ANALYSE RÉFÉRENTIELLE
ET ARCHÉOLOGIQUE
Pierre Curie
Le roman inachevé d’un utopiste
La crise
(juin 1967 – juin 1968)
Sommaire
Prologue
Introduction
Clermont-l’Hérault
Saint-Quentin
Bruay-en-Artois
Tourcoing
La crise
-
Introduction
-
Changer...
-
Les Centres
régionaux
-
Le Centre
du Nord
-
Faire
front
-
Aux limites
.
Les travailleurs
étrangers
.
Un culte pas ordinaire
-
Dialogues
du dimanche
-
L’homme
face à la mort
-
Amour
et révolution
-
Travail
et création
-
L’
Alleluia
de Hændel
-
Foi et histoire
-
Troubler
les conscien-
ces
-
Double
jeu
-
Visite
d’Albert Gaillard
-
Interventions
en soutien
-
La réunion
de Palaiseau
-
Le synode
de Royan
-
La dernière
proposition
-
Contrepoint
Épilogue
. . . . . . . . - o
0
o - . . . . . . . .
Aux limites de l’impossible :
un « culte » pas ordinaire
Foi et histoire
Le douze mai 1968, dialogue autour du thème «
Foi et histoire
».
«
Écrire l’histoire au sens le plus humble du mot, c’est d’abord dater les événements, les inscrire dans une chronologie. Cependant ce cadre, tout vide qu’on l’imagine, n’en possède pas moins des propriétés… Le temps concret a ses propriétés, qui ne sont pas nécessairement partout les mêmes et qui dépendent de la conception du monde propre à chaque civilisation
» (
Roger Caillois).
«
La foi dans un sens, mais dans un sens caché de l’histoire, est à la fois le courage de croire à une signification profonde de l’histoire la plus tragique, et donc une humeur de confiance et d’abandon au cœur même de la lutte, et un certain refus du système et du fanatisme, un sens de l’ouvert
» (
Paul Ricœur).
Quelques réflexions du débat du jour :
Ennio Floris
(1)
: «
L’histoire et le mythe ! Il est nécessaire de saisir le sens du mythe du «
paradis perdu », qui est à la base de l’intelligence de notre vie. Dans la théologie classique,
il représentait un moment avant le temps et avant l’histoire, au moment où l’homme immortel vivait un bonheur intégral dans une paix totale et maîtrisait la nature par son travail. Puis l’homme fut chassé, et alors commença l’histoire, privée de sens parce que l’homme ignorait comment retourner à ce
« paradis » perdu. Intervint une promesse qui disait : tu pourras de nouveau revenir à
ce paradis qui te restituera toutes choses, la paix, l’immortalité, la maîtrise de tout. Mais quand tu y pénètreras, l’histoire aura pris fin.
Aujourd’hui, si nous ne rejetons pas le mythe, qui demeure valable, nous critiquons l’interprétation dogmatique et religieuse que la théologie classique lui donne. Nous disons que ce mythe n’explique pas deux moments hors de l’histoire, mais des dimensions à l’intérieur de l’existence historique des hommes. Par exemple, il est évident que l’homme aspire à la paix. Mais que signifie vouloir la paix ? L’homme qui désire la paix en toutes circonstances, pour sa famille, sa profession, son pays, s’aperçoit qu’en même temps il en est exclu. Alors, le mythe du «
paradis perdu » nous fait prendre conscience que l’existence humaine est à tout instant à la fois rejetée hors de son propre accomplissement et tendue vers lui.
Cet être chassé et promis à sa plénitude est sans cesse en position de choisir la vie. En effet, pourquoi choisir, par exemple, de combattre pour la paix au
Vietnam, si cette volonté de paix n’est pas liée à une volonté de paix ultérieure ? C’est pourquoi le désir dépasse toujours l’analyse historique : tout choix politique et historique se situe dans une volonté plus large qui concerne l’homme.
Je dis qu’il y a distinction entre foi et option politique ou analyse sociologique. Toute analyse sociologique vise le donné concret, mais si la perspective de parvenir à la paix ne se trouvait pas au-delà de ce donné, on ne parviendrait pas à la paix. Qu’est-ce que le
royaume de
Dieu, sinon de croire à une paix toujours possible après celle-ci, parce qu’un nouveau désordre, une nouvelle guerre, peuvent toujours se reproduire. Ainsi, ce choix pour l’homme dans son perpétuel devenir prétend à la totalité. L’expression de ce devenir se manifeste par des images, des mythes totalisants : par exemple, le loup et l’agneau vivent ensemble, expression poétique pour un choix politique, et donc éthique, dans la perspective du « croire » que l’humanité de l’homme est toujours possible
».
«
Ce mythe est-il une nécessité inhérente à la nature humaine ?
»
Ennio Floris : «
Oui, car il explique la dialectique de l’existence humaine. Dans le mot « existence », on trouve la préposition « ex » (je viens d’où ? je l’ignore !). Puis, je me trouve situé « vers » (mais vers quoi ?). Ce futur est une possibilité infinie, et c’est moi qui lui donne un sens
».
«
Qui est ce « moi » ?
»
Ennio Floris : «
Ce sont les hommes. Si n’existait pas cette possibilité infinie, tout choix concret serait totalement vain
».
«
Qu’est-ce que la foi ?
»
Pierre Curie : «
Je dirais qu’elle est un risque, un pari. En effet, je ne possède pas toute la perspective de l’histoire, mais parce que j’ai pris au sérieux les analyses psychologiques, sociologiques, économiques et politiques du moment présent de l’histoire, je m’insère profondément dans cette histoire. À partir de ces analyses, je procède avec d’autres à une prospective, fondée sur une option. Alors, je prends un risque et je fais un pari, je m’engage avec les autres, je mobilise toute ma volonté pour que cette prospective, même modifiée dans le devenir de l’histoire, demeure dans la perspective. Ma foi se trouve à ce point où je suis pleinement engagé. Peut-être dirai-je que, dans ce devenir de moi-même avec les autres, dans cette « transcendance » permanente, le mythe du «
Christ » se trouve présent dans l’histoire, parce qu’il manifesterait la plénitude de la perspective, c’est-à-dire la plénitude de l’homme
».
______________
(1) Voir une
brêve biographie
d’Ennio Floris
par
Jacques Lochard (1986),
l’autobiographie
d’Ennio Floris (2012), et son
autobiografia
(2005).
1992
tc440525 : 02/08/2019