnelle des Églises, est-ce encore possible en un siècle où la science laisse entrevoir le jour où l’homme percevra le mystère de la vie ? Que peut alors signifier une création par « Dieu » ? L’Évangile chrétien est-il une puissance révolutionnaire, libératrice des oppressions sociales, des exploitations économiques ? Ou bien demeure-t-il par essence ou par atavisme réduit aux domaines bourgeois de l’âme, de la conscience individuelle et des rapports personnels dans la famille, la profession, la cité et l’État, à l’espace étroit d’une charité paternaliste ? Est-il efficace pour donner un sens au devenir des hommes ? Où est la vérité : chez les seuls chrétiens ? Ou bien est-il possible de la découvrir au sein d’un processus complexe d’action et de dialogue avec les non-chrétiens, marxistes en particulier ? Une « lecture » nouvelle du message chrétien et des livres bibliques dans lesquels il a été traditionnellement écouté ne s’impose-t-elle pas aujourd’hui ? etc.
En définitive, il n’est pas excessif de prétendre que ces textes, choisis et offerts aujourd’hui, furent l’aboutissement d’une recherche commune, la synthèse d’un faisceau d’anxiétés et d’espérances, chez tous ceux dont les noms ne peuvent pas être cités par déférence envers chacun, jeune ou adulte, croyant ou incroyant, avec lesquels l’auteur a dialogué et s’est engagé dans une action pour le devenir de l’homme. Le pasteur Étienne Mathiot avait compris ce mouvement de pensée et d’action, quand il écrivait un jour à la suite des « Notes sur l’Exode » (11) : « Ta lecture est un résultat vers lequel on voudrait mener les multitudes. Tu as à la fois la perception du sens théologique et du sens actuel… Tu perçois l’asservissement le plus inconscient dans lequel nous sommes pris, et la libération à saisir dans un Évangile reçu ».
C’est pourquoi ces textes rassemblés n’ont d’autre ambition que d’exprimer cette attente et cette recherche commune au-delà des « patois de Canaan », paroles rétrécies à la maigre dimension des langages pieux, isolant les chrétiens du monde, prétendant renier les autres langages des hommes, leurs cultures ou leurs réalisations. Avec un certain recul, ils apparaissent cependant porteurs de nouvelles interrogations plus radicales ; ils ne prétendent pas mettre un terme à ce « sens » que structure le mouvement de l’esprit opérant des ouvertures, à tout moment du devenir, dans chaque culture et dans chaque groupe humain, vers les autres. Ce « dia-logue » est un combat permanent, purificateur et libérateur, parole en action, surgissement créateur de sens, divine surprise par laquelle l’impossible devient possible, l’utopie histoire et la parole chair !
Au printemps 1968, quand les journées mouvementées de ce mois de Mai historique allaient un moment ébranler les assises de notre société, l’Église elle-même, protestante et catholique, subissait le choc dangereux de ce mouvement de l’esprit, qui devait permettre à l’impossible utopie de prendre figure historique et donner à la parole les contours de la chair. Tant d’interrogations demeurées jusque-là souterraines, comme le grain de blé en terre, dans l’Église et dans le monde, menaçaient soudain les fragiles équilibres des dogmes et des institutions des Églises, religieuses ou laïques. C’est pourquoi, à leur modeste place, les textes ici rassemblés pouvaient inquiéter le fondamentalisme congénital de la religion, le quiétisme des certitudes acquises et le conformisme des structures en place. Leur auteur, accusé d’hérésie (12), y déchiffrant un écho de la déclaration des vingt-deux jeunes théologiens de Genève (13), écrivait alors à un ami :
« À ma place et avec les autres, je veux participer à ce mouvement de l’histoire, à cette mutation (plutôt à cette révolution) authentique de l’Église d’aujourd’hui, à ce dialogue dans lequel il sera bien entendu que toute vérité, toute parole, toute réponse, ne précèderont d’aucune façon les interlocuteurs croyants ou incroyants, mais surgiront précisément dans le devenir du dialogue lui-même, comme authentique « surprise », comme « événement » libérateur, alors – pourquoi pas ? – comme espérance possible. En bref, c’est dans ce dynamisme révolutionnaire que je situe aujourd’hui l’Évangile et que je crois que l’Église est encore capable de devenir « sel » et « levain »… Alors, maintenant, j’en appelle publiquement à tous ceux qui, encore à l’intérieur de l’Église réformée de France, peuvent – et doivent – entendre cet appel. Je ne désespèrerai de l’Église (non de l’Évangile) que le jour où je ne pourrai plus réellement croire dans le protestantisme à la liberté de parole, d’expression et d’authentique recherche. Je veux pouvoir encore entendre, et interpréter, pour aujourd’hui cette parole de l’Évangile : « Si le fils vous affranchit, vous serez réellement libres ». C’est pourquoi je demande aussi : les plus « orthodoxes » des protestants réformés français savent-ils tirer véritablement toutes les conséquences de leur propre orthodoxie de la grâce libératrice ? Ou bien, cela est-il encore verbalisme, fondamentalisme, piétisme… aliénation religieuse ?... Faut-il alors souhaiter d’être aujourd’hui accusé d’hérésie pour prendre conscience de demeurer dans la visée de la Réforme ? »
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(1) Voir la présentation détaillée des expériences menées à Tourcoing, dans Le roman inachevé d’un utopiste, partie « Tourcoing ». 
(2) Voir. 
(3) Voir. 
(4) Compte-rendu ici. 
(5) Voir. 
(6) Voir. 
(7) Bref compte-rendu ici. 
(8) Bref compte-rendu ici. 
(9) Bref compte-rendu ici. 
(10) Bref compte-rendu ici. 
(11) Voir. 
(12) Voir. 
(13) « Nous sommes à la recherche d’un style de vie chrétien au service de l’Évangile… Nous cherchons à nous situer dans une vraie position de dialogue avec les non-croyants, ce qui implique que les structures (mentales, théologiques, sociologiques, institutionnelles) de l’Église actuelle sont impropres à permettre ce « dialogue authentique » » .
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